Il y a toujours quelque chose d’un peu ridicule à imaginer un punk français de l’ère giscardienne en studio, caisse de bières Valstar posée sur un ampli, perfecto acheté aux puces de Clignancourt dans les mains d’une groupie sans dents, coupes de tifs dégueus pour tout le monde. Les clichés ont certes la vie dure, mais depuis la sortie de « Les 30 plus grands succès du punk » par le label Skydog de Marc Zermati en 87, les occasions de revisiter cet éphémère mouvement que fut le punk français furent rares, et surtout entrecoupés d’atroces parenthèses de rock made in France revisitant tantôt le terroir dans ce qu’il avait de plus guinguette (les Négresses Vertes), tantôt ce qu’il avait de plus engagé jusqu’au vomitif (Noir Désir). Autant dire assez de bonnes raisons pour se distancer de ce qui semblait pourtant si proche, et fantasmer les brouillons à trois accords de Ramones, Pistols et consort. Passé un certain âge, il faut pourtant être assez couillon pour réécouter « Never mind the Bollocks » sans pouffer de rire. Ceci étant dit, découvrir Asphalt Jungle, Starshooter ou Metal Urbain en 2013 peut s’avérer encore plus dévastateur. Et donner l’impression de comparer une Chevrolet décapotable à une Renault Fuego. Ne riez pas, pas plus en 75 qu’aujourd’hui vous n’auriez eu les moyens d’acheter la première.
Pouffer de rire, c’est donc l’effet que peut procurer l’écoute des titres les plus connus du punk tel qu’il fut pratiqué aux portes du périphérique, sur la période 77-82. Une fois débarrassé du cynisme en vogue qui permet à chacun d’éviter de passer pour un con, reste l’écoute des 14 morceaux compilés par Born Bad. En soi, rien d’exclusif qui n’ait pas déjà eu une première vie : le Déréglée de Marie France, le Euthanasie des Olivensteins, le Killer Man des Gasolines avec Alain Kan au chant ; tous ces morceaux ont déjà connu leur heure de semi-gloire alors que Metal Urbain paradait dans des décharges à la recherche d’une révolution qui ne viendrait pas. Trente ans après toutes ces débâcles, à la fois sociales et musicales, Born Bad donne donc une deuxième chance à ces gamins devenus comptables, contrôleurs ferroviaires ou patrons de superette, faute de mieux. Sur « Paink », exit les têtes de gondole et autres vendus au système, l’histoire avec un petit h telle qu’elle est ici racontée fait la part belle aux perdants et à ceux qui n’ont pas troqué leurs tickets de métro contre un bridge dentaire. N’est pas Jean-Louis Aubert qui veut, et rien que ça permet de croire en l’existence de Dieu. « Tous les titres de la compile sont déjà connus des gens qui s’intéressent au genre confirme JB Wizzz, mais les 45t sont tous super rares et chers car ce ne sont quasiment que des autoproduit de l’époque. Même si tu te rends rapidement compte qu’ils peinent pour l’essentiel à supporter la comparaison avec les groupes anglais ou américains. c’est quand même intéressant de voir qu’il y a un son spécifique au punk français, et quelques trucs vraiment excellents ». Et c’est vrai. Après trois mails de relance du patron de Born Bad pour savoir si un papier était prévu, difficile de ne pas reconnaître au Mescalito de Ruth Elyeri ou au 25 ans de Nouveaux Riches des qualités certaines, si ce n’est pour allumer les cocktails Molotov, du moins pour résister au temps.
Evidemment, « Paink » comporte aussi un lot d’inepties assez phénoménal, une sorte d’autoroute de la connerie sans péage où les professions de foi de nos amis les punks virent à la blague Spinal Tap. Le groupe Strychnine parviendrait presque à sonner aussi naïf que Saez (« Va jusqu’au bout de l’ennui, va jusqu’au bout de ta nuit » dans Ex Bx) quand Electrochoc avoue « cracher sur la mort » sur le morceau Chaise Electrique. C’est beau tellement c’est moche. A voir une partie de ces vieux jeunes défiler comme des milords à épingles à nourrice à l’exposition Europunk [1], on en viendrait presque à regretter que l’espérance de vie soit plus grande aujourd’hui qu’en 1977 ; une partie de la consécration posthume du punk étant d’une part factice et de l’autre révélatrice de l’incapacité du rock actuel à cristalliser toute idée d’une contestation sociale. Une fois mis de coté ce baroud d’honneur visant à momifier ces gamins qui ne voulaient pas vieillir comme leurs parents – le rock, ce grand mensonge génétique – reste une seule et grande question : « Paink » revisite-t-il seulement le punk, ou plus généralement le rock d’époque ? A en juger par la technicité des musiciens regroupés sur la compilation illustrée par Kiki Picasso, on serait tenté de pencher pour la deuxième option. Sur « Paink », le nombre de solos à la minute s’avère assez saisissant et les enregistrements – excepté le Nineteen des Dogs – bien au dessus des démos enregistrées dans l’arrière cuisine d’une pizzeria à Bagnolet.
Bon voilà, le disque est bientôt terminé. A ceux qui s’insurgent contre le fait que le punk rentre aujourd’hui au musée sur un fauteuil roulant, on rappellera que cela fait déjà des plombes qu’il était alité sur une civière dans le couloir. Reste que selon que vous aurez 20 ou 40 ans, l’écoute de cet étrange objet du désir vous donnera un air cool ou con. En réécoutant une dernière fois le Euthanasie des Olivensteins, impossible de ne pas penser au Mini, mini, mini de Jacques Dutronc, preuve qu’avant d’être un genre, le punk c’était avant tout une question de refrains imparables. Et c’est finalement l’essentiel.
Compilation « Paink : French Punk (anthems 1977-1982) » // Born Bad
[1] Dont le seul véritable intérêt consiste en l’exposition de pièces majeures du collectif Bazooka, auteur à lui seul de la quasi intégralité de l’esthétique punk d’époque, en cela rien de moins que l’équivalent français de Jamie Reid. A posteriori, le punk, reste surtout une révolution graphique, plus que musicale.
10 commentaires
Bester, je te trouve un peu injuste avec d’autres graphistes / designers / artistes du mouvement punk.
Que ce soit Vivienne Westwood, Linder Sterling, Malcom Garrett, Peter Saville (plus tard) ils ont tous contribué à l’esthétique punk
à part ça j’en conviens l’expo Europunk est d’un intérêt moyen et plutôt bancale
et concernant le punk, peut-être pas une révolution musicale, mais un genre qui a donné de grands singles en tout cas !
de « gary gilmore’s eyes » des Adverts en passant par « babylon’s burning » des Ruts ou encore « new rose » des Damned
pour ma part j’ai aussi un faible pour « automatic lover » des Vibrators, « emergency » des 999 ou encore « sounds of the suburbs » des Members !
évidemment je passe sous silence mes groupes fétiches (Undertones et Buzzcocks)
Attention Alex je parlais surtout – peut être n’est-ce pas assez clair – pour la France, coté graphisme. Et sur le fait que le punk soit surtout une révolution graphique, c’est un avis éminemment subjectif, évidemment.
Noir Désir te vomis au nez
Soyons précis sur les conjugaisons : « Noir Désir te vomiT au nez ».
merci.
Le problème avec les jeunes c’est qu’ils sont… jeunes. Et après tout, si tuer une époque et éviscérer le fantôme de sa fulgurance, ça pouvait marcher une deuxième fois, et en faire naitre une autre qui bousculerait des accords aseptisés… En attendant, je remets les Ramones sur la platine
Autant l’être, surtout que c’est peut-être la compil’ de Born Bad la moins aguicheuse que le label nous a délivrée, en ce qui concerne FPA. Veuillez m’excuser pour les/la faute d’orthographe sinon, il se trouve que j’ai 15 ans et que la musique passe avant le français.
Respect mec.
Bester : je te trouve méchant avec les Négresses Vertes et « Nevermind the Bollocks » (qui n’est pas plus ridicule que « Sergent Pepper »). J’ai liké quand même, mais ne recommence plus stp, ça me fait du mal.
professeur choron, dequanillent les TOUS/TES
PAINKMAIGRES chez rue st sabin & peu loquasses (kavec les copines!)