Sortir de nulle part un premier album à la puissance de feu en 1989, signer sur Creation Records, s’absenter sept ans puis remonter la pente à coups de disques expérimentaux et noisy, The Telescopes l’a fait. En 2023, la formation menée par Stephen Lawrie sort un nouvel album intitulé « Experimental Health » qui malmène à peu près tous les styles musicaux qui passent entre ses mains. Interview avec un homme qui parle peu.

Les seconds couteaux du rock underground britannique n’ont pas toujours un destin marquant. C’est même souvent l’inverse. Et les réformations 30 ans après aboutissent rarement sur une véritable renaissance musicale. Mais pour The Telescopes, tout est différent. Caché derrière Spacemen 3 et My Bloody Valentine, le groupe anglais sort en 1989 « Taste », « un doigt d’honneur aux goûts musicaux » (sic) qui nage dans un océan de drones, de feedback et de chaos sonique. L’inspiration est assumée (le Velvet post Andy Warhol) et les guitares sont saturées. Personne ne peut vraiment distinguer qui joue quoi, quand, comment et où. Ça plaît beaucoup à Alan McGee, le boss camé de Creation Record, qui se pointe à l’un de leurs concerts. Il ne reste pas (trop bruyant) mais veut quand même les signer. Stephen Lawrie accepte le deal et en 1992 sort « The Telescopes », plus psychédélique et doux — comparé au premier disque, on s’entend.

Lancé sur la nationale du rock indé britannique mais coincé entre le shoegaze et l’arrivée de la Britpop, le groupe prend une décision en 1995 jamais vraiment expliquée depuis : il s’arrête sur le bord de la route et coupe le moteur. Rien, ou peu, durant sept ans. Stephen Lawrie fonde un label (Antenna) et s’acoquine avec un groupe de Détroit pour tuer le temps (Füxa). Il forme également un projet baptisé Unisex avec son comparse Jo Doran. L’histoire aurait donc pu s’arrêter là et elle aurait été incroyablement belle et banale. Mais elle aurait surtout été classée dans les tiroirs sans revoir la lumière du jour.

En 2002, Chirac est réélu. Et The Telescopes revient par la petite porte avec « Third Wave », une ode électronique réalisée sans guitare entre Kraftwerk, le jazz cosmique et la musique de film. La machine se remet en marche. 21 ans plus tard, Stephen Lawrie ne l’a toujours pas débranché. Les albums continuent de sortir sur un rythme constant et les expérimentations menées par l’Anglais sont pour lui le point de départ et le fil conducteur de la création musicale. « Tout est une expérience, explique le leader derrière son ordinateur. De temps en temps, j’ai une image complète dans ma tête, mais il y a encore beaucoup d’expérimentations en cours quand je crée, même pour les chansons les plus basiques. Ce sont juste des essais et des erreurs, en essayant d’aller d’un point A à un point B en prenant plusieurs chemins. » Pour les explications claires et détaillées, on repassera.

Comme du Robert Wyatt sous LSD

Les vingt dernières années de la vie de The Telescopes sont denses et compliquées à synthétiser. Le groupe, sous des formes variables, improvise beaucoup, expérimente énormément, déconstruit et reconstruit des pièces musicales qui ne vont pas toujours ensemble. La seule règle, c’est qu’il n’y en a pas. Sur certains albums, comme « Hidden Field » (2015), toutes les premières prises ont été gardées. Sur d’autres, les guitares sont absentes, remplacées par une panoplie de synthétiseurs analogiques ou par des objets divers et variés — des grilles à fromage, des maillets, des canapés en cuir, des pockets operator ou du papier d’aluminium peuvent faire l’affaire. Les compositions d’un album à l’autre, voire souvent sur le même disque, peuvent aller de l’ambient au krautrock, du space rock atmosphérique à la balade hypnotique, de l’électronica à la musique minimaliste. Mais toutes ou presque procurent des sensations primitives et laissent des images en tête, comme si ces musiques contemplatives et répétitives étaient une succession de photos de l’instant T où elles ont été créées. Ou alors la B.O. d’un film en noir et blanc dont seul l’auteur aurait la pellicule. Impossible d’enfermer Stephen Lawrie dans un seul genre. D’ailleurs, quand on lui demande dans quelle section placer son nouvel album « Experimental Health » chez un disquaire, il répond : « dans le bac des musiques essentielles ». Et PAFFF : Stephen 1 – 0 Journaliste.

Sur « Experimental Health », un disque composé seul dans sa maison du Yorkshire, l’Anglais joue les Robert Wyatt psychotique. Avec ses Korg, sa flûte irlandaise, ses stylophones et ses pocket operators — des minis appareils de musique portables qui rappellent à Stephen les bruits des machines dans les hôpitaux —, il construit l’identité de l’album, couche par couche. Quand l’inspiration arrive, souvent, le résultat qui en découle est limpide, même si Stephen confie qu’il n’a pas toujours le contrôle sur ce qui sort des enceintes. Il est obligé, par moment, de laisser cette « bête » s’exprimer, comme si elle évoluait de manière autonome. Stephen : « La musique de The Telescopes ressemble parfois à une entité à part entière. Je suis obligé de suivre le mouvement. » Mais si les improvisations permettent de prendre des directions inattendues, et donc de naviguer parfois à l’aveugle sur une embarcation à deux doigts de couler, Stephen garde la main sur l’enveloppe sonore finale. Il dégrade le son et le tord pour obtenir la bonne résolution, la bonne texture. « Au moment où je faisais cet album, j’avais l’impression que la réalité était déformée. Je voulais documenter ça sur le plan sonore. »
 

Cette atmosphère difforme dans laquelle flotte The Telescopes sur « Experimental Health » oscille entre les fausses balades hallucinatoires pour enfants (The Turns, 45e, The Turns Again) — Stephen voulait apporter une « touche psychotique plaisante » — et une forme de folie créative instinctive et indomptable où les bruits s’entrechoquent tellement qu’ils finissent par former une mélodie transcendante (When I Hear The Sound, Wrong Dimension). Si l’ambiance sur ce disque donne parfois l’impression d’être dans la tête d’une personne dérangée, c’est tout à fait normal : la maladie, la démence et l’univers hospitalier sont des thèmes qui ont inspiré Stephen pour ce disque. D’où les bruits tantôt métalliques, tantôt grondeurs, tantôt assommants et assourdissants qui font scrrr, criiii, zzzzrt et kssss-kssss dans tous les sens.

Ça peut donner l’impression que cet album est décousu ou désordonné. Ce n’est pas le cas. Car n’oubliez pas que ce bordel sonique est ensuite organisé par Stephen qui harmonise le tout. Et donne aux chansons une structure dans laquelle elles peuvent s’épanouir. À vrai dire, c’est peut-être l’album le plus accessible pondu par The Telescopes depuis plusieurs années. À la fin, je demande à Stephen quel est son ressenti sur le fait qu’il soit l’un des artistes les plus sous-estimé de ces 35 dernières années. La question est conne mais pas la réponse : « Je ne suis pas là pour moi. Je suis là pour la musique. » On vous l’avez dit : Stephen parle peu. Mais il parle bien.

L’album « Experimental Health » sort le 24 février sur le label Weisskalt.

3 commentaires

  1. j’ai vu 3 fois telescope en concert ,la premiere fois c’etais circa 1991 la deuxieme en 2000 et la troisieme fois vers 2012,a chaque fois en concert c’etais un chaos démentiel ,j’ai surkiffé ,c’est des maboules

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