L’une des cheffes de fil(l)e(s) du label InFiné/CryBaby défendait vendredi dernier son deuxième album intitulé Carnaval sur la scène du Centre d’arts d’Enghien-les-Bains (CDA), après une fête de lancement au 104 en avril dernier et un passage au Printemps de Bourges. Et ça valait le déplacement.

Avec elle, il se passe toujours quelque chose. Et il ne s’agit pas simplement de musique. L’expérience du concert est pensé comme un art total qui met chaque sens ou presque en émoi. C’est bien sûr une affaire de lumière, toujours travaillée avec soin avec le collectif Scale à nul autre pareil quand il s’agit de sublimer l’univers de la percussionniste et de son ensemble. Quand on sait que le prénom Lucie vient du grec ancien lux, qui signifie lumière, on se dit presque que c’était écrit. Il s’agit aussi de scénographie, avec des corps qui ne bougent jamais vraiment au hasard, avec une énergie franchement contagieuse : il fallait voir le public assis hurler fiévreusement pour encourager leur championne tels les spectateurs du champ de courses voisin puis trépigner sur place, se mouvoir autant que possible dans l’espace du siège en espérant l’agrandir pour finalement céder à la tentation de ne plus s’asseoir et de danser comme l’impose le rythme. Du turf sans véritable enjeu car la gagnante est connue d’avance.

Ce n’est pas un hasard si l’alchimie opère dans un lieu comme le CDA, lieu bien connu des expérimentations artistiques numériques hybrides qui accueille de nombreux artistes et scientifiques en résidence. Les salles de musiques actuelles semblent presque sous dimensionnées par rapport à l’ambition de Lucie Antunes de proposer un spectacle total, à la croisée des arts.

Pour cette raison, la musique de « Carnaval » s’épanouit sur scène (dans des lieux triés sur le volet) plus que sur disque, quand bien même il s’agit d’un très beau disque. Car cette musique est vivante, dansante, elle régénère et crée du lien.

Un esprit grincheux dissertait à haute voix dans les couloirs de la salle à la sortie du concert. Il disait, en substance, que c’était toujours un peu la même chose au fil des chansons. Je suis persuadé du contraire et trouve fascinant de parvenir à jouer avec autant de variété et de nuance à partir de schémas rythmiques certes similaires. Mais si on est allergique au kick et aux rythmes binaires à quatre temps, il faut peut-être envisager d’aller voir autre chose…

Il y a tellement d’autres ingrédients, de jeux de timbre et de textures qui donnent à la musique de Carnaval sa richesse : les cloches tubulaires frappées par Louise Botbol qui résonnent avec le vibraphone de Lucie Antunes, des voix d’humanoïdes très kraftwerkiennes dans leur traitement, les nappes et effets divers des synthétiseurs modulaires de Laurent Berthoux, sorte d’alchimiste du son, et le groove qui s’installe avec une telle impression de simplicité qui se dégage de Clémence Lasme à la basse, au synthétiseur basse et aux chœurs. Sans parler bien sûr des sifflets et de toutes les sortes de percussions, cowbell, shakers, chékéré,, tôle ondulée et j’en oublie sans doute.

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Carnaval

Le résultat tient effectivement du carnavalesque, au sens festif du terme, de la parade marchée ou dansée (c’est bien là le rôle de la grosse caisse) qui réunit des gens aux accoutrements divers. Carnavalesque au sens bakhtinien du terme aussi (pardonnez mon tropisme d’ancien étudiant en lettres), soit ce qui permet de renverser un temps l’ordre établi. C’est particulièrement sensible sur le morceau Vous êtes parfait.e.s, ode à la non-binarité triomphante chantée en langue inclusive. Le carnaval, ce n’est pas uniquement la jovialité béate, mais c’est parfois l’occasion de songer à des choses moins légères. C’est la fête qui défie la mort, la toise (je pense à la mort représentée par un homme déguisé en squelette au milieu du désordre festif du caractère  dans le film Orfeu negro de Marcel Camus, mais parce que je n’ai jamais participé à un carnaval dans la vraie vie, excepté celui du soir).

Pour moi, ce concert c’était un peu tout ça soit une expérience riche et à portée de Pass Navigo.

Lucie Antunes // Carnaval // InFiné
https://lucie-antunes.bandcamp.com/album/carnaval

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