Que vaut la parole d’un pianiste français dans la quarantaine dans un monde algorithmique où tout se mélange, dans lequel Kanye West peut sampler sans rire King Crimson et où le rap, bon comme mauvais, invisibilise ce qui s’apparente désormais à des sous-genres ringardisés ? C’est à cette question que Mélaine Dalibert répond, sans mots, avec son premier disque chez Ici d’Ailleurs. Seul bémol : il faudra s’armer de patience ; « Shimmering » dure plus longtemps qu’une séance chez le coiffeur.

Ca ressemble à la fonte des glaces. Alors que l’érosion (quasi volcanique) des guitaristes est désormais enclenché, et que le simple fait de voir un mec blanc muni d’une sangle de guitare prête presque à rire, il semble que les pianistes soient les prochains sur la liste. La liste de quoi ? Des anachronismes. Que leur reproche-t-on ? Surement d’avoir pondu, avec la vague néo-classique des dix dernière années, des albums sur lesquels on glisse plus vite que sur l’intégrale de Nils Frahm. On avouera même, sans torture, qu’on n’a pas été au bout de Max Richter. Et derrière ce procès gratuit pour les tripatouilleurs de clavier, il y a cette idée de plus en plus acceptée que les instrumentistes n’ont plus trop leur place dans l’époque ; un piano c’est gros, c’est lourd ; tout cela est nettement moins pratique à déplacer qu’un « disque dur avec des sons ». D’aucuns diraient qu’on assiste à la victoire de la musique en streaming, écrite pour un succès immédiat (et donc éphémère) sur la musique du temps long. Une étude de 2019, à ce titre, prouvait que la durée des morceaux les plus écoutés avait tendance à diminuer : en 5 ans, ces derniers ont baissé de 20 secondes. Pas de quoi s’armer d’un marteau pour partir casser les serveurs de chez Spotify, mais un indice sur l’état mental de l’auditeur, de moins en moins prêt à accepter la longueur. Ce qui, de fait, arrange bien les marchands de contenu : plus un « produit » (on disait une chanson au 20ième siècle) est court, plus on peut fourguer de  « contenus alternatifs » (on disait une pub avant) entre chaque morceau.

C’est à peu près dans cet état d’esprit qu’on accueille le cinquième album de Melaine Dalibert, « Shimmering ». On ne va pas passer tout ce paragraphe à placer des comparatifs avec d’obscurs noms de pianistes d’Europe de l’Est ou tenter de masquer le copier-coller de la biographie ; il a sorti des albums chez Another Timbre ou Elsewhere Music, et c’est son premier chez Ici d’Ailleurs, dans la sous-collection Mind Travels, réservé aux artistes si ce n’est invendables, du moins trop précurseurs ou aventureux pour se retrouver coincés dans une playlist « Morning Routine » écoutés par des startuppers végétaliens.
On dit ça, on dit ça, mais le titre d’ouverture possède cette ambiance relaxante qui vaut au moins trois Tranxen. On notera au passage que Dalibert a forcément poncer le « Solo Piano » de Philip Glass, et que ses motifs répétitifs ont ceci de beau qu’ils tournent comme des riffs évolutifs ayant presque à voir avec le mantra. De quoi plonger l’auditeur, plongé dans les phares par trop de sollicitations, dans une détox à la fois spirituelle et musicale.

 

Là où « Shimmering » s’avère percutant (si l’on peut dire, vu le propos du disque), c’est dans sa conception même, puisque avec ses 30 petites minutes, il évacue d’office l’angoisse sur les clichés du disque de pianiste, à la fois sirupeux, interminable ou, à l’inverse, si prétentieux que seuls des alpinistes fans de Deutsch Grammophon parviendraient au sommet d’un tracklisting herculéen de 20 titres. « Shimmering », c’est 8 titres étalés sur 30 minutes, soit le temps nécessaire pour prendre du recul sur l’urgence tout en évitant de s’emmerder avec une musique d’ambiance pour instagrammeurs. Le principal intéressé nous reprochera peut-être de focaliser sur ce point, mais ce cinquième album vaut surtout pour sa concision. Ce qui permet d’apprécier ses moments de vide comme ses excursions électroniques à la Thom Yorke dans les bons jours (Mantra) ou ses moments de grâce (Untitled).

Avec des artistes comme Maxence Cyrin ou Alban Claudin, Melaine Dalibert fait donc partie de cette scène de pianistes un peu rangés sous le tapis au prétexte qu’on ne saurait pas trop quoi écrire sur eux, si ce n’est dire que leurs albums sont « beaux et organiques ». C’est bien peu en comparaison de la parenthèse qu’ils offrent tous, à leur manière, dans des vies de plus en plus rapides et vécues sans vrais temps pour la réflexion. Mais si tout cela sert au moins à prouver à une personne qu’un monde existe derrière l’omniprésence médiatique de Sofiane Pamart, c’est que les touches noires et blanches n’auront pas été écrasées pour rien.

Melaine Dalibert // Shimmering // Ici d’Ailleurs
https://mindtravels.bandcamp.com/album/shimmering

3 commentaires

  1. Bester la quarantaine voudrait qu’on le prenne au sérieux, il désire aujourd’hui passé dans les pages culturelle des canards subventionnés par l’état macronien (c’est déjà fait me dit on…) parce que Rock critic c’est ringard, alors il écoute des pianistes chiants comme un film français un dimanche vers 18 h en novembre. Patience tout est bientôt terminé

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