Temporairement échappé de son groupe Feeling Of Love, un Messin fraîchement débarqué en terre parisienne sort un premier album solo. Tu t'en cognes ? Tu as tort.

Chevelure frisée et noire de jais, silhouette filiforme, jean noir de signe slim ascendant skinny et petit blouson de cuir bien porté… Sur scène, textilement parlant, Guillaume Marietta ne réinvente rien. Ses traits fins évoquent un Syd Barrett de Montreuil. Ou plutôt un Julian Casablancas des débuts (celui d’avant le syndrome cortisone), Barrett étant finalement bien plus excentrique que ces hommes du XXIe siècle rattrapés par un monde devenu trop adulte pour supporter une véritable marginalité vestimentaire.

Sur scène, Marietta obéit donc au dogme d’une « side-culture » désormais digne d’une autoroute allemande. Les codes de l’esthétique rock sont bien là, respectés, dressés hauts mais toujours dans le sens du poil. Un poil qui devient pourtant franchement hirsute dès qu’on se penche sur « Basement dreams are the bedroom cream », premier album solo sorti (encore) chez Born Bad, label qui prend décidément de plus en plus de place dans le paysage « indépendant » en France.

Un album enregistré seul dans sa chambre, à Metz, pendant une période de désœuvrement. Devant l’amplitude du son, et la beauté de ces morceaux, conseillons d’emblée à Marietta de louer cette chambre reculée à de valeureux confrères. L’occasion pour eux de réaliser quelques économies et de profiter du karma qui semble y régner.

Inutile de slalomer entre les gouttes avant de lever les bras, ce premier album déchire sa mère. Toutes les mères. D’entrée, le japonisant et bordélique Chewing your bones rappelle des préliminaires réussis après un soir de beuverie : un petit miracle. Puis Death to the music évoque des Bats qui auraient retrouvé le mojo de la compo. A peine deux titres, et la gaule est déjà sévère. Inutile de sombrer dans un inventaire à la Prévert. En dix titres, dont le terriblement addictif Never smile ou le planant Ellie Jane, Marietta défonce 99 % des productions actuelles (en tout cas de celles qui sont passées entre mes oreilles depuis plusieurs mois, soit 0, 00047 % de la production mondiale du mois dernier). Un nouvel Iron-man de l’indie-pop délicate est né. Et il se nomme Marietta.

Ce disque est aussi l’occasion rêvée de dresser avec toi, lecteur attentif et parfois croyant, un contrat de confiance comme seules les grandes marques d’électroménager savent en offrir. L’heure n’est plus à la gaudriole, mais à la fameuse garantie « Satisfait et remboursé ». Check ?

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Gonzaï : Marietta, c’est un groupe ou un one-man band ? Vu de l’extérieur, tout ça n’est pas forcément très clair.

Guillaume Marietta : C’est très bien si ça manque de clarté. Je n’aime pas que les choses soient trop évidentes. Marietta, c’est mon nom de famille, mais c’est aussi un prénom féminin, et le nom d’une ville aux Etats-Unis. Ca se joue sur ces trois tableaux. C’est moi, et ce n’est pas vraiment moi. Après… J’ai fait deux concerts solos à la guitare folk et au chant sous le nom de Marietta mais ce soir (NDLR : Marietta se produisait le soir de notre rencontre au Garage MU, dans le XVIIIe arrondissement de Paris) on va jouer la version groupe. Pour l’instant j’ai appelé ça le Marietta Bedroom Band.

Dans cette configuration, difficile de ne pas tomber dans le côté « Guillaume et son orchestre »…

Non… J’ai toujours préféré les choses assez larges. Sinon je me serais appelé directement Guillaume Marietta. Marietta, c’est plus ouvert. C’est un côté ouvert que j’aimais aussi dans Feeling Of Love, on peut mettre un peu ce qu’on veut dedans. Sauf que là, c’est mon nom d’état civil.

Sur scène, tu joues avec des mecs de Feeling of love, de Tristesse Contemporaine, de Tits, de La Secte du Futur… Tous ces gens font partie d’une scène ou ces collaborations sont avant tout liées au hasard ?

J’en sais rien… Ces trucs de scène… Je réfléchis pas du tout en ces termes là. En tout cas, ce sont des amis. Il se trouve qu’on est un certain nombre de personnes à faire de la musique actuellement en France, donc on se rencontre. Forcément. C’est un petit pays. Je leur ai envoyé des morceaux à chacun, séparément. On discutait, je leur ai dit au détour d’une conversation que je démarrais un nouveau truc. Certains m’ont demandé d’écouter, et voilà… Tout ça s’est fait ultra naturellement. Notamment pour la version groupe. Et comme ils aimaient tous les compos, ils se sont proposés d’eux mêmes. Paul Ramon, qui est le batteur de La Secte Du Futur, voulait depuis longtemps qu’on fasse un truc ensemble. Quelque chose de plus calme, plus posé. Dès qu’il a su que j’étais sur un nouveau projet, il m’a proposé ses services. Avec Henri Adam, on se connaît depuis longtemps, il jouait avec moi dans Feeling of Love, etc…

Je me suis dit « refais comme avant, recommence à enregistrer des conneries dans ton coin comme tu faisais dans le temps, et tu verras bien ce qui se passe ».

Pourquoi te lances-tu dans un projet solo alors que tu fais déjà parti de Feeling Of Love, un groupe ?

Je suis musicien, donc mon job, c’est de composer des morceaux. Dès que j’ai un peu d’inspiration, je le fais. J’ai composé cet album pendant une période où j’avais rien à faire. J’étais tout seul à Metz, je n’étais pas en tournée. Je n’avais pas ma fille, je ne pouvais pas voir ma copine. Donc j’avais du temps devant moi. J’étais tout seul chez moi, je gambergeais. Ca me manquait… Je ne pouvais pas attendre de retrouver mon groupe pour pouvoir en faire, sinon fallait que j’attende plusieurs semaines, plusieurs mois peut-être, car tout le monde dans Feeling Of Love a d’autres activités. J’avais mon 4-pistes et je me suis dit « refais comme avant, recommence à enregistrer des conneries dans ton coin comme tu faisais dans le temps, et tu verras bien ce qui se passe après ».

T’en es où d’ailleurs avec Feeling Of Love ? Pas d’embrouilles entre vous ?

Non. On enregistre un nouvel LP depuis un petit moment mais contrairement au précédent, on a décidé de prendre notre temps. Et de n’enregistrer que ce qu’on considère comme essentiel. Cela fait plusieurs mois qu’on enregistre quand l’envie nous en prend. Toujours dans le même studio, avec le même matos, donc le disque sera homogène. On voulait expérimenter une autre façon de travailler. Et n’avoir que des morceaux qui nous plaisent à 200 %.

En écoutant ton disque, j’ai eu l’impression que la paternité t’a beaucoup marqué. Ce disque existerait-il si tu n’étais pas papa ?

J’en sais rien…Tu sais, elle est encore petite, elle n’a que 5 ans. Euh… C’est certain que le fait d’être père m’a changé, sur pas mal d’aspects. Ca doit affecter ma musique d’une manière ou d’une autre, mais je suis incapable de te dire comment. Il y a une chanson qui est pour elle sur ce disque. Elle porte son nom (Ellie Jane) et c’est donc clairement une partie du disque qui lui est dédié. Pour le coup, je voulais une balade très douce, mais c’est à peu près la même chose que j’ai fait consciemment. Quand je fais de la musique, rien n’est réfléchi. Jamais.

Les années 90, c’est d’un côté Kurt Cobain, et de l’autre Michael Jordan.

Parlons un peu de ton morceau The NBA Conspiracy. Le basket américain, c’est une passion, un hobby de jeunesse ?

Pour moi, ça représente les années 90. Ces années-là, c’est d’un côté Kurt Cobain, et de l’autre Michael Jordan. Ces deux personnes résument cette décennie. Quand je compose des morceaux, c’est par assemblage d’idées, par assemblage d’images… Quand tu vas chercher au fond de toi, il y a souvent des trucs qui ressurgissent du passé. La NBA a débarqué en France au début des années 90, et à ce moment-là, ça a eut un impact très fort sur plein d’ados, plein de gamins. On voyait ces mecs qui jouaient vite et spectaculaire. Et qui avaient la classe. Moi qui ne suis pas très sportif et qui me suis toujours emmerdé en regardant les matchs de football, je voyais enfin un sport qui allait hyper vite.

Plutôt Shawn Kempf ou Larry Johnson ?

Kemp, c’était un mec des Seattle Supersonics… J’avais des goûts très classiques. J’étais plutôt pour les Chicago Bulls. Tous les meilleurs joueurs étaient là-bas : Michael Jordan, Scottie Pippen… Et quand Dennis Rodman est arrivé, ils sont devenus invincibles. Une sorte de dream team.

En parlant de dream team, ton album sort sur Born Bad Records, un label parisien qui n’arrête pas de sortir de nouvelles références et qui représente une sorte de père à tuer pour tout micro-label qui se crée. Tu sembles avoir un lien très fort avec eux, au point de porter un t-shirt du label sur la pochette de ton disque. Sortir sur Born Bad, c’est un peu le hasard ou ça vient d’une volonté esthétique forte ?

Ca fait quelques années qu’on bosse ensemble. C’est le troisième disque que je fais avec Jean-Baptiste Guillot, le patron de Born Bad. Qu’est-ce que je pourrais te dire d’autre que ça ? Je considère qu’un label doit soutenir ses artistes, faire un travail de suivi, etc… Je ne dis pas que Born Bad doit sortir toutes les choses que je vais faire dans ma vie. On verra bien. Mais c’est un des meilleurs labels en France. En tout cas, c’est celui qui bosse le mieux pour le type de musique que je fais. J’en suis convaincu, même si je ne connais pas tous les autres labels et les gens qui les tiennent bien évidemment. Avec lui, le courant est bien passé, je m’y retrouve. Peut-être que si j’étais sur un autre label, tu ne serais pas là aujourd’hui. Disons que Born Bad fait en sorte que le disque existe. Ce n’est pas que « vas-y, donne moi tes morceaux. On va presser un vinyle ». Il se bat pour ses groupes et ses artistes. Je ne dis pas que les autres ne le font pas, mais j’apprécie sa manière de bosser.

C’est Jean-Baptiste Guillot qui t’a proposé de prendre Olivier Demeaux de Cheveu (NDLR : autre figure de proue du label Born Bad) pour mixer ton disque ?

Non, pas du tout. Mais je sentais que j’étais au bout de mes possibilités techniques en termes de mixage parce que chez moi, je n’ai pas de logiciels pour mixer, j’ai pas de carte son, je n’ai que mon 4-pistes. Donc il fallait quand même rebosser un peu mieux le mix, et j’ai pensé à Olivier pour le faire. On se connaît bien, on est potes, il sait ce que c’est que la musique Lo-Fi, il a commencé Cheveu au moment où j’ai commencé Feeling of Love, il sait ce que c’est que d’enregistrer avec du matos pourri. Bref, on se comprend, et je savais qu’il parviendrait à faire sonner tout ça sans le dénaturer.

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Le titre de l’album, c’est un hommage caché à la branlette ?

Euh… Non. Quand t’écris, des mots viennent. Faut te laisser guider par ça, sans forcément chercher un sens.

Bon OK, oublions. Tu as enregistré ce disque dans ta chambre à Metz, sur du matos basique, sur un mode Lo-Fi en effet. Ce qui est assez étonnant, c’est que je n’ai pas du tout ressenti ce côté Lo-Fi. Tu as vraiment l’impression de faire de la musique bricolée ?

Je ne me pose pas la question. Le Lo-Fi, ça avait vraiment un sens dans les années 80/90, avec les cassettes de Daniel Johnston, des choses comme ça… Mais les conditions techniques pour faire de la musique tout seul ont quand même vachement évoluées, avec ces beaux logiciels numériques qu’on a tous. Aujourd’hui, des gens font de la musique chez eux, et ça sonne aussi bien que si ça avait été fait en studio. Le fait qu’on ait numérisé les pistes et qu’on ait pu avoir un mix un peu plus clair enlève peut-être un peu ce côté Lo-Fi. Après, je m’en fous de savoir si mon disque est Lo-Fi ou pas Lo-Fi. Je n’aime pas les étiquettes.

OK, mais si t’es vendeur à la Fnac et que tu dois ranger ton disque, tu le mets où ?

Je vais plus à la Fnac, mais quand j’étais ado et que j’y allais, je ne comprenais pas leur manière de ranger les trucs : rock international, rock indépendant et chanson française. Ben… Mon disque ne rentre dans aucun des trucs. De toute façon, le genre, l’étiquette, le classement, c’est contre-productif et ça m’empêche de composer sereinement.

Franchement, tu arrives encore à écouter des productions des années 90. La plupart vieillissent assez mal, pour ne pas dire plus, non ?

Est ce que j’écoute encore des morceaux des années 90… Musicalement, je ne crois pas que ce soit la décennie qui m’inspire le plus. Ce que j’en garde, c’est plus un état d’esprit. Ce que j’arrive encore à écouter aujourd’hui, c’est les disques de Catpower, de Smog, Will Oldham, etc… A l’époque, il me semble qu’il y avait encore une vraie liberté de sortir des disques un peu casse-gueule. C’est moins le cas aujourd’hui. D’ailleurs, au départ, JB était un peu sceptique par rapport à mon album. Il ne savait pas trop par quel bout le prendre et se demandait qui ça allait bien pouvoir intéresser. Peut-être parce que j’ai composé dans mon coin, en m’amusant, sans m’occuper de l’auditeur.

Tu reprends Tiger Trap, un morceau de Beat Happening. Pourquoi ?

C’est venu de l’association Gone with the weed. Ils possèdent aussi un label cassette et ils avaient envie de faire une compilation de reprises des années 90. Les gens savent que je bloque sur ces années-là depuis un moment, et c’est assez naturellement qu’on m’a demandé d’y participer. Au départ, je voulais faire une reprise de Nirvana, mais c’est très difficile pour moi. Je voudrais bien réussir un jour à en faire une mais je ne sais pas encore comment m’y prendre. Du coup, j’ai pensé faire une reprise de Hole. Puis j’ai réécouté leurs deux albums et je n’arrivais pas à trouver un morceau dans lequel j’arrivais à m’engouffrer… Je me suis finalement souvenu de cette chanson de Beat Happening que je trouve hyper belle, et là, j’ai réussi à me l’approprier hyper facilement. Je ne suis pas un méga fan de ce groupe. Je n’ai aucun disque d’eux chez moi, juste des copies cassettes ou des CD-R, mais la construction et la sonorité de ce morceau me plaisait vachement. Le côté étiré, répétitif, c’est des trucs que je fais depuis Feeling Of Love, donc c’était une porte ouverte pour moi. Je suis toujours aussi attiré par les voix particulières.

Ado, qui a influencé ta façon de faire de la musique ?

Beaucoup de gens. C’est avec Nirvana que j’ai compris que je pouvais trouver la voie dans ma vie grâce à la musique. C’est ce mec, Cobain, qui m’a permis de voir que je pouvais trouver du sens à ma vie en prenant une guitare et en composant des chansons. Et il m’a ouvert sur toute une culture underground que je ne soupçonnais pas avant. Je viens d’un petit village à côté de Metz et je n’avais pas du tout accès à ça. Cobain, c’était une porte ouverte. La notion de passeur chez les musiciens me paraît très importante. C’est un devoir d’être un passeur. Il m’a ouvert au rock indépendant, à des auteurs de littérature underground… Et après je suis passé par la case Sonic youth, qui eux-mêmes t’envoient sur des trucs beaucoup plus larges. Et tu fais tout le temps des ricochets d’artistes en groupes tout au long de ta vie.

MARIETTA /// Basement dreams are the bedroom cream // Born Bad Records
https://guillaumemarietta.bandcamp.com

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