Que reste-t-il de nos amours, quand l’embonpoint amortit les coups de cravache, que nos héros d’hier ressemblent désormais à du triple gaine engoncé dans des futals en cuir où la cellulite se dispute étroitement avec la ménopause ? Samedi dernier, au 104 de Paris, une bande d’écervelés nostalgiques du No New York avait décidé de sortir le disco punk du caveau pour relustrer une dernière fois ses momies glorifiées, Lydia Lunch en tête. Illustrée par des gribouillages niveau CM2 signés Bazooka, une étrange soirée diapositive qui mixait les années Palace et l’esthétique Punky Brewster, trente ans après la sortie du brulot 13 13, forcément réédité ces jours-ci. La nostalgie, camarade.
La soirée avait pourtant bien commencé. Vouloir faire sauter de vieux châssis rabaissés dans un établissement étatique ayant plus à voir avec le Kremlin qu’avec la Factory, fallait saluer le tour de force. Les hipsters avaient sorti leurs plus belles perruques, ça et là on croisait même des crêtes, quelques couleurs fuschia, comme une stridence de ce que fut la période 1976-1981, le tout mixé avec des stands de art-hair, des bains chauds et des bières à trois euros. Le rêve à portée de main, dans un grand espace institutionnel doublement non-smoking, avec pour têtes gondolées Patrick Vidal (Marie et les garçons), James Chance (lui n’aime pas vraiment les garçons) et Lydia Lunch, mamie du post-punk connue pour avoir déjà fait débander plus d’un mâle.
Faisons une pause, s’il vous plaît, dans cet article qui est parti pour être sacrément décousu ; arrêtons-nous un instant sur Lydia Lunch, héroïne peu connue de l’histoire du rock que le savant lettré des squats cite souvent pour épater la galerie. Née le 2 juin 1959 et émigrée dès ses seize ans à New York – source Wikipédia, pour plus d’infos merci de prendre contact avec les dealers présumés – Lydia rencontre très tôt Suicide et le cri primal, cette étonnante façon de concilier le beuglement, le finger fuck et les guitares désaccordées. Lorsque Taxi Driver sort sur les écrans, Lydia invente la no wave à sa façon avec un groupe éphémère nommé Teenage Jesus and the Jerks. Accompagnée par James Chance, Lydia cite Jesus, okay, mais n’avale pas. Ou si peu. Son truc, in the late 70’s, a plus à voir avec les aiguilles et la punk attitude qu’avec le romantisme de West Side Story. Passée – comme beaucoup de new-yorkais déviants – par la case Ze Records, Lunch publie Queen of Siam deux ans après la mort de Claude François, enchaîne deux ans plus tard avec The Agony is the Ectasy, accompagnée par des Australiens nommés Birthday Party (L’un de ses membres deviendra connu bien plus tard avec une moustache, sauras-tu le reconnaître ?). En 1981 sort 13 13, que beaucoup d’amateurs du punk couleur tesson de bouteille considèrent comme le climax de Lunch, son apogée punk avant la grande déconfiture et trois décennies à ramer au milieu des spectres. Seule contre tous, Lunch aurait dû cramer d’une O.D., se faire la malle avec le shoot de trop, finir pauvre comme Job dans un deux-pièces moisi du Bronx. Pourtant, trente ans après la sortie de 13 13, pas vraiment superstitieuse, la vieille se tient droite comme la justice devant un parterre de Parisiens emmanchés à peine assez punks pour crier son nom entre deux titres. Une salle plus loin, Patrick Vidal assure le Dj set pour d’autres babas stoïques même pas foutus d’enchaîner deux pas de danse, et les bains chauds semblent avoir plus de succès que la douche froide du post-punk. Ah ça pour sûr, elle est belle la contre-culture, une fois démaquillée.
Sur la scène du 104, l’ex-Teenage Jesus and the Jerks a de beaux restes, une grosse paire de loches qui se regardent de travers, ainsi qu’une voix rocailleuse à sucer du granit tous les matins. Lydia, contrairement à beaucoup d’autres, a su se reconvertir, elle et ses vestiges. Jadis dénudé jusqu’à l’os, son rock a pris – comme elle – en épaisseur, plus proche d’un blues à la Jim Jones Revue que du New York primitif et natal ; les riffs acérés de James Johnston (des Bad Seeds, tiens tiens) épaulent mémé qui joue la meneuse de revue à vociférer sur le public bobo qu’elle trouve certainement un peu con-con. « Tu trouves pas qu’on dirait une mama italienne un peu vener’ ? » glissais-je à mon voisin. « Ouais, mais j’aimerais pas manger ses pâtes » me répond-il. Il a pas tort du reste, Lydia Lunch, en dépit de sa cinquantaine bien avancée, reste mille fois plus passionnante que Patti Smith et ses postures de prêtresse d’Harvard, version magnétique et vénéneuse d’une Marianne Faithfull qui aurait échappé à la rehab’.
En réécoutant la réédition de 13 13, puisqu’il faut bien en parler, on entend les squelettes d’une autre époque, la désharmonie d’un monde ancien, Charles Manson faisant le spiritisme avec les enfants du grunge, Kurt Cobain faisant ses gammes sur la tombe des seventies, la grande désillusion du début des années 80, berceau de mensonges pour ces new-yorkais qui avaient cru que conquérir le monde serait aussi facile que de remplir le CBGB. Musicalement, Lunch y apparaît telle une Jeanne d’Arc à position variable, tantôt héroïne christique à la recherche du paradis perdu (This side of nowhere), tantôt Marie putain prête à tous les coïts pour remplir le grand vide (Suicide Ocean). En collant l’oreille sur le papier peint décollé, on jurerait presque entendre Cure, REM (dans une version nettement plus agressive et moins conformiste, loin des college radio, je vous l’accorde) ou Nirvana, radeau médusé d’un rock pas encore à la dérive. Episodique par certains aspects certes, mais symptomatique d’une époque qu’on pensait certainement sans lendemain, 13 13 signe la fin de la guerre froide, dix ans avant la chute du mur. Voir Berlin et mourir, s’appeler Lydia Lunch et… survivre ?
Fatigué par les couleurs criardes et le sentiment de fête subventionnée entretenu par tous ces graphistes trentenaires, j’avais fini par quitter le 104 et son triste revival couleur sépia. « La tradition c’est comme un feu de bois, il faut savoir souffler sur la braise, et non sur les cendres ». Lydia Lunch, vieille femme à la bûche, se consumait à petit feu depuis trois décennies déjà ; les autres auraient dû éviter d’avaler l’extincteur.
Lydia Lunch // 13 13 // Le Son du Maquis
http://www.lydia-lunch.org/
7 commentaires
Rien sur le concert de James Chance?
Non et c’est un peu injuste, c’est vrai – du moins c’est comme ça que j’interprète votre commentaire. En guise de consolation, un lien vers la rencontre avec James, voilà quelques mois: http://gonzai.com/james-chance-en-interview-get-up-get-on-up-stay-on-the-scene-like-a-sax-machine
La « môme » Lynch a encore du mordant (et de l’amour) à revendre : http://livres.fluctuat.net/lydia-lunch/9641-chronique-Entretien-avec-Lydia-Lunch.html
Vous verrez, quand vous aurez 50 balais 😉
ça aurait été bien de parler aussi de son livre Déséquilibres synthétiques publié Au Diable Vauvert.
Déjà fait ici : http://gonzai.com/lydia-lunch-desequilibres-synthetiques
ah sacré gonzai mag, toujours à chier sur ses partenaires (y’a votre logo sur le site du 104). merci en tout cas pour cet article bien documenté ! gros bisous lethal
Eh bien je prends ça pour un compliment, on ne pourra nous reprocher d’être des vendus, c’est déjà ça!