@Mel Butler

Les frères écossais, de retour avec un nouvel album intitulé « Glasgow Eyes », nous vendent un disque plus vicieux et électronique. Mais en réalité, The Jesus and Mary Chain fait simplement du Jesus and Mary Chain, ni mieux ni moins bien qu’avant.

Je préfère l’écrire dès le début, histoire de mettre les choses au clair : les Jesus and Mary Chain est l’un de mes groupes préférés. Dès ma première rencontre avec les frères Reid, j’ai tout de suite intégré cette bande de voyous sapés avec des vestes en cuir qui se prenaient pour les rois du monde. Ils se foutaient de tout, de tout le monde, disaient qu’ils étaient mille fois meilleurs que les Beatles et qu’ils mettaient des branlées à tous les autres groupes avec trois accords et beaucoup, beaucoup de distorsion. Et pendant plusieurs années, JAMC a secoué le rock pour lui redonner ce côté bagarreur, transgressif et conflictuel. Sauf que l’alcool, les drogues, les relations entre frères, les brouilles et les sentiments enfouis ont fini par créer un cocktail explosif. Après « Munki » (1998), clairement l’un des albums les plus sous-côté du groupe, les frérots ont dit ciao. Ciao le rock et toutes ces conneries. De toute manière, l’enregistrement de ce dernier disque a été une expérience horrible, chacun travaillant de son côté sans vraiment s’adresser la parole. Clap de fin et neuf années sans se parler, ou presque, histoire de laisser du whisky couler sous les ponts.

Et puis en 2007, breaking news : les frères terribles du rock se reforment (on imagine pour payer les factures). L’ambiance n’est toujours pas folichonne : les deux continuent de s’ignorer et établissent des règles pour se voir le moins possible. Mais finalement, tout finit par se tasser. Depuis 2017 et l’album « Damage and Joy », les Écossais vivent même une seconde jeunesse : tournées, albums, entente cordiale. Bref, tout roule pour les Jesus and Mary Chain. Premier miracle.

Et comme tout roule, les Écossais se sont même mis en tête d’essayer d’innover, peut-être pour la première fois en 40 ans. Car les JACM sont connus pour chose que l’on reproche à tous les autres groupes mais qu’on adore chez eux : faire les mêmes disques à chaque fois avec un nom d’album différent. Les tempos, la façon de chanter, les sonorités des guitares, les riffs, les thématiques, les paroles ; tout se répète dans leurs musiques. Ils ont des obsessions (comme l’Amérique, les Beatles et les Stones, la mort, etc) et ces psychoses tournent en boucle dans leurs têtes pour se terminer dans leurs chansons. La musique des Écossais a toujours été minimaliste. Sur le papier, il n’y a rien de compliqué à recréer une chanson type Jesus and Mary Chain. Mais c’est là où ils ont été merveilleusement forts durant toutes ces années : ils sont les seuls à vraiment maîtriser cette recette à la perfection.

Alors quand on lit que, pour ce nouvel album baptisé « Glasgow Eyes », les deux frères ont voulu prendre la première sortie sur l’autoroute du rock pour tenter des expérimentations soniques et électroniques, on a eu du mal à y croire. Et puis on a lancé le disque, en espérant un deuxième miracle.

Ambiance de cave

Sur « Glasgow Eyes », l’ambiance est encore plus sobre et élémentaire que d’ordinaire. Jim et William ont eu envie de faire un disque entre Suicide et le Velvet, c’est-à-dire un album avec des mélodies crapuleuses et dépravées, des glitchs électroniques pour le côté rugueux et une forme de liberté dans l’expression artistique pour éviter de reproduire ce qui a été déjà fait sur les sept albums précédents.

C’est dommage : le challenge est à moitié réussi seulement. Car si l’ambiance punk électronique est bien présente, et apporte justement la nouveauté qu’on attendait tous depuis des lustres aux nouvelles compositions du groupe, leur musique, formatée par 40 ans de répétition, peine à vraiment nous faire décoller dans un autre monde que celui qu’ils ont construit au fil des années. Comme si Jim et William étaient les personnages d’un jeu vidéo coincés dans un univers duquel ils ne pouvaient pas s’échapper. Par exemple Jamcod, un morceau qui parle de leur séparation en 1999, possède cette vibe cool à la Jesus and Mary Chain qu’on reconnaît dès les premières secondes. Et même s’ils ont bidouillé quelques synthés en studio pour le kif, l’aspect électronique passe au second plan. Même son de cloche à l’écoute d’autres titres de l’album où le niveau d’expérimentation paraît trop faiblard (American Born, Mediterranean X-Film, Girl 71, Pure Poor, Hey Lou Reid) quand il n’est pas inexistant (Chemical Animal, The Eagles And The Beatles, Second of June). Ça ne veut pas dire que ces chansons sont mauvaises, loin de là : les fans y trouveront largement leur dose de feedback, de distorsion et d’ivresse sonique. Mais pour ceux qui s’attendaient – comme l’auteur de cet article – à voir le groupe partir en roue libre, c’est raté. En Interview pour Qobuz, Jim Reid est d’ailleurs réaliste : ce disque « est aussi bon que les autres, mais ce n’est pas le meilleur ».

Les vrais moments de plaisir sont rares. Mais quand l’orgasme arrive, il est puissant. Venal Boy nous entraîne avec lui dans une virée folle, Jamcod stimule le point G, American Born plaira aux fans de « Munki » et « Honey’s Dead » et Discotheque possède une ambiance dark qui déstabilise l’auditeur, et qui apporte, pour le coup, une vraie rupture avec le reste de l’album (idem pour Silver Strings qui s’éloigne des codes traditionnels du groupe, mais qui manque un peu de relief pour nous tenir en haleine). Le disque se termine sur ce qu’on imagine être un hommage au Velvet (Hey Lou Reid) avec un morceau de six minutes haletant, doux et gracieux.

Si cette chronique laisse un arrière-goût de déception dans la bouche, dans les oreilles, ce nouvel album des Écossais réussit quand même son pari. Il reste jouissif, provocant et palpitant. Mieux : il montre un groupe en quête de nouveauté prêt à se remettre en question pour avancer vers un futur. Un futur où les Jesus and Mary Chain est, et sera toujours, le meilleur groupe du monde sur Terre.

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