Chaque jour, écouter et chroniquer les disques étrangers standardisés comme des franchises Starbucks devient une corvée un peu plus pénible. A l’inverse, l’ambitieux deuxième album de ce duo français sur lequel on n’aurait pas misé un dollar prouve qu’on peut encore rêver d’Amérique avec un pass Navigo dézoné.

Une grande tige toute droite sortie d’un épisode Disney où Neil Young aurait été fusionné avec Dingo, un petit blondinet au regard un plus vitreux qu’une porte coulissante. Sans tout réduire au physique, on ne donnait pas cher de la peau au sortir de « Green Juice », premier album paru en 2016 porté par un tube (Ann wants to dance) taillé pour ces Tiki bar où des graphistes d’agence viennent se prélasser après leurs 5 heures de travail quotidien. Il est vrai ; le premier essai de Papooz était certainement trop parisien pour échapper à la mode comme aux playlist où on les a un peu trop vite rangé dans la catégorie « nouveaux espoirs de la pop française », aux côtés de groupes comme L’Impératrice et autres comètes aussitôt arrivées, aussitôt parties. Et puis il y avai ce nom, Papooz, qui posait un vrai problème de crédibilité.

Condamné à errer sur des playlist Spotify tel Ulysse dans un monde où plus personne n’a le temps d’écouter des albums, le duo a finalement pris son destin en main. Confié la production du successeur de « Green Juice » à Adrien Durand (Bon Voyage Organisation) et bidouillé ses papiers à Barbès pour se délester du poids de l’identité française. Comme personne – pas nous en tout cas – n’attendait rien d’eux, ce retour trois ans après une musique pour brunch est d’autant plus étonnant : « Night Sketches » semble être passé de l’autre côté de l’Atlantique, plus américain que les plus ricains des albums insipides actuels, peut-être parce qu’Armand et Ulysse, à force de rêver des 51 états, ont fini par crever l’oreiller. « On voulait faire un disque émouvant, extra groovy, sexy & slow disco qui évoquerait la nuit d’un homme perdu dans une grande ville » explique le groupe, en synthèse, dans les interviews récemment accordée à la presse française – qui paradoxalement ne se presse pas des masses pour fêter cet atypisme.

Peu de concessions au marché français (pas de vrai single pour Virgin Radio), pas de gueules sur la pochette, des « vraies » guitares pas enregistrées comme Bernard Lavilliers à Memphis, de vraies sections rythmiques où le groove ne passe pas par un filtre Garageband ; ces deux-là n’y ont pas été de main morte pour rivaliser avec le « Nightfly » (1982) de Donald Fagen, mais tout en recalant à la porte tous les sons à la Steely Dan. Le fan club du bon goût les en remercie.

Résultat de recherche d'images pour "papooz night sketches"Enregistré en région parisienne, à la Frette, là même où les Artic Monkeys ont mis en boite leur récent « Tranquility Base Hotel & Casino » (cette information n’a d’ailleurs aucune importance), « Night Sketches » réussit là où Foxygen a lamentablement échoué : renouer avec le son californien de la fin des 70’s et cette idée d’une Amérique insouciante, tapant la cocaïne par plaisir et non pas besoin, soufflant le vent des palmiers avec Supertramp, se laissant aller aux confessions autour d’un feu avec les comptines de Randy Newman. C’est qu’il existe un lien fort entre l’auteur de I love L.A. (et accessoirement du You’ve got a friend in me popularisé par la B.O. de Toy Story) ; un certain art du storytelling gorgé de crème solaire et où les mots n’écrasent pas la mélodie ; où les instruments n’étouffent pas le minimum d’intelligence requis pour passer l’hiver avec de bonnes chansons « pop ». C’est de tout cela dont il est question sur  ce« Night Sketches » carré comme Jim; il a cette modeste prétention de vouloir rendre hommage à ces Etats-Unis d’autrefois. Armand et Ulysse, sachant qu’ils n’y seront jamais aussi connus que les artistes précités, ont opté pour la contre-allée. C’est à la fois courageux et risqué. Les rares artistes à avoir tenté l’expérience ont souvent terminé échoués dans un triangle des Bermudes, au milieu de l’Atlantique ; pas assez gros pour les Américains, trop inclassable pour les Français.

N’en reste pas moins que « Night Sketches » est un superbe cheval de Troie. Reste à savoir quelle ville conquérir avec telle arme de distraction massive.

Papooz // Night Sketches // Half Awake Records

Le groupe sera en concert le 1er mai au Botanique (Bruxelles), le 4 mai à Lille (L’Aeronef), le 15 mai à Paris (la Cigale).

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