Il faut s’imaginer ne rien connaître au décor naturel dans lequel s’inscrit le nouvel album de Nick Cave. Ne serait-ce qu’essayer, on n’est pas plus bête qu’un autre. On se retrouverait dans un monde sans film explicatif d’Andrew Dominik, sans Internet, sans médias quelconque – l’époque nous y incite d’ailleurs volontiers. “Skeleton Tree“ devient alors le successeur de “Push The Sky Away“(2013), album splendide qui sonnait comme nouveau départ dans la carrière des Bad Seeds, un de plus. Warren Ellis était officiellement consacré directeur musical de la bande, remplaçant désormais complètement l’historique bras droit de Cave, Mich Harvey, sur le départ.
“Skeleton Tree“ s’inscrit dans l’exacte continuité musicale de “Push The Sky…“.
Loin des collections de chansons fortes et extravagantes qui ont fait les disques historiques des Bad Seeds, l’album proposait une sorte de divagation sonore où éclatent par endroits quelques chansons classiques, avec peu d’accords, des mélodies austères, et des mots à la pelle. Précieuses car rares, elles étaient du coup parfaitement mises en valeur au milieu d’un d’entrelacement de sons, de moitié de compositions, une sorte de musique d’ambiance (plus Lynch que Clayderman s’entend). Cave écrit les fragments de mélodies, Ellis gratte les instruments et aussi un peu n’importe quoi. Les autres disparaissent quasiment, adieu guitares et batteries.
Cette “technique“ est répliquée à l’identique en 2016, avec Rings Of Saturn et le morceau titre reprenant les rôles de Jubilee Streetet Higgs Boson Blues en 2013 (les deux pièces de résistance sur “Push The Sky…“). Autour, des ténèbres. Les ½ mélodies d’hier sont remplacées par des ¼. Les instruments semblent à peine joués, tout juste branchés. Et cette voix, autrefois si tranchante, à la prononciation précise, se fait ici empâtée, tremblante. A-t-on réellement l’envie de s’enthousiasmer sur un tel requiem ? Et merde, le mot est lâché.
On ne pourra pas pousser plus loin l’expérience. “Skeleton Tree“ se confond presque avec son contexte, c’est trop évident. Un fils de Nick Cave est décédé durant l’enregistrement après avoir chuté d’une falaise. “Skeleton Tree“ évoque constamment cet événement, parfois frontalement, parfois par divagations, au travers des mots, des sons. On ne peut éluder cette donnée de base, y rapporter chaque instant du disque. Jouer à être pareillement sombre aurait été déplacé et indéchiffrable pour les auditeurs.
Que leur reste-t-il alors?
Une clé d’interprétation, rien de plus, pour une peine qu’il est bien difficile de partager avec Nick Cave. Ce disque ne sera jamais évident. Il ne sera jamais aussi beau que “The Boatman’s Call“ ou définitif comme “Tender Prey“. Peu de chance qu’il devienne le favori de qui que soit. Pas directement. Mais pour ceux qui accepteront de souffrir le terrible cœur – ou ventre mou – du disque, soit le triplé Girl In Amber-Magneto-Anthrocene, ceux assez endurants pour entendre ces mots d’ouverture vertigineux (“You fell from the sky, crash landed in a field, near the river Adur“), ceux-là auront l’occasion de faire l’expérience d’un des plus complets exemples de clair-obscur de la pop. En ce sens, c’est un tour de force, bien plus gratifiant que certains pensums morbides proposés jusque-là (“Pornography“ des Cure ou bien sûr “Closer“ de Joy Division, pour ne citer que les plus caricaturaux).
Difficile de prédire comment vieillira ce disque une fois digérée sa bien morne toile de fond et Nick Cave renvoyé seul à sa peine. Peut-être sa noirceur se fera plus abstraite, même si l’on peut tout de même se douter que le chœur de Jesus Alone (ces “calling you“ dévastateurs), ou encore l’orgue et le “only companion“ étonnement sereins de Distant Sky continueront à hanter leurs auditeurs pour longtemps. Et si la forte émotion ressentie devant pareille proposition artistique de la part d’un artiste pop malgré tout devait se perdre en route, nous pourrons toujours nous rabattre sur “Skeleton Tree“, chanson à la beauté totale que l’on pourra écouter encore et toujours.
Nick Cave // Skeleton Tree // Bad Seed Ltd
http://www.nickcave.com/
11 commentaires
Le meilleur papier que j’ai pu lire sur cet album. Merci !
Sur le site Metacritic, qui compile les avis (oui, bof, non) des sites musicaux et autres blogs alternatifs (?), Skeleton Tree arrive en 1ère position des disques de l’année, devant notamment Beyonce, Radiohead, Bowie …
Une note moyenne de 93 sur 100, basées sur 27 « critic reviews » positives (dont 9 à 100/100 !)
Comme si ce disque échappait – aujourd’hui – à tout appareil critique objectif, emporté par le contexte émotionnel de cette « création artistique avec de vrais morceaux de douleur dedans ».
Pour ma part, je sens bien que ce disque est différent, des autres en général et de ceux de Nick Cave en particulier. Il est pour moi étrangement apaisant, au delà de la souffrance affichée (avec beaucoup de pudeur et de transcendance, si je peux dire) et de ces paysages désolés.
Ce qui me trouble, c’est d’une part l’aspect quasi immatériel de ces chansons, comme des démo dont ni le début ni la fin n’ont vraiment d’importance. D’autre part et surtout, la voix de l’homme brisé au chant hébété, qui n’est plus dans l’interprétation, sans emphase (lui qui en fut un maître par le passé).
Alors oui, c’est un tour de force, réalisé à partir de faiblesses. En cela, on peut donc lui foutre la paix, il est hors concours, hors champ, touchant juste ce que nous pouvons tous avoir de commun, confrontés à une telle situation. Certains pourront l’écouter et ressentir un réel « plaisir » compassionnel, voire étrangement esthétique ; et ce sera au delà des forces d’autres, qui préféreront détourner le regard.
Le meilleur papier que j’ai pu lire sur cet album. Merci !
Sur le site Metacritic, qui compile les avis (oui, bof, non) des sites musicaux et autres blogs alternatifs (?), Skeleton Tree arrive en 1ère position des disques de l’année, devant notamment Beyonce, Radiohead, Bowie …
Une note moyenne de 93 sur 100, basées sur 27 « critic reviews » positives (dont 9 à 100/100 !)
Comme si ce disque échappait – aujourd’hui – à tout appareil critique objectif, emporté par le contexte émotionnel de cette création artistique avec de vrais morceaux de douleur dedans.
Alors oui, c’est un tour de force, réalisé à partir de faiblesses. En cela, on peut donc lui foutre la paix, il est hors concours, hors champ, touchant juste ce que nous pouvons tous avoir de commun, confrontés à une telle situation.
Désolé pour le doublon, la sénilité me guette … et je n’ai pas trouvé le moyen d’effacer ce proche passé.
NEU!
FAUST!
einsturzende neubaten!
throbbing gristle!
FRUSTRAFROLIC!
chrOme!
!GoNG!
silver apples