Elle vient du Canada, elle chante, oui c’est une femme et non, elle n’a pas grandi au collège Céline Dion. A 42 ans, la musicienne aux trois prénoms vient d’achever ses études dans le bahut situé juste en face et son quatrième album qui vient de sortir, « Des feux pour voir », est une belle rouste pour les jeunes rockeurs qui se croient arrivés en haut de l’échelle.

On n’aimerait pas être à la place des artistes francophones, qu’ils soient belges, suisses ou canadiens, découvrant les chroniques françaises sur leurs albums. Souvent stars en leurs pays, remplissant des salles entières, arrêtés dans leurs rues ou invités même sur des plateaux de télévision, ils et elles sont ici condamnés, sous la plume un peu fainéante de gens persuadés que tout tourne autour de Paris, à de rapides papiers glissés sur un coin de table où ils sont souvent traités comme d’illustres inconnus débarquant de leurs pays respectifs tels des réfugiés débutant leurs carrières. Avec l’impression qu’il faut encore tout recommencer, condamnés qu’ils sont à pousser le rocher de Sisyphe.

Des feux pour voir | Marie-Pierre ArthurUn rapide coup d’œil à la fraiche revue de presse accompagnant « Des feux pour voir » de Marie-Pierre Arthur permet de rapidement conclure que la Québécoise n’est hélas pas une exception. Bref rapide du pédigrée (nomination en 2009 aux Victoires de la musique canadienne pour son premier album), énonciation des noms (masculins) qui l’accompagnent sur l’album – comme si cela était un argument pour convaincre le lecteur – puis une rapide dissection du tracklisting ponctué d’une conclusion un peu pédante, si française, sur le fait que « c’est bien mais que ça ne cassera par la baraque ». Le cordonnier est souvent mal chaussé et chanter en français sans l’être vraiment ne permet pas d’avancer sur la case départ sans passer par la prison où le francophone pourrait bien rester coincé des millions d’années. Demandez à Ariane Moffatt ou Jimmy Hunt leur avis sur la question.

« Des feux pour voir », en dépit de sa pochette peu accrocheuse et de son nom digne d’un roman de Marc Lévy, est l’une des plus belles réussites « indie » de ce printemps sans fin. Composé avec justesse, sans jamais tirer sur le larynx à gorge déployée comme on pourrait le craindre d’une chanteuse canadienne, avec des arrangements anglo-saxons comme seuls nos voisins québécois savent en pondre, ce quatrième disque s’écoute avec la nostalgie d’un temps révolu ; celui d’une époque où les ingénieurs du son savaient enregistrer correctement une batterie (La guerre, titre d’ouverture) sur de vieux tapis épais, et où neuf titres pouvaient explorer des territoires musicaux différents sans jamais se perdre à l’intérieur.

Petite cousine de Sufjan Stevens, pour cette capacité à marier folk et électronique, Marie-Pierre Arthur arrive ici à une certaine maturité. C’est celle-ci qui permet de faire la plus belle déclaration d’amour à Depeche Mode sur le single Tiens moi mon cœur puis d’enchainer avec du funk blanc princien, tous synthés dehors, sur Dans tes rêves. Le fait que la principale intéressée soit bassiste ne gâche rien à la fête qu’est cet album coincé entre spleen et envie de tout foutre par terre.
Tout cela demande une grande maitrise ; précisément celle qui manque souvent aux artistes évoluant dans la même catégorie et souvent condamné à un succès rapide, à un âge où le songwriting n’a pas encore eu le temps de percer tous ses boutons. « Des feux pour voir », de ce point de vue, est un vin qui ne donne pas mal à la tête, avec de vrais et beaux moments de grâce (Faux, Puits de lumière), aucunement simulés, joués sans posture ni pollution de l’auditeur avec un Français souvent toxique pour l’écoute.

Espérons que les Français, confinés au sens propre et figuré, saisissent l’opportunité de l’immobilisme forcé pour tomber dans ces feux qu’on entend plus qu’on ne les voit.

Marie-Pierre Arthur // Des feux pour voir // Simone Records
http://www.mariepierrearthur.com/

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