Son dernier album « Working Class Woman » est sorti le 5 Octobre et il retentit comme un cri de détresse. L’appel au secours avant le burnout d’une Davidson qui ferait bien de s’exiler au soleil sur d’immenses plages de sable fin à boire des cocktails avec des petits parasols. Des vacances qu’elle aurait bien méritées en outre, sauf qu’aujourd’hui, la moitié d’Essaie Pas a rendez-vous avec moi.

Marie Davidson est le genre de femme que rien n’arrête. En quatre ans, elle a sorti 4 albums solo en parallèle de son groupe Essaie Pas, avec autant de tournées au compteur, et le tout en courant d’un pays à l’autre. Son deuxième titre annonce la couleur, dès les première paroles elle déclare “You wanna know how I get away with everything? I work, all the fucking time ». Du coup elle a répondu à nos questions par Skype, depuis Berlin pendant sa tournée Européenne.

(c) Etienne Saint-Denis

Salut Marie, en ce moment tu es à Berlin, où tu as vécu pendant un an. On ressent les influences de cette ville dans ton dernier album, tu l’as produit là bas ?

Il y a des pièces qui ont été composées à Berlin mais l’album a été enregistré en studio à Montréal en décembre 2017, juste quand je suis rentrée. C’est possible qu’on ressente l’influence de musiques électroniques européennes parce que j’ai beaucoup tourné et joué dans des clubs en Europe. J’ai aussi pas mal joué en Amérique, mon bagage culturel est orienté autour de la club culture mais c’est plusieurs villes, plusieurs cultures et plusieurs personnes qui m’ont inspirées.

Quelle est la ville dans laquelle tu préfères travailler ?

J’aime beaucoup Lisbonne mais peut-être que Rome est ma ville préférée. Pour être honnête, j’ai jamais trop de temps pour visiter les villes. Quand je travaille, je travaille.

A quel moment as-tu su que ton album était terminé ?

J’avais choisi mon tracklisting avant d’entrer en studio et les pièces étaient déjà composées. J’avais les séquences, les beats, les percussions, les rythmes, les mélodies, tout était déjà prêt. Quand je suis entrée en studio j’avais déjà une bonne direction, je savais ce que j’allais enregistrer. On a commencé à faire le cracking mi-décembre et on a tout terminé avec le mix fin janvier. Ça m’a pris 5 semaines.

Pour ton projet solo, tu as sorti en tout 4 albums en 4 ans avec autant de tournées, c’est un rythme très soutenu. C’est compliqué d’être une « working class woman » ?

En tout j’ai sorti 6 albums en 4 ans (avec les sorties de Essaie Pas) mais il y a eu une scission de deux ans quasiment jour pour jour entre « Adieux au Dancefloor » et « Working Class Woman ». Composer c’est ma passion donc c’est facile pour moi. Le plus dur c’est d’enchainer les tournées. J’aime beaucoup l’énergie du live, j’aime jouer pour le public, j’aime l’échange d’énergie mais les voyages, les soundchecks, les transports, c’est vraiment épuisant. Mais bon ça fait partie de mon travail, c’est ce qu’il faut que je fasse et j’accepte de le faire pour pouvoir pratiquer le métier que j’ai toujours voulu faire. Je peux pas vraiment me plaindre.

« Je suis très focus. »

Tu arrives à coordonner tous tes projets ?

Oui ça c’est pas un problème. Je suis quelqu’un de très assidu et focus.

D’où le nom de ton album.

Bien sûr ! C’est un clin d’oeil par rapport à ma personnalité. Je suis une femme très travailleuse, obstinée et obsessive. Je ne fais pas ça pour avoir une grosse carrière et épater tout le monde, mais par rapport à moi-même j’ai tendance à mettre la barre assez haute.

(c) Etienne Saint-Denis

On entend plein de dialogues, comme sortis de films, tu aimerais écrire des pièces de théâtre par exemple ?

En fait certaines des pièces de l’album viennent d’un spectacle de théâtre multi-disciplinaire qui s’appelle Bullshit Threshold, un spectacle que j’ai fait à Montréal et au festival Sonar il y a deux ans. C’est un show multimédia que je fais avec deux artistes vidéastes et photographes de Montréal, avec beaucoup de textes parlés, beaucoup de musiques électroniques. C’est une sorte de one-woman show où j’interprète plusieurs personnages comme un monologue à plusieurs voix avec des parties instrumentales. Il y a plusieurs caméras sur scène qui me filment pendant que je joue, des caméras infra-rouges, et les images sont projetées en direct sur un grand écran. C’est très psychédélique et onirique comme expérience, ça parle de médias sociaux et de relations humaines. Donc pour répondre a ta question : oui j’aime beaucoup le théâtre et le cinema. J’aime les films de John Cassavetes et Rainer Fassbinder qui m’inspirent beaucoup.

Ça ne m’étonne pas, ça se ressent dans ta musique.

J’ai étudié le théâtre au collège avant de quitter l’école pour faire de la musique et me lancer dans un parcours musical expérimental. Au départ je voulais devenir comédienne.

« Mes albums sont mes journaux intimes, ils racontent des phases de ma vie ».

Est-ce que c’est comme une auto-psychanalyse de produire de la musique ?

Ma pratique est très cathartique (c’est un mot qui vient de la tragédie grecque au théâtre mais qu’on utilise maintenant pour dire que ça aide à faire passer des émotions). Au départ j’écoutais de la musique pour l’amour de la musique. Ensuite, j’ai créée mon projet solo pour faire face à une dépression, pour m’aider à prendre confiance en moi. La vingtaine n’a pas été une période très facile pour moi. On ressent bien l’aspect psychologique sur ce dernier album. Je suis une psychanalyse en ce moment avec un psy jungien (basés sur l’école de pensée de Carl Jung qui est beaucoup plus libre et agréable que l’école Freudienne). Donc oui, la psychologie a aussi eu une grande incidence sur l’album. Par exemple je ne tiens pas de journal, je me sers de ma musique pour ça. Je prends des notes dans mon téléphone, je note des phrases que j’entend ou qui me viennent, un concept, une idée, un état d’âme. Mes albums sont mes journaux intimes, ils contiennent des bribes de ma vie, racontent des phases.

Qu’est-ce qui te stimule le plus, ton projet solo ou celui avec Essaie Pas ?

L’un et l’autre s’alimente, ça dépend des périodes. Peut-être que mon projet solo est plus personnel donc je ressens un niveau d’engagement plus profond mais que je retrouve aussi dans Essaie Pas. Le groupe existait avant mon projet solo, c’est celui qui a le plus de longévité.

Plutôt format club ou format concert ?

Le format club, même si c’est plus fatiguant. Bien sûr, ça peut être parfois très décevant, si c’est un club mainstream, les gens sont là sans vraiment savoir qui ils viennent voir, ce sont souvent des touristes ou des gens qui veulent se défoncer. Mais en général, quand c’est dans un bon club avec une bonne programmation et une bonne ligne directrice, ce sont les meilleures soirées. Il y a une ambiance, une profondeur, il fait sombre. Ce que je préfère c’est quand il y a un très bon système son. Pour vivre ma musique il faut que le son soit très fort, qu’on entende toutes les couches. C’est pour ça que souvent le mieux c’est le club. Plus le public a envie de se laisser aller, mieux c’est.

« Je pense que mon projet autour de la musique de club touche à sa fin. J’ai l’intention de faire un album de chanson. »

Je me suis toujours demandé si les artistes écoutaient leur propre musique chez eux, est ce que c’est ton cas ?

Non pas pour moi. En général j’écoute beaucoup de musique classique, d’ambiant, ou même des musiques de film. J’écoute encore de la techno ou de l’italo disco mais seulement quand je fais mon sport. Comme ça, chez moi c’est pas ce qui me vient naturellement. J’en écoute assez dans ma vie professionnelle. 

As tu prévu de réorienter ton style si tu es las de la techno?

C’est sure que je vais faire autre chose, j’ai déjà d’autres plans. J’ai besoin d’essayer d’autres styles. Je ne faisais pas de techno avant, ma musique est influencée par ça mais aussi par plein d’autre styles comme l’italo, la house ou l’EBM. Je pense que mon projet autour de la musique de club touche à sa fin. J’ai l’intention de faire un album de chanson.

Comment définis tu ton style qui est assez hybride ?

De la musique électronique pour la dance. C’est presque existentiel. On pourrait presque parler de « techno existentielle ». C’est pas mal, non ? 

« Working Classe Woman » est disponible en CD, vinyle et digital depuis le vendredi 5 octobre 2018 via le label Ninja Tune. Elle sera en concert à Petit Bain le 31 octobre avec Oktober Lieber et le lendemain au SOY Festival de Nantes.

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