Parmi les choses d’apparence anodine qui me terrifient, il y a les marionnettes (brrr). Mais aussi, surtout, il y a Morning Star. Première rencontre glaçante : un concert il y a quelques années, j’y étais pour la première partie (du temps où il y avait encore des premières parties potables). J’en connais qui se sont littéralement endormis dès la première demie-chanson de nos étoiles du matin. Moi, ça m’a terrifié.
J’ai tout regardé sans bouger, tétanisée, les tripes nouées par cette question terrible : mais comment peut-on produire de la musique à ce point inexistante ?
Morning Star, c’est la preuve que le vide existe. Une preuve encore moins glamour que le pschiiit que fait un paquet de café quand on l’ouvre, juste une béance sur du rien qui ne sera jamais grandiose ou capable de provoquer le moindre frisson. A sign for the stranger, leur album que j’écoute pour la quinzième fois sans jamais rien en remarquer, c’est le triste vide du quotidien. Un peu comme la détresse qui s’enracine quand il pleut, que tu fais des courses, qu’il y a un tas de monde à la caisse, que t’es en retard, qu’une petite vieille passe devant toi et que tu ne lui dis rien, que ton sac de provisions craque et que le bord du pot de yaourt te griffe méchamment le mollet, que tes bas sont foutus, que tu as mal aux pieds, et qu’un type te traite de pute quand tu passes. Rien de vraiment grave, en soi, mais au bout du compte tu as envie de courir à la mairie signer ce formulaire déclarant que tu abandonnes toute foi en l’humanité et en la possibilité de bonheur dans cette vie.
Ces petits handclaps qui viennent ponctuer les refrains, ces petites mélodies désinvoltes, cette petite voix qui tremble un peu et qu’on oublie aussitôt qu’on l’entend, ces petits rythmes détendus, ce petit écho sans conviction… ça incite à se recroqueviller dans un coin de sa salle de bain et à angoisser. Ou à sortir et à mettre deux baffes à la première personne qui passe en lui expliquant que vraiment, je suis désolée de faire ça, mais c’est pas possible de faire des ouhouhouhh, des lalalalaaa et des chœurs printaniers comme ça, bordel. Ces ouhouhouhh, ces lalalaaa, et ces dudududumm, ils sont trop polis, trop ternes, trop effacés : c’est INTERDIT d’infliger ça à un être humain.
Il faudrait de l’outrance, et Morning Star nous donne du xylophone. Il faudrait de l’âme, là où Morning Star produit une balade finale avec trois accords de piano nauséeux.
A ce stade là, il ne reste plus qu’une chose à faire : régresser au maximum, regarder Alien (en accéléré) et réécoutant ce vieux CD (gravé) de Korn que tu avais à 14 ans, s’abrutir en espérant pouvoir tout recommencer.
Mais au fond, pourquoi cracher sur Morning Star ? Pourquoi ne pas conserver un peu de bile pour ceux qui en valent vraiment la peine : La Roux, Julien Doré, Gossip (selon vos goûts) ? Ils sont gentils et honnêtes, les braves gars de Morning Star, ils n’envahissent pas notre espace médiatique, ce sont d’aimables faiseurs folk-pop probablement pleins de bonnes intentions. Et pourtant… Gossip, La Roux ou Julien Doré, c’est comme cette aigreur au creux de l’estomac après trop de bières et de gin tonic : on sait à quoi on joue, on se l’inflige consciemment et on se doit d’en rire.
Morning Star, c’est comme regarder ses bras et son décolleté après chaque demie heure passée au soleil, en se demandant quelle tache de rousseur va se transformer en mélanome.
Regarder ses bras et son décolleté avec tant de minutie qu’à la fin il devient impossible de séparer les minutes passées à apprécier le soleil de celles passées à penser à la mort.
Morning Star // A Sign For Stranger // Microbe Records