De plein fouet ! Pete et Jacob, deux Anglais explorateurs de musique électronique, se prennent dans la tronche la musique traditionnelle de trois percussionnistes ougandais (Henry, Jamiru et Henry), tous remontés comme des coucous. Tel est le mini Big bang à l’origine du monde de Nihiloxica. Un groupe au live hybride liant la partie sombre de la musique rituelle ougandaise avec l’aspect expérimental de la musique rave. Ces jours-ci, Nihiloxica présente « Source of Denial », un deuxième album explorant une version plus métallique de la musique du groupe. Gonzaï les a rencontrés à Berlin.
Le 16 mai 2023, Nihiloxica se produisait au Silent Green à Berlin. L’occasion pour moi de revoir ce groupe qui m’avait particulièrement marqué lors de leur performance sur la Greenhouse du Dekmantel Festival 2022 à Amsterdam. Un concert ultra énergique face à une foule de jeunes européens épris d’une énorme envie de faire la teuf comme jamais. Entre les anglais attaqués par un mélange soleil/kéta et les immenses néérlandais torses nus coiffés de leurs lunettes de cyclistes, je me frayais un chemin pour assister au meilleur live de mon festival. Presqu’un an plus tard, je retrouve Nihiloxica dans une toute autre ambiance. Le Silent Green de Berlin renferme en son sous-sol une pièce aseptisée dans laquelle Nihiloxica démarre leur show hybride entre boucles électroniques et percussions traditionnelles ougandaises face à une foule apathique. Si deux ou trois larrons se laissent embarquer par les boucles percussives du groupe en dansant comme des écervelés, le reste du public se masse assis devant la scène… Il aura fallu le deuxième morceau et une invitation plus qu’explicite des membres du groupe pour que notre public ‘snoberlinois’ se bouge le fion. Après leur show, bien qu’un peu blasé par cet accueil en mousse, les gars de Nihiloxica ont bien voulu s’entretenir avec Gonzaï sur la pelouse desséchée d’un parc de la capitale allemande.
Salut les gars, est-ce que vous pouvez m’expliquer comment s’est opérée la rencontre entre vous ?
Jacob : En 2016, j’étais à Kampala avec le label Crammed Discs pour une résidence où se tenait le Nyege Nyege. C’est là-bas que j’ai rencontré Henry, Jamiru et Henry qui formaient le Nilotika Cultura Ensemble. L’année suivante, j’y suis retourné pour démarrer ce projet. En une rencontre, nous souhaitions réaliser quelque chose ensemble. Je suis revenu avec Pete et nous avons produit le premier EP Nihiloxica sorti en 2017 sur Nyege Nyege Tapes.
Dans votre premier album « Kaloli », je ressens une atmosphère dystopique. Sur plusieurs morceaux mais aussi sur le visuel avec cette photo d’oiseau debout sur un tas de déchets. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?
Jacob : Ça représente la musique que nous écrivons à ce moment-là. L’image du Kaloli (nom de l’oiseau présent sur la pochette, ndla) a une portée symbolique. Si la grue royale est le symbole national présent sur le drapeau ougandais, le Kaloli, lui, s’affiche comme notre emblème dans un sens. L’image de cet oiseau se nourrissant de déchets nous correspond. Puis c’est aussi quelque chose que tu ne vois qu’en Ouganda. C’est très propre au pays.
Pete Jones : T’en vois davantage que de Grues Royales.
Jacob : C’est un oiseau sale et méchant. C’est très horrible à regarder et on l’a pris comme mascotte.
Pete : J’adore la musique très sombre et c’est en partie pour ça que notre projet sonne de cette manière. Ça a été rétroactif. La musique est d’abord venue comme telle. L’idée du Kaloli est arrivée après. Cette idée de vieille chose mourante correspond au fait l’âge avancé des instruments traditionnels utilisés. Même si ces instruments ne sont pas nécessairement mourants, nous les recyclons en quelque sorte. La métaphore est belle.
Tout ne sonne pas aussi sombre. Il y a aussi de l’énergie positive et optimiste dans vos productions. Notamment dans Kaloli Recycled, sorti après le Covid, on y sent même un aspect électronique très club. Ça vous a manqué ?
Jacob : C’était surtout marrant à faire. J’ai toujours trouvé ça cool de remixer la batterie. Habituellement, les remixeurs n’utilisent pas trop les percussions. C’est pourtant la première chose que je ferai si j’étais DJ ou producteur…
Il a été prouvé scientifiquement que la répétitivité de la musique électronique était capable de nous mettre en état de transe. Même chose pour la musique percussive traditionnelle et son aspect rituel. Est-ce quelque chose sur lequel vous vous retrouvez ? Comme une sorte de but commun ?
Pete : Que le public se retrouve dans cet état, cela peut être un des objectifs.J. : Quand ça arrive, on ressent directement leur énergie. C’est bénéfique. Mais c’est aussi important entre nous. Dès que l’un d’entre nous est transcendé ou au contraire ne se sent pas bien, on le capte par la manière dont il joue. Pareil avec le public. Dès que les gens se sentent bien, tu ressens une énergie similaire en toi. Le but est juste de créer un bon feeling.
Certaines boucles présentes peuvent avoir cet effet de transe. Est-ce que vous le prenez en considération dès les sessions de production ?
Jacob : Je ne pense pas que ça ait déjà été dans mon intention.
Pete : On est conscient des similarités musicales avec la techno et le métal. La première fois que nous avons entendu de la musique traditionnelle ougandaise, on a pris une claque. Musicalement, j’adore cet effet mécanique de la rencontre des genres. Quand je produis, ce n’est pas avec l’objectif d’un état de transe. J’adore la fraîcheur de cette musique et c’est la principale raison pour laquelle je la produis.
Pourquoi t’aimes autant ça ? Tu saurais l’expliquer ?
Pete : Je ne sais pas ! Peut-être parce que ça me met en transe. Quand j’écoute de la techno, c’est sûrement l’état duquel je me rapproche le plus j’imagine.
Jacob : Avoir ce live de percussions crée un sentiment très puissant que tu te prends en pleine figure. C’est quelque chose que tu ressens davantage lors de nos lives qu’en écoutant nos morceaux.
Je ne me souviens plus sur quel morceau mais j’ai eu la sensation que l’Engalabi créait une mélodie plus qu’un rythme. C’était intentionnel ? Comment on fait pour créer de la mélodie dans un groupe de percussionnistes ?
Mwanje Jamiru : Tout réside dans l’écoute. Après une première création, il y a tout un temps d’écoute et de réécoute. Quand on jamme, plus tu produis, plus tu écoutes et plus tu deviens précis. Ce n’est qu’une fois que nos rythmes sont calés que vient le groove. C’est une approche collective. On enregistre beaucoup nos jams pour se réécouter en profondeur, se synchroniser et atteindre ce groove si recherché.
Jacob : On n’écrit pas forcément les morceaux mais on parle beaucoup entre nous. “Ça n’est pas tutulututut bom mais tutulutut bom tutut” !
Pete : C’est marrant de parler de mélodies avec des percussions. Elles sont toutes inclinées et peuvent sonner différemment d’un show à l’autre. La mélodie ne vient pas de mes machines mais bel et bien du son des percussions en changement permanent.
La pluie et le beau temps peuvent aussi avoir un impact sur le son de vos percussions, c’est exact ?
Pete : Oui complètement. Au début de la tournée, elles produisent un son à la fréquence élevée qui diminue au fil des dates. L’usure au fil des concerts reste le principal facteur. Ça sonne toujours différemment entre les dates de début et de fin de tournée. On ne peut pas les accorder nous-même. Cela doit être fait par une personne spéciale. Cela nécessite pas mal de connaissances.
Sur scène, on a l’impression que vous souhaitez garder l’aspect brut de votre musique en se rapprochant parfois de l’improvisation. Vous pouvez m’en dire davantage ?
Jacob : On peut être parfois ennuyé de jouer les mêmes morceaux tout le temps. C’est pourquoi on essaye d’apporter sans cesse de nouveaux éléments excitants. D’un côté, c’est cool et sécurisant de jouer et rejouer les mêmes morceaux mais d’un autre, c’est très marrant de garder de la liberté dans le live. Même si ça peut bousculer nos dispositions, ça doit toujours nous élever. Si nous devions jouer exactement les mêmes morceaux de la même façon lors de chaque show, on aurait déjà arrêté.
C’est le cas sur « Source of Denial », votre nouvel album ?
Pete : Dans la production, il s’éloigne du premier qui était très clean. Avant nous étions vraiment très stricts sur la similarité entre l’album et le live. Mais avec cet album au son plus distordu, on se dirige davantage de libertés et d’expérimentations. Et ça fait du bien !
Jacob : Le plus appréciable pour nous, c’est de composer les nouveaux morceaux, les jouer chaque nuit, observer l’accueil du public, s’accorder et seulement enregistrer à ce moment-là.
Pete : Il y a toujours de nouvelles idées qui viennent lorsqu’on joue les morceaux en live. D’où le fait que le public a toujours une version live comprenant des extras sur certains morceaux.
Comme quelques messages plus ou moins cachés à destination du système d’administration à l’origine des conditions d’attributions des visas ?
Jacob : Oui, sur les visas et la liberté de circuler.
Henry : Particulièrement les visas britanniques.
Pete : C’est vraiment fou ce qu’il se passe avec les visas là-bas. Ça nous a foiré plusieurs shows. Et pas seulement nous ! J’ai vu tellement de groupes devoir annuler des dates pour ces raisons-là.
Jacob : Toute l’institution autour des visas, particulièrement en Angleterre, a été centralisée dans une seule administration. Elle devient corrompue et sale. Ils te font payer pour la moindre démarche comme l’impression de documents. Tu peux même payer pour accélérer ta démarche. Et il n’y a plus aucun contact humain. En cas de problème, chaque personne te répond que les décisions ne sont pas de son ressort.
Pete : Beaucoup des questions posées sont orientées vers le fait que tu peux être un terroriste potentiel.
Henry : On m’a demandé si j’avais déjà été impliqué dans un génocide…
Jacob : En Europe, la situation est plus simple car ils savent que l’on ne va pas rester. C’est vraiment ça qui les préoccupe, mais je ne crois pas que nous en avons envie. Les gars, vous voulez rester ?
Les autres : Non, aha !
NIHILOXICA // Source of Denial // Sortie le 13 octobre chez Crammed Discs et en concert à Paris le 18 novembre à la Station, dans le cadre du festival NYOKOBOP.
1 commentaire
any rotten Lydon @ vers sales ??