Les amarres définitivement rompues avec son ex associé Playmobil, Nicolas Godin, 48 ans, semble avoir anticipé la crise de la cinquantaine en se mettant sous les drapeaux pour composer la bande-son très de la série « Au service de la France », à cheval entre la République gaullienne et le groove argentin de Lalo Schifrin. L’occasion de prendre le pouls du roux, sans sous-titres.
Quand on reprend les photos d’époque, celles qui ont marqué ceux qui avaient entre 15 et 18 ans à l’époque de Sexy Boy, on se dit que c’était écrit depuis le début. D’un côté Jean-Benoit, dit JB, ado zozotant fasciné par Kraftwerk et le vocoder ; de l’autre Nicolas Godin, dit Nicolas, architecte austère plus influencé par Le Corbusier que par la musique d’ascenseur.
Vingt ans sont passés ; vous n’avez rien vu, Air, si. Le premier continue de sortir des disques solos qui étouffent un peu de chercher le futur en vain, le second est resté sur ses lignes géométriques et besoins d’espace. D’ailleurs un best-of funéraire est sorti en 2016, venant sceller une carrière en apesanteur qui, à force, avait surtout fini par s’appesantir. Après l’inattendu « Contrepoint » de Godin, inspiré par Bach, ce dernier revient aujourd’hui par la fenêtre alors qu’on l’avait pas vu sortir avec la Bande Originale de « Au service de la France », diffusée sur ARTE, et renouant autant avec les films d’espions des années 60 – le scénariste était déjà derrière OSS 117 – qu’avec les disques majeurs de la période, comme « The Cat » de Jimmy Smith.
Ainsi donc, c’est en regardant dans le rétroviseur que Godin s’évite une énième comparaison avec le groupe qui l’a fait connaître, et ce même si les Versaillais ont déjà composé des B.O. Cette fois, il faudra plutôt citer les musiques de Mannix ou Bullit pour viser juste, les deux étant à mettre au crédit de Lalo Schifrin. On vous met au défi de faire la différence avec celle de Godin, qui rejoue les airs (sic) d’ambiance à la perfection dans un très bon exercice de copié-collé. Pas sûr que ça s’écoute avec la même intensité de bout en bout, mais c’est bien la preuve que même sans Air, on peut respirer. Sur ce, j’ai un rendez-vous téléphonique avec le James Bond des arrangements pour parler de son rapport aux musiques de film. Allo, Nico ?
On connaît ton amour des beaux arrangements depuis longtemps, mais c’est assez surprenant de te retrouver derrière cette B.O., moins avant-gardiste que tes derniers travaux. Ca s’est fait comment ?
J’ai toujours eu tendance à piocher des trucs dans le passé ; et pour cette B.O. le réalisateur Alex [Courtès] m’avait pitché la série en disant « tu peux faire une musique à la Lalo Schifrin, un truc à la manière des séries d’espion comme dans les années 60 ». Pour une fois qu’il n’y avait pas d’enjeu artistique, et que c’était un simple péché mignon, je n’ai eu qu’à m’enfermer en studio avec des musiciens pour jouer des trucs qu’on adorait quand on était gosses. C’était une pure récréation.
Donc le coté régressif est pleinement assumé.
Ca s’entend, je crois. On n’a été sans limites, on ne s’est absolument bridé pour faire un truc « moderne » ; pour une fois j’ai pu me dire que j’allais faire comme dans les années 60.
Faut-il comprendre que pendant des années tu as eu la pression de « sonner moderne » ?
Oui, d’une certaine façon. Quand j’enregistre un album, je pars toujours du principe qu’il colle à l’époque et soit composé avec les instruments de son temps ; même si mon inspiration quand j’étais gamin c’était les bandes-son des 70’s que j’écoutais à la télé. Sauf que sur mes propres albums, je ne voyais pas l’intérêt de refaire ce qui avait déjà été fait. Même les hommages à Ennio Morricone étaient couplés avec des plugins synthétiques… Là, on était ouverts à tout parce que « Au service de la France », c’est comme avec l’architecture intérieure et les « period rooms » : on a recrée des pièces d’époque avec le mobilier, le papier peint, etc.
Tu dis « on », mais « on », c’est qui ?
A l’époque quand les mecs composaient des B.O., ils jouaient en live en studio, sans re-recording (« Re-Re » dans le jargon). Fallait trouver des musiciens d’aujourd’hui capables de faire ça – sachant que moi j’avais envie de pousser le vice jusqu’à enregistrer sur le même matériel qu’en 1967. Donc les musiciens, ce sont les mêmes que pour mon album inspiré par Bach, « Contrepoint » : Vincent Taeger à la batterie (ex membre de Poni Hoax), Vincent Taurelle aka le roi des synthés, Ludovic Bruni à la guitare, fantastique, qui nous accompagnait déjà en tournée avec Air…
Moralité : en cas de blind test, difficile de savoir que cette B.O. a été enregistrée en 2018.
C’était le but. Mais ce côté « à la manière de », c’est uniquement car il s’agit d’un side project : je n’aurais jamais fait ça pour un disque à moi. Et puis j’ai trouvé la série très intelligemment écrite ; elle lève le voile sur certaines parties cachées de l’histoire française, et avec humour.
« La musique en fait, c’est une boucle qui se répète depuis les années 60 : c’est toujours une bande de copains qui fait un truc ensemble, ça cartonne et puis après tout le monde s’engueule. »
En lisant la documentation qui accompagne la B.O. de « Au service de la France », on remarque deux noms associés au tien : Alexandre Courtès et Marc Tessier-Ducros. Le premier est connu pour avoir designé le casque des Daft Punk, le second pour avoir cofondé Record Markers, où Air a publié ses premiers albums [avant une brouille de plusieurs années, Ndr]. Marrant de voir que la French Touch a permis de remonter à la France gaullienne.
Aha, oui. Mais tu sais on se connaît tous depuis bien avant la French Touch; on était à Versailles ensemble, au lycée. Marc et Alex, ce sont des histoires qui remontent même à avant le Bac. Quant à Marc, qui était le manager historique de Air, c’est lui qui m’a quelque part poussé vers la musique – alors que j’étais tourné vers mes études d’architecture. J’étais sûr d’avoir raté le coche, et quand lui a commencé à bosser chez Source en 1995, c’est là que j’ai commencé à composer quelques morceaux. On a cofondé Record Makers, sauf que je ne me sentais pas trop de gérer un label ; le coté artistique m’intéressait plus que le business ; et nous continuons donc à travailler ensemble. C’est une longue histoire. Ca a juste été une très mauvaise idée de vouloir fonder un label ; pour nous [Air] c’était chiant, fallait faire des réunions, l’enfer ! Et puis en tant qu’artiste, gérer d’autres artistes c’était pas mon truc. La musique en fait, c’est une boucle qui se répète depuis les années 60 : c’est toujours une bande de copains qui fait un truc ensemble, ça cartonne et puis après tout le monde s’engueule. Et le plus génial dans cette histoire, c’est qu’au départ tout est spontané pour la bande d’amis, et quand le succès arrive on est un peu surpris et après… le succès tue la fraicheur.
Désolé mais c’est relativement difficile de ne pas faire un parallèle avec Air.
Effectivement. C’est toujours pareil avec les aventures flamboyantes. Devoir composer pour justifier une nouvelle tournée, un nouvel album, c’est l’horreur ; la vraie clef de la réussite, c’est quand tu arrives à retrouver cette innocence.
Là c’est un peu l’histoire de Stardust qui vient de se reformer.
Nan, sérieux ? Les trois se sont réunis ?
Euh oui, apparemment : Alan Braxe, Benjamin Diamond et Thomas Bangalter. Pour remixer Music sounds better with you.
Merde, je ne savais pas. Dommage qu’il n’y ait pas de nouveau morceau en vue.
Bon et toi, la suite ?
Alors moi… j’ai des choses qui me tiennent à cœur et j’enregistre pour témoigner de ce travail. C’était l’idée de « Contrepoint » par rapport à Bach, et là j’ai beaucoup travaillé avec Xavier Veilhan pendant deux ans; et je transforme actuellement les musiques écrites pour les expositions en chansons sur l’architecture. Le disque s’appellera « Architectones » ; ça sortira début 2019. Voilà.
Tu seras donc passé de Bach à Schifrin puis Le Corbusier. C’est une sacrée boucle.
Oui bon en même temps, Le Corbusier c’est ma marotte, j’en parle depuis le départ. Disons que je suis en train de solder les comptes !
Nicolas Godin // OST Au service de la France // Because
2 commentaires
gode de radin