Qui est Paprika Kinski? Une Yé-Yé girl synthétique? Le fantôme de Kim Wilde? Seulement armée de son EP 'Steady Lover', elle ressuscitele charme de la scène indie anglaise des 80's. Rencontre avec la petite princesse du Shoegaze frenchy en polyamide.

« Je ne sais pas qui a fait ça, mais c’est pas cool. Je l’aimais bien et puis c’était pratique ». Attablée en face de moi dans cette ambiance feutrée du Café Charlotte dans le XXe arrondissement, la moue de Paprika Kinski est boudeuse. La cause ? On lui a volé sa bicyclette quelques jours auparavant. Sa voix est douce, fragile mais assurée.

Paprika est une jeune Lilloise blonde à l’air mutin, avec un physique d’adolescente et à la peau blanche comme de la porcelaine, toute droit sortie d’une peinture de Pietro Rotari. S’ajoute à cela de grands yeux verts que je tente d’éviter, de peur de m’y noyer.

Avec elle, que le sujet soit une bicyclette, la pop musique ou une liaison amoureuse, l’émotion teeny est toujours à fleur de peau. Ce sont justement ces sentiments qui transparaissent dans son magnifique EP «Steady Lover», fait de ces quelques chansons intimes et vitales qui sont l’objet de cette rencontre.

Ne vous fiez pas aux premières écoutes, il faut faire un effort. Là où on peut entendre des sonorités synthétiques vaguement new-wave, le disque s’avère beaucoup plus malin et érudit. Submergé plus que jamais par sa timeline, en manque total d’attention, on peut ne pas comprendre ce mini-album et passer à côté d’un grand moment. Car Paprika, voyez-vous, ça se mérite.« Il n’y a pas besoin d’argent pour créer », me dit-elle en remuant sa tasse de thé, « C’est pareil pour la musique, il n’y a pas trop d’argent mais on s’éclate. C’est une connerie de tout le temps vouloir du pognon pour faire des trucs. Certaines fois, on observe des débauches de moyens pour zéro idée derrière ». C’est ce côté DIY que l’on retrouve sur ce disque, mais aussi dans sa propre vie. Car en plus de composer des comptines pop sucrées à tomber, Paprika est passionnée de mode et de création : «La mode et la musique, j’ai toujours fait les deux en même temps, sans me poser de questions. Ma grand-mère m’a toujours dit qu’il fallait plusieurs cordes à son arc. C’est pour cela que je fais plein de trucs ».

La fille au bas nylon

Réalisé avec très peu de moyens donc, et une liberté absolue, « Steady Lover » de Paprika Kinski est une flèche dans notre petit cœur grenadine. L’incroyable chanson Steady Lover, avec son phrasé introverti, son doux parfum de bluette adolescente,  ramène à une scène musicale quelque peu oubliée et moquée : celle de l’indie pop anglaise timide du milieu des 80’s. L’époque où les groupes se nommaient The Shop Assistant, The Black Tambourine ou The Pastels. Coincés entre la new-wave maquillée pute-FM d’Eurythmics et le grunge de Dinosaur Jr, ces anti-héros, issus de la classe moyenne blanche, habillés de fripes, paraissaient plus tristes qu’en colère.

« J’adore toujours Adamo. Je trouve cela délicat et il a des chansons superbes. »

Ces groupes géniaux ont peut-être inventé l’une des dernières scènes musicales, que cela soit en termes d’attitude, de son ou bien d’esthétique. C’est aussi eux que j’entends dans la musique de Paprika. Mêler la mode et la musique, cela paraît logique quand on observe à la loupe ce mouvement et son parcours. Même si durant sa jeunesse, Paprika n’était pas trop branchée pop : « Ma grand-mère écoutait beaucoup de folklore polonais » se souvient-elle, » mais aussi Adamo. J’adore toujours Adamo. Je trouve cela délicat et il a des chansons superbes ». C’est ensuite au contact de son cousin qu’elle découvre un monde plus teen spirit : la bande-son des 90’s « Oui, beaucoup de rock. Des K7 de Smashing, Pumkins, Offspring, Nirvana, les Pixies. Et puis le groupe Deus aussi, car on n’est pas loin de la Belgique ». Dans la famille, on n’a pas trop d’argent mais on a plein d’idées ; on recycle les vêtements, on recoud, on modifie: « Comme je venais d’un milieu très modeste, j’avais les fringues de mon cousin. Cette frustration a développé ma créativité, la débrouille : on ne peut pas avoir, alors on fait ». Après des études ratées en architecture – « je crois que j’étais un peu nulle » – notre petite poupée shoegaze entame très logiquement des études dans la couture et découvre le monde des paillettes de la mode. Un monde, dit-elle, fait de « broderie, de belles coupes, de beaux tissus, mais aussi plein de gens dégueulasses ».

Et la musique dans tout ça ? Elle est passée par pas mal de petites formations, dont Douglas & The Beauties : du genre electroclash, ou plutôt « du copié/collé de Miss Kittin » se souvient Paprika : « c’était un rôle de potiche, mais je m’en amusais beaucoup. Je mettais des petites robes, c’était un peu punk, je sautais dans le public, le tout sur des paroles à la con. Quand tu prends possession de ça, tu t’en fiches. Puis ça m’a saoulé ».

Lost In Translation

Après des expériences musicales ratées et des prises de tête, Paprika a l’idée et l’envie de faire ce disque rien que pour elle. Elle s’enferme dans une maison de campagne durant tout un été. Et c’est seulement armée de sa basse, de son petit laptop et de son énorme talent que les démos de l’EP « Steady Lover » voient le jour. Un peu plus tard, sur Paris, alors qu’elle se retrouve à improviser un concert dans une boutique de fringue, la grande rencontre se fait. « C’était un genre de showcase, c‘était ultra cheap, il y avait des larsens partout. J’étais seule au micro avec mes prod qui tournaient derrière. Et là, il y avait un certain David Shaw qui m’aborde : Il a tout de suite adoré et a voulu me produire ».

David Shaw, un des producteurs techno parisiens les plus talentueux, s’immerge dans les démos de Paprika et met en forme les chansons de notre poupée indie. Avec l’aide des musiciens qui accompagnent Paprika, il lui dessine une architecture racée. Le crew du label Her Majesty’s Ship de David Shaw la prend sous son aile, elle découvre une nouvelle famille et commence à tourner. Ils osent tout, et elle se fait même remixer par le meilleur combo de dandy-punk français, Vox Low.

« Le label, ils me donnent confiance en moi, et me poussent à oser. Par exemple, j’ai composé une chanson pour Christophe et on lui a envoyé. Avant je n’aurais jamais osé faire ça. C’est une chanson qui raconte l’histoire d’une fille qui tombe amoureuse de son prof de tennis. Mais bon… je n’ai eu aucun retour de Christophe, ah ah!»

Sur l’album, il y a ce morceau Kids Of Your Crime, parfaite symbiose post-moderniste de huit années d’indie pop et logée dans un écrin futuriste. Cela fait aussi référence directement à l’esthétique dreamscape du Lost In Translation de Sofia Coppola : celle où les jeunes filles sont perdues dans leurs pensées et regardent le monde à travers une vitre. Se protéger, mettre une distance entre soi et le monde. C’est ce que suggèrent les comptines de Paprika, véritable cocon pop, qui convoque tous ces groupes anglais.

(C) Gerard Love
(C) Gerard Love

If You Need Someone

Remember, tous ces kids tout tristes de 1987. Pour elles, c’était des nœuds ou des barrettes dans les cheveux, des cardigans en laine anglaise de maman accouplés à des marinières et des jupes de bibliothécaires. Pour eux, des pulls col en V de chez Mark & Spencer, des chemises de première communion boutonnées jusqu’en haut avec, aux pieds, des clarks marronnasses fatiguées. Le tout rehaussé d’un soupçon de couleurs pastels, comme une note de romantisme ajoutée à ces guenilles dépareillées trouvées à l’Armée du Salut. Pour les cheveux, là aussi rien n’était laissé au hasard : la coupe au bol de school boy à la Byrd, le cheveux sale et la frange qui masque la vision: cette génération ne voulait pas voir ce qui l’ entourait; elle ne voulait pas affronter le regard des autres.

Sans oublier le signe de reconnaissance ultime de l’époque : l’anorak. Toujours de couleur terne : gris, noir ou marron. Juste un anorak informe, mal coupé et laid que leurs mères les obligeaient à porter parce qu’à Sheffield, il pleuvait tout le temps.  Cet anorak merdique, c’est comme un doudou pour ceux qui refusent de grandir. Un groupe de l’époque – Another Sunny Day – en a même fait une chanson : Anorak City. Là où les punks pogotaient sur place, montraient les dents et s’abrutissaient à la bière, la scène pop anorak, elle, a très bien compris ce qui se passait : contre le malaise et la dureté de l’ère Tatcher, on préfèrait faire l’autruche et cacher le regard derrière une frange de cheveux. Se raccrocher à ses parures adolescentes. Se blottir dans une bulle. Cette scène artistique a été traitée de mauviettes trop érudite, trop intello, trop romantique, trop tchoupi… trop chiante même.

Ce terme de « mauviette », les gens de cette scène le prenaient très à cœur, et se sont donc mis à le revendiquer. Contrairement aux canon pop FM, eux ne s’inventaient pas une vie. C’est tout cela que racontent les disques de cette époque. Ils n’en voulaient pas de cette vie. Alors ils ont créé cette pop, comme un liquide amniotique. Plus que les Smiths, c’est le groupe The Field Mice qui résumait à merveille cette époque avec son morceau If You Need Someone : «If you need someone/ To make you happy/ I’ll try to…».

Et c’est que je ressens après plusieurs écoutes du mini-album de Paprika. Comme les groupes de cette époque, elle a eu le courage de mettre sa timidité de côté pour nous ouvrir son monde secret et imaginaire : sa chambre d’adolescente, pur échappatoire romantique aux murs couverts de portrait de Robert Smith ou Stephen Pastel. « Isolate people meet other isolate people », chantait ce dernier. Derrière la voix de Paprika en écolière sage, c’est une nouvelle fille de la pop qui troque les riffs de guitare jangle pop 60’s contre des tessitures synthétiques. Elle ravive cela, sans sonner comme une copie, mais prolonge cette bedroom pop, inoffensive à première écoute, mais venimeuse et lourdement chargée de sens.

La suite pour Paprika c’est de continuer d’irradier le monde de son sourire et de sa techno-pop papillonesque avec un prochain EP pour 2017 : « peut-être moins girly, on verra ». En 1985, Laurent Voulzy chantait Les Nuits Sans Kim Wilde, pour un tube new-wave français 80 d’anthologie. Avec sa beauté de papier glacé, son charisme et ses chansons à tomber par terre, on l’a peut-être retrouvé, cette Kim Wilde. Elle s’appelle Paprika Kinski.

Paprika Kinski // Steady Lover EP // Her Majestiy’s Ship Records
https://www.facebook.com/paprikakinski/ 

Pour les parisiens fans de Kim Wilde et Laurent Voulzy, Paprika sera en concert le 21 Janvier 2017 à l’alimentation Générale.

9 commentaires

  1. On lui dit à l’auteur qu’il pourra pas se la faire? Parce que là c’est quand même très gênant. En plus j’ai écouté et c’est quand même super naze! Triste époque…

    1. « en plus j’ai écouté c’est super naze », on en conclut quoi, qu’il faut t’appeler avant de faire une interview pour avoir ton feu vert ?

      le truc vraiment « gênant » et « triste », c’est qu’à la lecture de ce papier, rien d’autre ne te vienne à l’esprit qu’un coït entre un pigiste et une artiste, tout va bien pour toi de ce côté là ?

Répondre à trumperie j'aime pas çà ou alors, y'a ka bomber le danze-flOOr Annuler la réponse

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