L’hiver a figé le monde dans une combustion froide et lente. Dehors il fait -10°C, -20°C ressentis sur la chair engourdie. Des caténaires tombent sur les RER, l’électricité coupe, des centaines de gens crèvent de froid dans les rues, jetés là sans pitié par la crise. On contemple cette désolation avec tristesse et amertume en attendant le bus qui ne vient pas, le vent gelé dans le dos, le casque à fond sur les oreilles, une main planquée tout au fond de la poche, l’autre collée au mégot qui vous tient compagnie et vous réchauffe. Un type s’approche, me demande une clope, je ne l’entends pas mais je le devine, aux mimiques avec ses deux doigts qui viennent se coller sur ses lèvres. J’obtempère. Le type se casse en baragouinant un « ouaishe merci m’sieur » de circonstance. Le bus ne vient toujours pas, on meurt de froid. Lentement. Ne me reste plus qu’à me caler bien au chaud dans mes pensées et mes projets de chronique. Heureusement qu’il y a la musique sinon je serai déjà mort. Ou en prison. La musique industrielle qui cogne mes tympans va très bien avec cette ambiance de lutte contre les éléments et contre soi-même.
C’est peut-être maintenant le meilleur moment pour parler du premier album des Neonbirds, vous ne trouvez pas ?
Ouais, ça fait déjà quatre ans qu’on attend l’album du duo parisien Léon Loiseau et Baptiste Feuillade. Sorti en novembre, « Ignition’s cold, oxygen’s pale » prend maintenant, en ce début de mois de février en forme de zéro absolu, la pleine mesure de ce pourquoi il a été créé : parler avec mélancolie d’un monde industriel arrivé en bout de course, déshumanisé, froid comme la mort. Alors que nous sommes tous en train de nous demander ce qui va se passer, poussant le potard du radiateur électrique encore un peu plus à fond, chauffés, nourris et informés par le dieu nucléaire avec, au ventre, la peur de perdre notre job, la musique des Neonbirds replace l’humain au cœur du débat. Lui insuffle la bouffée d’oxygène nécessaire à sa survie et redonne l’espoir qu’un jour les pretty creatures trouveront la voie vers les synthétiseurs à diodes lumineuses.
Les Neonbirds distillent une électro darkwave poétique qui rappelle l’univers de Fujiya & Miyagi (We’ve got a Rocker), mais pas que. Leur art prend aussi sa source froide dans le bouillon primitif des expérimentations électroniques de Krafwerk ou de Neu!, et continue à transmettre le message d’un autre duo : Suicide, mythique et incontournable. Comment parler avec une poésie un rien désabusée de ce monde tordu dans lequel nous sommes obligés d’évoluer sous peine de nous retrouver sur le carreau ? Plus de trente ans séparent les Suicide de Neonbirds, et la question d’un renouveau porté par un mal-être gigantesque se pose encore dans cette société létale. Tout en grelottant sous mon abribus, je m’interroge. Le bus arrive enfin, je me réfugie sous ses néons froids, le chauffage à mes pieds, je me laisse tendrement bercer par While the rocks scratch at my side.
Neonbirds // Ignition’s cold, oxygen’s pale // Substitute Records
http://www.myspace.com/neonbirds