« Oiseaux-tempête », c’est sous cet étrange « mot-valise » que se cache un trio né un 2012. A la base formé autour d’un projet filmique avec le vidéaste Stéphane C, le groupe a depuis élargi son horizon et s’apprête à sortir un second LP prévu pour 2015… L’occasion pour Gonzaï de voir si ils sont plutôt rapaces ou moineaux.

Oiseaux-Tempête a toujours possédé une esthétique sonore et visuelle très affirmée, une particularité que le groupe doit à sa genèse ambigüe et à un questionnement constant et rigoureux apporté à la forme. Frédéric et Stéphane, les membres fondateurs, nous font faire le tour d’horizon d’un projet né d’un voyage en Grèce avec l’envie de créer un objet sonore « à cheval entre la bande son d’un film, d’une série de photos, d’installations artistiques et un album ».

Oiseaux Tempête photo
(C) Juliette Faburel

Oiseaux-Tempête s’articule autour d’une esthétique visuelle spécifique, née de la rencontre avec Stéphane C. Comment allier et trouver un équilibre entre la musique et l’image ?

Fréderic : Au départ, il y avait ce  projet de film avec Stéphane C tourné en Grèce. Ce qui nous a servi de support, c’est principalement ses photos argentiques, mais aussi des rushs qu’il à ramené de là bas : des enregistrements sonores, des bouts de vie, que l’on a fondu dans notre musique. Donc oui, il y a une esthétique visuelle qui est le point de départ. C’est une sorte de quête à plusieurs têtes. L’album est né de ça, d’interactions, d’allers retours entre la musique et l’image en tant qu’expérience empirique, plus que d’une commande.

Stéphane : Tout s’est fait naturellement, même avec notre label Sub Rosa. Quand on leur a envoyé les sons, ils nous ont répondu dans les heures suivantes, et ils ont dit banco ! On était inconnus, on voulait faire un double album, un vinyle bien chiadé, ils ont dit d’accord, et ils ont tout agencé. C’est Fred de Sub Rosa qui a organisé tout ça, toujours en coordination avec Stéphane C. On a gardé un contrôle sur tout, et c’est vraiment quelque chose qui compte pour nous. Donc oui, il y a toute une esthétique visuelle à la base, mais au final surtout une esthétique sonore. En ça, le projet a évolué par rapport à l’idée de départ – qui était de faire la bande son d’un documentaire poético-politique. Tout s’est fait rapidement et ça a donné à cet album une esthétique hybride.

L’idée de base était donc de faire la bande son d’un documentaire inspiré de la crise grecque. Comment vous arrivez à mettre en musique cette sorte de chaos ambiant, à dénoncer des choses sans paroles ? C’est un projet engagé politiquement et artistiquement ?

Stéphane : Le pari de départ était de partir de la situation grecque pour l’extrapoler à quelque chose de plus général, à un déclin de l’Europe, en tout cas d’une certaine idée de l’Europe.  Il faut se remettre dans le contexte : on était en 2012 et en Italie, en Espagne, en Grèce, c’était vraiment la merde. En France, on ne savait pas trop à quelle sauce on allait  être mangés  non plus. Après, on n’appartient pas à une organisation politique. On est des individus, des citoyens, et notre manière de nous exprimer, c’est la musique.

On vit dans un monde extrêmement divisé. Un monde qui voit la montée d’un fascisme moderne et la décomposition de l’économie

Frederic : Je pense qu’on vit dans un monde extrêmement divisé. Un monde qui voit la montée d’un fascisme moderne et la décomposition de l’économie, un monde qui laisse plein de gens sur le carreau. Le fait d’avoir un horizon bouché, incertain, rend tout le monde individualiste, en mode survie. Du coup, il y a une sorte de générosité qu’on a essayé de développer dans le projet. Cette alchimie n’est pas forcément politique, mais elle peut s’analyser comme telle. Quand on s’est retrouvés avec les fields-recording,  les enregistrements faits en Grèce, les résonances se sont faites hyper naturellement. L’objet final a pour vocation d’être une sorte de traversée de différents moments de vie en Europe. Il y a vraiment ce désir d’être ensemble, de partager, sur scène, avec les gens, et de les faire rentrer dans notre bulle.

Stéphane : D’ailleurs il y a une parole dans le disque qui dit : « on s’en sortira que si on est ensemble » …

Oiseaux-Tempête n’est pas uniquement un groupe, c’est tout un processus. On le voit dans le CD et en live. C’est quelque chose qui a besoin de s’étirer dans le temps, d’être considéré dans sa totalité, qui nécessite effectivement une extrême connexion …

Frederic : C’est pour ça qu’on a cette disposition sur scène, on n’est pas  en position frontale face aux gens, mais en triangle. On se regarde les uns les autres. On a besoin d’être dans cette écoute là. Ce dispositif fonctionne entre nous, mais aussi avec le public. On cherche vraiment une forme de magie, de transcendance, quelque chose qui, à un moment donné, nous dépasse tous et nous fasse décoller. Je pense que c’est un processus assez cinématographique : on crée des petits rushs, des petits instants et après on décide de les étirer, les raccourcir, les allonger.

Je voudrais revenir sur l’esthétique sonore en tant que telle. On se place totalement dans le courant ambient ; on vous a souvent qualifié de post rock, moi je ne suis pas trop d’accord avec ce terme.

Oiseaux Tempête : C’est bien, nous non plus ! (rires)

Je sens une grosse touche de free jazz, de l’expé bien sûr ; mais également une influence de la musique répétitive. Je me retrouve aussi dans l’éléctro indus des années 80 en Allemagne … En fait j’ai un peu l’impression d’être dans un film de Lynch ! Quelles sont vos influences ?

Stéphane : Il n’y a pas eu de groupes références ou de choses comme ça. Après oui, tu parles de musique industrielle des années 80, on se retrouve par exemple à fond dans Einsturzende Neubauten, au niveau de l’expérimentation, le fait que ce soit très électrique, qu’il y ait des claviers, du sax. Comme on disait précédemment, les fields-recording ramenés de Grèce nous ont aussi beaucoup guidés. Une fois en studio, ça nous a permis de tracer et d’organiser ce voyage, cette traversée.

Oiseaux-Tempête c’est aussi et surtout des rencontres.  Pouvez-vous me parler de celle avec le clarinettiste basse Gareth Davis ? …

Frederic : J’étais en tournée avec un autre projet et il est venu faire un featuring. On s’est hyper bien entendu, du coup on est resté en contact. On a eu une proposition de l’Eglise Saint Mery, et on a monté un spectacle autour d’un projet (Temps Zéro). On avait envie d’avoir un membre supplémentaire, un soufflant, et on a pensé directement à lui. Ca s’est vraiment super bien passé. Tellement bien, que le prochain album de Oiseaux-Tempête sera avec lui.

Nous sommes des enfants des années 80-90, et à l’époque, les disques de remixes avaient un sens.

Et concernant l’album de remixes ?

Frederic : C’est une idée qui est né avant même la sortie du premier disque. C’est un peu un rêve de môme. Steph et moi, on est des enfants des années 80-90, et à l’époque, les disques de remixes avaient un sens. On a envoyé nos morceaux à plusieurs personnes en disant : « Est ce que ça vous botte, on a pas de blé, on peut pas vous garantir que ça sortira sur un label ». Au final c’est sorti sur deux (rires) : Sub Rosa, et les copains des Balades Sonores. Et puis, à notre grande surprise, quasi tout le monde a répondu. Le premier remixe qu’on a reçu était celui de Scanner, et franchement, ça nous a mit une claque. Je pense que ce qui a bien marché dans le disque, c’est qu’il y a un esprit qui est assez proche de l’album original, et en même temps, chacun a pu y mettre sa patte, ses idées. Quand on a mis les remixes bout à bout, ça a donné une sorte de pendant du premier album, composé d’autres lectures, quasi complémentaires.

Au delà d’Oiseaux-Tempête, vous faites partis de beaucoup d’autres projets, dont deux en communs (FareWell Poetry et le Réveil des Tropiques). Comment vous arrivez à dissocier les choses et, qu’est ce qu’un projet comme Oiseaux-Tempête vous apporte en plus ?

Stéphane : Disons qu’Oiseaux Tempête est un peu a mi-chemin entre les deux autres groupes. D’un côté on a FareWell Poetry, ou chaque petite intervention est écrite. De l’autre le Réveil des Tropiques, ou pour le coup, il y a zéro réflexion, tout vient de l’impro. Ce que chaque projet nous apporte, c’est le fait de jouer beaucoup, le fait de posséder vraiment les sons, au delà de nos instruments, parce qu’on est pas franchement des instrumentistes géniaux.

Frederic : Je trouve que les trois projets se nourrissent les uns les autres, et ce pour plein de raisons, même antagonistes. Disons que toute l’énergie qu’on déploie dans le Réveil des Tropiques nous fait jouer sur la limite de l’expérimentation. Parfois tu arrives sur scène et puis tu n’as pas d’idées, tu es bloqué, mais tu es quand même en concert, donc il faut que tu envoies quelque chose. Là, tu vas être obligé d’aller écouter les autres pour qu’ils puissent t’inspirer. Et puis FareWell Poetry, une expérience cinématographique, musicale et poétique qui nécessite une extrême écoute, une extrême tension. Ce qui rejoint les trois projets c’est le fait qu’ils soient hors-format, transversaux. Il n’ y en a aucun avec de la voix chantée, les morceaux sont généralement très longs, donc ils ne passent quasiment jamais à la radio ; ils sont sur des labels pointus, mais relativement obscurs pour le grand public. En fait ils nécessitent de se battre un peu. Pour ce qui est de Reveil des tropiques, on a une cassette qui sort bientôt. Voilà, on est sur plusieurs fronts en même temps et on avance tranquillement.

http://www.oiseaux-tempete.com/
Crédit photo : Stéphane C.

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