3 avril. Changement de décor, même public en plus nombreux. Ce soir c’est la release party du groupe à la Machine du Moulin Rouge, Paris, comme chacun sait centre du monde médiatique encore qu’il faudrait s’entendre sur la définition d’un point névralgique tant les journalistes fauchés qui s’entassent dans la file des invités donnent l’impression de faire la queue pour la soupe populaire. Ca tombe bien dites donc ; j’y suis aussi.
A l’intérieur de ladite salle, très grande par ailleurs, c’est soir de fête ; ça se veut soir de fête en tout cas, mais quelque chose cloche. Est-ce le vide flagrant qui remplit l’espace, ce manque de tickets vendus qui fait le même effet qu’un short XXL collé sur un anorexique ? Ou le souvenir mitigé de la séance d’écoute, un mois plus tôt, qui biaise le jugement ? Bon. J’en suis encore à me demander où ça déconne quand Mustang ouvre ses amplis pour balancer Le sens des affaires, premier single du nouvel album. « Ca ressemble presque à du Kassav chanté par Elvis » glissè-je à mon nouveau voisin. Langue de pute, job à temps plein. On reviendra plus tard sur la suite de cette soirée.
Si Mustang fédère autant qu’il divise depuis ses débuts, c’est parce qu’il y a depuis « A71 » en 2009 un malentendu, voire un mensonge, sur la réalité du groupe. Vendus certainement à tort comme un groupe de rockeurs gominés débarqués de Clermont-Ferrand avec un costume de Brian Setzer dans le coffre et Elvis dans le poste, Jean Felzine et ses deux frères de sang sont en vérité des compositeurs de variété française se servant de guitares vintage pour écrire des chansons originales. Des belles en plus, à la carrosserie bien bombée, des trucs qu’on peut faire écouter à tatie Colette le dimanche midi sans passer pour le mouton noir de la famille à interner d’urgence. Une fois mises de côté les plus nerveuses et électriques parce qu’écrites au moment de l’innocence fondatrice, reste donc de vraies chansons, celles qui n’usent pas des artifices en vigueur dans le circuit – gros riffs saturés, effets de manches cache misère, production inexistante, paroles bêtasses niveau CAP du rock – du calibre de Restons amants sur « Tabou » (2011) qu’on retiendra quand Mustang sera définitivement rangé des bagnoles, vers 2031.
Mais que pour l’heure, la carrière du groupe se construit en dents de scie. Les vrais rockeurs, ceux qui rotent en écoutant des disques Born Bad dans leur Ford retapé le dimanche en banlieue, leur crachent dessus ; les amateurs de variété, ceux qui achètent encore des disques à la Fnac après avoir lu la chronique dans Télérama, ne les connaissent pas, pour la simple et bonne raison que Mustang ne passe pas à la télé et que Stromae aura bien le temps d’écrire encore trois disques en confiant qu’il n’a jamais écouté Jacques Brel que Jean Felzine pourra encore se coller sa plume bien profond avant d’avoir prononcé la moindre syllabe au Grand Journal. De disque en disque, les gars de Mustang s’évertuent donc à tuer une contre-vérité pour crier haut et fort qu’ils savent écrire des chansons pour le grand public. Sans jamais se renier, sans avoir à mettre un nez rouge comme les zozos de La Femme pour divertir la galerie, en consacrant toute leur énergie à publier des disques à l’ancienne, avec un titre d’ouverture qui accroche (Les oiseaux blessés), le tube dans l’air du temps qui se fout de la gueule des réseaux sociaux (Ecran Total), les bluettes pour les nanas un peu moches qui veulent baiser (Sans des files comme toi, Les filles qui dansent), le titre coup de poing pour les mecs burnés (Je vis des hauts) et la ballade un peu triste vers la fin pour s’endormir (La mort merde). Le paquet est bien ficelé, mais « Ecran Total », pour celui qui ne l’écoute que d’une seule oreille, peut donner l’impression d’avoir été monté dans le désordre. Et à force de vouloir prouver son innocence, parce que vendre des disques et vivre de son Art n’a après tout rien de criminel, le plaidoyer de Mustang pour une chanson de qualité vire dramatiquement au vice de procédure.
« Ils avaient remis au goût du jour le rockabilly, les chemises Vichy cintrées et la banane gominée. Puis se sont accordé une récré en revisitant Brassens, Bashung, Gainsbourg, Don Cavalli et Patrick Coutin. (…) Ils reviennent avec Ecran total, un album réussi dont la couleur pop et la voix plus posée nous laissent espérer une prestation moins nerveuse ». (Telerama, avril 2013)
Oublions, si cela est possible, de trop nous questionner sur le concept de « nervosité » selon Télérama (une verveine en écoutant Delerm dans son pavillon de banlieue en attendant le passage à l’heure d’hiver, peut-être ?) et concentrons-nous sur l’essentiel. « Ecran Total » n’est pas à proprement parler un disque raté, et c’est probablement même tout l’inverse. Victimes d’un zapping perpétuel qui pousse le chroniqueur à pousser les disques comme l’ouvrier ses boulons sur la machine-outil, les clermontois ont les défauts de leurs qualités, à commencer par une honnêteté désarmante qui les pousse inexorablement sur un chemin exigu, pour ne pas dire dans une impasse.
Quand Felzine, certainement l’un des meilleurs paroliers de sa génération, chante son désarroi sur Le sens des affaires (« Je n’ai pas le sens des affaires / Et dans le monde où nous vivons / C’est pire qu’une tare / Qu’un bec de lièvre / C’est pire que le cancer du poumon ») et qu’il avoue lucidement son incapacité à faire de la caillasse facile, c’est autant un moment de bravoure qu’un aveu d’échec. Poussés par une motivation digne consistant à s’élever au dessus du rock de niche comme nombre de leurs copains qui préfèrent presser des 45t que personne n’achète, eux ont depuis le début cette envie, ô combien rare, de parler au plus grand nombre sans diluer leur talent. Ce qui explique en partie le tracklisting alambiqué de « Ecran Total », hésitant entre chansons radiophoniques – en gros la première moitié du disque – sonnant parfois comme du Brassens joué à la Rickenbacker et la face B, feu d’artifice de trouvailles avec quatre titres renversants, jouissifs, et cet incroyable final nommé Ce soir ou jamais, énième clin d’œil au Michel Polnareff période La Mouche, qui reste la preuve ultime que ce dernier ferait bien d’embaucher Felzine comme nègre pour son prochain disque qui vraisemblablement ne viendra jamais. Ou trop tard. Sous-employé et mésestimé par une partie du business, le leader de Mustang attend son heure ; elle est en retard, ça fait déjà trois disques qu’elle est en retard, ça commence à faire long, leur label (Sony) fait preuve d’une indéfectible fidélité, mais pour combien de temps encore, et putain t’étais où le soir de ce concert à La Machine du Moulin Rouge ?
Ce soir là, dans la salle, on croise un public majoritairement blanc. Beaucoup de quarantenaires, des filles globalement pas terribles, un banc de sardines excitées au premier rang ; plein de gens comme moi qui n’ont pas payé leur place, d’autres aussi stoïques qu’un Séquoia desséché dans le désert. Quelque chose ne tourne pas rond, Mustang mérite mieux que ça. Impeccable dans son rôle de Don Draper, Felzine se démène pour faire transpirer tout ce beau monde ; il a à vrai dire la gueule de l’emploi, le talent, un touché de guitare unique, un groupe soudé dont on comprend bien qu’ils ne seront pas du genre à aller cachetonner dans la variété M6 pour boucler les fins de mois difficiles ; bref tout ce qu’il faut. De titre en titre, on est brinqueballé entre plusieurs décennies, un coup c’est une bluffante reprise d’Elvis (Any day now) qui envoie en arrière, un autre c’est presque le groove Zombie Zombie avec Felzine aux synthétiseurs, lumières tamisées, direction le futur d’un groupe qu’on aimerait finalement plus radical, parce qu’à vouloir faire le grand écart entre ses propres inspirations et les gouts d’un grand public auxquels on ne pige de toute façon plus rien, Mustang pourrait bien finir le capot dans le mur. Quand Lescop entre en scène pour entonner La forêt avec Felzine, le groupe entre finalement dans une autre dimension avec deux cartouches de Kérosène embarquées sous les pédales. C’est à la fois beau et magistral, de voir ces deux chanteurs que monsieur Toulemonde ne comprend pas, se tenir aussi droits face au vent. On leur souhaite bien du courage pour se faire entendre; ça ne sera pas facile de se faire une place au soleil dans cette forêt là. Et c’est en conclusion à l’image d’un groupe qui a voulu nommer son troisième album « Ecran Total ». Est-ce le refus des lumières éblouissantes ou le souhait d’occuper tout l’espace ? Comme on ne sort de l’ambigüité qu’à son détriment, il existe aussi des exceptions et face à l’absence de concurrence sur ce circuit à sens unique, Mustang pourrait bien en être une. Encore faudra-t-il faire attention à ne pas inviter n’importe qui à la prochaine séance d’écoute.
Mustang // Ecran Total // Arista (Sony)
http://www.legroupemustang.com/
5 commentaires
Je dis bravo, mec.
tout est dit
article à chié et gratuit ! pour infos , 75 % des mecs qui écoute born bad c’est des pseudo branché comme vous !
si un groupe comme la femme se vend est à chier parce qu’il marche, qu’un groupe qui est plus intègre comme mustang est triste car il marche moins, que reste t il à écouter, à faire, à penser ? on est baisés, merde.
Mustang… C’est un groupe français ça?