C’est un fait, les bons songwriters ne courent pas les rues au pays d’Olivier Veran. Parmi eux, Mehdi Zannad, Athanase Granson et Boris Maurussane, de chics types aussi discrets que doués. Et ça tombe bien, ils publient chacun ces temps-ci de nouveaux albums dont une bonne poignée de titres atteignent les cimes les plus radieuses de la musique pop. Pour Gonzaï, ils reviennent sur leur expérience en tant qu’ « auteur-compositeur-interprète » comme on dit chez nous et racontent quelques bricoles sur l’art et la manière d’écrire des chansons.

Non, ce n’est pas son vrai nom mais un pseudo tiré du roman La Vieille Fille de Balzac. « Dans ce nom, j’aime à la fois les sonorités et la suite visuelle de caractères », dit-il. Après un premier essai beau et doux comme un paysage matinale du Cantal (The Shaking Aspect of Summer) et une mixtape K7 pas piquée des hannetons pour le label WeWant2Wecord (on a encore en tête l’irrésistible Ricky Hollywood dans le monde magique de la pop musique), Athanase récidive avec l’album « L’Opium » qu’il a écrit, produit, interprété et mixé (presque) seul. En 8 huit titres et même pas 25 minutes, le songwriter convie l’amateur de pop ciselée à un voyage éthéré, entre titres alanguis aux sonorités eighties (L’Opium) et tubes naïfs comme nimbés de poussière cosmique (L’Astre Glacé). Un vrai bon disque de pop où l’on découvre des choses au fur et à mesure des écoutes.

Quand as-tu commencé à faire de la musique ?

Assez tard, j’ai commencé vers 20 ans (en achetant des platines vinyles pour mixer de la techno ainsi qu’une Groovebox MC303 de chez Roland) puis une guitare acoustique et un enregistreur 1 ou 2 ans après. Je suis complètement autodidacte, j’ai appris en écoutant la musique des autres.

Qu’est-ce qui t’as poussé à écrire des chansons ?

Disons que j’ai toujours en tête les quelques thèmes et suites d’accords qui constituent mes premiers balbutiements. J’ai tout de suite voulu chercher des idées musicales avec l’instrument plutôt que de travailler la technique de jeu, et j’ai commencé à écrire des chansons tout simplement parce que j’ai senti que les idées me venaient facilement, et je me suis persuadé qu’en travaillant suffisamment je parviendrai bien à produire en acte une sorte d’idéal flottant dans mon esprit. Et puis bien sûr parce que j’étais fasciné par le format « chanson »: son immédiateté, le caractère concentré de sa structure.

Est-ce que l’inspiration te vient n’importe quand ou est-ce que tu t’installes devant ton instrument en te disant : « aujourd’hui, je compose une chanson » ?

J’ai chez moi en permanence une guitare ou un clavier à portée de main, et je pose mes mains dessus sans arrêt de façon machinale comme d’autres manipulent un chapelet. Dès que la moindre idée pointe, j’essaie de tirer le fil de la pelote. La plupart du temps le fil résiste mais de temps à autre – bingo – c’est toute la pelote qui vient ! Donc je ne me dis pas « aujourd’hui je compose ». En revanche pour faire un arrangement je me mets souvent à la table de travail en me disant « aujourd’hui j’arrange ça ». Ce que je peux faire en me promenant ou en étant loin de tout instrument c’est me figurer à l’esprit des idées arrangements, les passer en revue mentalement pour ensuite voir ce qui fonctionne dans la réalité. Je n’ai aucun moment ou lieu qui m’inspirent particulièrement. Pour moi, la vie créative semble assez, voire complètement déconnectée des événements extérieurs.

Comment procèdes-tu pour construire une chanson ? D’abord le texte ou la musique ? As-tu une idée précise de là où tu veux aller dès le début ou te laisses-tu porter en essayant différentes choses jusqu’à aboutir à un résultat qui te plaît ?

Toujours la musique. J’ai longtemps composé à la guitare mais désormais tout autant au clavier, car j’en joue plus qu’avant. On n’a pas forcément les mêmes idées car les harmonies ne résonnent pas de la même façon, et je commence souvent une chanson sur un instrument pour la continuer sur un autre. D’ailleurs un nouvel instrument, un nouveau matériel peuvent être d’excellents stimulants. La contrainte aussi est un ressort de créativité important : on peut se l’imposer arbitrairement et s’obliger à construire quelque chose sur tel rythme, avec telle harmonie, tel sample etc..

J’ai toujours trouvé assez injuste et plutôt infondé ce reproche de non-musicalité attribué à la langue française.

Pour la direction ça recoupe un peu ce que j’ai dit auparavant : quand une composition se fixe, l’arrangement se dessine assez naturellement, notamment par le rythme et la pulsation propres au morceau. Par exemple : pour le morceau L’Opium : ce titre est basé sur une modulation (c’est à dire un changement harmonique inattendu) entre le couplet et le refrain. Il était évident d’emblée que l’arrangement devait appuyer généreusement ce contraste. Nappes, guitares fuzz et delay sur la voix  remplissent cette fonction en arrivant sur la modulation et en se retirant bien poliment une fois le couplet revenu – on voit qu’il est ici moins question d’inspiration que de raisonnement logique. J’ajouterai que l’arrangement a pour moi quelque chose d’assez récréatif par opposition à la composition qui m’apparait comme plus exigeante. On devrait toujours composer avec rigueur mais orchestrer avec extravagance. D’ailleurs j’aime tellement arranger que je me suis mis à faire des orchestrations de lieder (des chansons mais en musique classique) de Schumann et Brahms.

Accordes-tu plus d’importance au sens ou à la musicalité des mots ? Pourquoi avoir opté pour le français pour L’Opium alors que ton précédent album était presque entièrement anglais ?

La musicalité sans hésiter ! J’ai fait des chansons en anglais car c’est la langue natale de la pop music. Puis je me suis souvenu de la mienne et j’y suis revenu parce qu’au fond j’ai toujours voulu chanter en français (c’est ce que je faisais à mes tout débuts), et j’ai toujours trouvé assez injuste et plutôt infondé ce reproche de non-musicalité attribué à la langue française. Mais dans le fond ce n’est pas si important, on peut se proposer de chanter indifféremment dans n’importe quel idiome, le plus important reste la musique.

As-tu des recettes ? Si oui, les conserves-tu en te disant que c’est ton style ou essayes-tu de t’en débarrasser ?

Oui bien sûr, tout musicien a ses trucs je pense. J’essaie de ne pas en abuser mais souvent je craque, je me dis « yolo John Lee Hooker a fait 50 ans de carrière sur un riff ». Ce qui est compliqué c’est que la limite est indiscernable entre le tic agaçant et ce qui fait tout le sel d’un style personnel. J’ai par exemple un tic d’écriture qui consiste à enchainer un accord diminué et un accord de « majeur septième » : je trouve que ça marche à tous les coups ! On peut entendre ce tic dans le morceau Hide and Seek par exemple.

Combien de temps passes-tu sur un morceau en général ?

C’est difficile à dire. Je dirais en gros quelques dizaines de minutes en temps effectif pour la composition mais qui peuvent s’espacer sur plusieurs jours, mois, voire années car je procède souvent par bribes : j’ai dû rester bien 6 ans avec juste les 2 premières mesures de la mélodie de Fanny avant de trouver une suite qui me plaisait… Mais cela reste un cas isolé. Pour l’arrangement je dirais quelques heures : c’est l’affaire de 3/4 sessions d’une demi-journée. Travailler à une chanson n’est jamais un exercice désagréable même s’il est très exigeant – voire frustrant dans certains cas – car il y a une joie latente à l’idée qu’une trouvaille puisse surgir.

Pour toi, c’est quoi une chanson pop parfaite? Des modèles en matière de songwriting ?

Pour moi une chanson pop parfaite doit faire preuve d’immédiateté, donc accrocher d’emblée, dire l’essentiel en peu de temps et sans délayage. On doit pouvoir l’écouter un maximum de fois sans s’en lasser. Elle doit faire entendre un juste équilibre entre des éléments familiers pour l’auditeur et des éléments plus inattendus et propres à la chanson. Une gageure ! Je dirais aussi qu’une chanson pop doit procéder d’une logique interne qui lui est particulière. C’est peut être cette logique interne propre au morceau, ramassée et refermée sur elle-même qui est susceptible de provoquer une forme d’addiction, un besoin irrépressible de réécouter. Il y aurait des centaines d’exemples de chansons pop parfaites mais citons par exemple Care Of Cell 44 des Zombies qui en est un archétype remarquable. Irrépressible, inusable et solaire.

 

Pour les songwriters, j’ai des modèles bien sûr, par exemple Carole King, Richard Wright, Brian Wilson, ou Elliott Smith pour ne citer qu’eux. Je pense qu’il est vain de chercher à s’affranchir de ses maîtres parce que cet affranchissement vient tout seul. Je me rappelle d’une vidéo où Michel Petrucciani dit qu’il faut copier ses idoles, parce qu’on échouera forcément à reproduire à l’identique ce qui a été fait, mais qu’en cours de route son style propre se formera de lui-même. C’est très juste.

L’Opium (WeWant2Wecord), déjà disponible en digital, sortie en CD le 14 mars
https://bandcamp.ww2w.fr/album/lopium

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*
*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

partages