(C) Richard Dumas

Quoi de neuf au pays du surréalisme ? Un deuxième album pour le trio catalan autant inspiré par Dali que par la musique explosive de Little Richard et Link Wray. Et c’est précisément cette déflagration mélodique qui a inspiré au duo des Limiñanas et à Comelade « Boom Boom », un disque instrumental à l’ancienne écrit par des gens ayant oublié de vieillir et où, même sans paroles, on se marre autant qu’on explose. Parce que la rigolade, messieurs dames, c’est aussi du sérieux. La preuve avec cette interview.

Presque 10 ans après un premier essai, Comelade et les Limiñanas reviennent avec un album conjoint à la fiche d’identité sommaire : trois noms sur la pochette, un bouquet de fleurs en macramé et un titre préhistorique rappelant les premières éructations du rock’n’roll façon Wop bop a loo bop a lop bom bom de Little Richard : « Boom Boom ». Dix ans, une éternité qui permet de se questionner, en tant qu’auditeur : qu’avons-nous fait de toutes ces années écoulées, de tous ces bouts de mois perdus et de ces secondes étouffées par le sablier ? On se gardera bien de répondre à cette question, mais dans le cas des Limiñanas et de Pascal Comelade, ces dix années sont passées à la vitesse d’un titre des Ronettes.

Le premier a publié en 2022 un album solo (« Le non-sens du rythme ») suivi d’un autre avec Lee Ranaldo ; les seconds un best-of (« Electrified ») suivi d’une B.O. (« Thatcher’s not dead). Autant dire que s’il fallait encore chercher des experts de la glandouille, on n’irait pas chercher du côté de Perpignan, ce centre du monde électrique où Comelade et les Limiñanas ont finalement décidé de rechausser les crampons pour ce « Boom Boom » où l’on entend tantôt la section rythmique du « Melody Nelson » de Gainsbourg croisé avec le Psyche Rock de Pierre Henry qu’une magnifique parenthèse (en)chantée par Lionel (Fin du monde). Bref, pas vraiment de la musique au kilomètre, le tout avec une pensée derrière chaque silence et un mot derrière chaque note.

Question : que faire face à un disque à 99% instrumental ? Réponse : donner la parole à ceux qui ont refusé de la prendre avec la garantie, comme à chaque fois qu’un micro est tendu à Pascal Comelade, d’être éclaboussé par l’intelligence du bord de marge. Pas la peine de s’essuyer après ; c’est parti pour une bonne interview en cinq minutes, douche comprise.

En 2015, lors de notre première rencontre pour votre premier album, « Traité de Guitarres Triolectiques », vous m’en parliez comme d’un disque de riffs. Pour ce deuxième album, l’idée était-elle la même ?

Lionel : Très sincèrement, rien n’était prémédité. La seule chose dont on a discuté avant de commencer, c’était des choses qu’on ne voulait pas faire, et la plus évidente de ne pas faire appel à un soliste, le genre de mecs qui tapent des solos dans le morceau pour combler les trous ; éviter ce genre de trucs habituels. Mais ce qui était évident, pour les Limiñanas comme pour Pascal je le sais, c’est que tourne toujours autour du riff. Sur cet album-là, encore une fois, je te mets au défi de trouver un changement d’accord. Donc oui, « Boom Boom » est basé essentiellement sur du riff, des trucs de main droite. Et tout s’est naturellement décidé après un repas, quand on s’est rendu compte qu’on avait tous du temps pour le faire. On a fait tomber 24 titres, on en a gardé douze pour un vinyle, 6 d’un côté, 6 de l’autre.

(C) Richard Dumas


Pascal Comelade :
Ce disque, c’est une suite. Pour celui-là, dès le départ l’objectif c’était un vinyle. Un album vinyle hein, pas une succession de titres qu’on écouterait dans le désordre. Et il était pas question de faire un CD. Bref, un vinyle donc. Un truc limité en temps sur chaque face, et tout le monde avait la mission d’apporter une vingtaine de squelettes de morceaux. Et ces bribes de rien ont donné l’album enregistré chez Lionel et Marie en trois séances. Bon après, je vais te dire : pour moi le plus important dans tout ça, c’est la batterie. C’est autour d’elle qu’on façonne le titre final. Lionel évoquait la liste des choses à éviter, c’est vrai… il a fallu éviter tous les clichés liminanesques, si je puis dire, ou comeladien, MAIS en faisant sorte qu’ils soient quand même présents… sans qu’on puisse comprendre qui a fait quoi. Il y a 3 noms écrits sur la pochette, rien de plus. Y’a pas de concert, y’a pas de gala, y’a rien sauf le disque, c’est tout. 

« C’est un disque spectorien : j’arrêtais pas d’engueuler Lionel pour qu’il arrête d’empiler ses guitares ! »

La notion de contrainte, elle reste importante quand vous fabriquez un disque ?

Pascal Comelade : Nous ne recherchons que du plaisir immédiat, du rapide. Mais attention hein, c’est pas un disque de branleurs hein. Tu as parlé de notre premier album, c’était un hommage au rock primitif et on aurait presque pu le jouer en live. Celui-là : impossible. Il est sur-orchestré, quasi spectorien. D’ailleurs je l’ai beaucoup engueulé Lionel, je lui gueulais : « arrête d’empiler des guitares ! ».

Si je résume : « Boom Boom » est un disque spectorien qui n’a pas été fait par des branleurs.

Pascal Comelade : Voilà, tout est dit.

A votre avis, est-il possible d’arriver à réinventer le rock ou finalement, on ne fait que tourner autour encore et encore ?

Pascal Comelade : Moi je pense qu’on n’en finira jamais. Le rock, c’est un labyrinthe, une aventure surhumaine.

Lionel : Le doute là-dessus, à mon avis il est arrivé six mois après la naissance du rock ; les gens pensaient que ce serait une mode, un truc passager. Et ca dure comme ça depuis le début.

(C) Richard Dumas


Parmi les nombreuses qualités de l’album, et c’est tout sauf un détail, il y a le nom des chansons qui pourraient presque faire l’objet d’études de texte dans des facultés de pays qui n’existent pas : « J’entends des voix qui ont mauvaise haleine », « On ne mange pas la choucroute de Veronica », « Le rififi brille en jaune »… Quand arrivent ces noms : avant ou après la composition ?

Pascal Comelade : Ca vient toujours à la fin.

Processus de cut-up à la Burroughs ?

Pascal Comelade : Exactement. Un plaisir d’esthète, par accumulations d’idées. « Boom Boom », c’est un disque instrumental. On peut donc dire que les noms de titres n’ont aucune importance.

En disant cela, tu as bien conscience que c’est un mensonge, non ?

Pascal Comelade (l’air faussement abattu) : C’est vrai… Attends, on va la refaire : « Il n’y a rien de plus important que les titres dans ce disque ». C’est bon, ça va ? Sérieusement, à un moment donné il faut toujours nommer chaque chanson et il n’y a pas 36 000 solutions : soit la solution froide de l’après-guerre, façon musique contemporaine avec du « Séquence 3 » ou « Parallèle 2 », soit des trucs poétiques dégoulinants, soit cette voie-là… De mon côté j’accumule des notes, des bouts de phrases en me disant que ça pourra toujours servir. Et finalement, le plus difficile dans ce disque, c’aura été de trouver le nom de l’album. Fallait faire plus court que le premier. C’était une autre contrainte qu’on s’était fixé. Donc fallait un truc qui pète.

« Ma seule prise de position, ça a toujours été d’œuvrer à une politique de production instrumentale de muzzak dégénérée ». (Pascal Comelade)

On évoquait la musique instrumentale, et il y a chez toi Pascal, une conception de la musique non chantée comme d’un manifeste silencieux. « Boom boom », est-ce une envie de détonation, de terrorisme ?

Pascal Comelade : Terrorisme… tu vas loin là. Là je vais être un peu égoïste mais la musique instrumentale, j’en ai fait tout ma vie et c’est une production qui au départ n’est destinée à rien : le disque pour le disque, pas d’images, pas de films, rien. Et ça ne me pose aucun problème. Moi ce qui me plait c’est l’aspect vicelard de cette pratique, car à partir de formats variété on arrive à créer des mutations. Et ce n’est même pas une posture, on n’a rien théorisé. Mais il est vrai que dans un album facilement trouvable dans le commerce, on peut glisser… des boites de conserve accordées. On va faire clair : je ne me positionne pas avec un sticker « messieurs dames je suis un musicien d’avant-garde ». Ma seule prise de position, ça a toujours été d’œuvrer à une politique de production instrumentale de muzzak dégénérée. Là l’intérêt, c’était de se retrouver avec Lionel et Marie et de placer tous ces tics, les leurs et les miens, pour les faire fonctionner ensemble. Le plus intéressant, c’est qu’aujourd’hui j’aurais du mal à te dire qui a pensé quoi sur ce disque, à part deux détails : un riff de basse typique des Limiñanas et la batterie de Marie. Et la voix de Lionel, évidemment…

(C) Richard Dumas


On parle de détails… quel est celui dont vous êtes le plus fier sur ce disque, et dont vous êtes sûr que personne, du moins aucun média, ne l’entendra de la façon dont vous l’avez conçu ?

Les trois (long silence méditatif) : ….

Pascal Comelade : Question intéressante… y’a surement quelque chose, mais où ? Il y a quelque chose sur Ceci est un enregistrement magnétique, avec le poème de Marcel Duchamp… C’est bon, je l’ai ! Sur ce titre, à la fin de la phrase de Duchamp, il se passe un truc, quelque chose est joué par un instrument : c’est un melodica qui joue le début du Sacre du Printemps de Stravinsky. Pourquoi ? Parce que sur la cassette originale qui a servi à l’enregistrement du titre, après il y a quelqu’un qui raconte la contrepèterie de Duchamp sur le Sacre : « il faut dire la crasse du tympan et non le sacre du printemps ».

Lionel : On a enregistré beaucoup de matériel pour ce disque, du coup il y a plein de plans comme ça.

Pour finir, la Catalogne, est-ce un point commun fondamental entre vous trois ? Sur « Boom Boom », on a parfois l’impression du rock composé dans un pays imaginaire à cheval entre la France et l’Espagne.

Lionel : Dans le cas de Marie, c’est un peu plus vrai, mais moi je suis un fils de pied noir émigré. Mais ce qui nous lie à Pascal, et ça j’en suis certain, c’est la Méditerranée. Sur l’humour, la bouffe, le respect, des parties de basse marocaines, c’est vrai. T’es la seule personne à avoir soulevé ce point.

Disons qu’on a du mal à croire que ce disque ait pu être enregistré à Grenoble.

Pascal Comelade : J’ai du mal à voir ce qui te fait penser à cela sur « Boom Boom », mais oui il y a quand même deux grands guitaristes barcelonais, hélas méconnus ici. Mais on en revient aux détails, c’est vrai, il y a des points géographiques inconscients qui ramènent à l’Espagne, notamment la cassette utilisée pour Ceci est un enregistrement magnétique ; c’est un enregistrement du poème de Duchamp déclamé par Mark Cunningham, découvert sur la fameuse compilation sur le No New York par Brian Eno. Je l’ai rencontré à Barcelone, on a longtemps joué ensemble et l’enregistrement date de 1992 à Barcelone, donc oui, c’est vrai qu’il y a, comment dire, un…

Un parfum ?

Pascal Comelade : Parfum ?! J’étais sur des mots qui figures-toi étaient beaucoup plus hard, comme relents… les deux-là [Marie et Lionel] ils osent pas me le dire, mais il se passe un truc depuis que j’ai changé mon eau de toilette, aha ! Mais oui, la Catalogne, tu as raison. Je vois ce que tu veux dire, mais sur ce disque-là, ça ne me semble pas sauter aux yeux, aux oreilles plutôt. On a tout simplement interiorisé nos influences, on sait d’où on vient, on sait où on est.

Pascal Comelade, Lionel et Marie Limiñanas // Boom Boom // Because (vinyle et digital)

20 commentaires

  1. j’ai un epochette ‘display’? piqué au disquueerr 55 de leur ville de broussse, dan sMé cogs tout les matins je leur pissent dessoius!

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