Dans l’histoire de France, celle où chacun doit choisir son camp, la carrière de Jean-Philippe Goude peine à trouver sa place. Mais dans l’histoire de la musique au sens large, la trajectoire de cet incurable autodidacte mériterait à elle seule un complètement d’enquête : s’il a écrit le célèbre générique de l’émission éponyme, on lui doit également le Mistral gagnant de Renaud, une participation discrète dans un groupe zeuhl inspiré de Magma (Weidorje) et surtout quelques-uns des plus beaux disques de musique contemporaine des 30 dernières années. A l’occasion d’un nouveau disque inespéré (« Le salon noir »), il ouvre à Gonzaï les portes de sa grande musique de chambre.

« Je suis toujours surpris qu’on s’intéresse à ma musique ». A peine entré chez lui avec caméra et lumières, que Jean-Philippe Goude s’interroge. Pourquoi deux énergumènes ont-ils décidé de débarquer chez lui en ce beau lundi d’hiver pour lui faire déballer son histoire ? N’est-ce pas suspect, finalement, que de s’intéresser à ce chef d’orchestre solitaire menant depuis 30 ans sa barque loin de l’industrie du disque confectionnant des albums comme on mettrait des flageolets en conserve ?

Pour moi, l’histoire avec Goude a débuté voilà quinze ans ; à une époque où des Cds promotionnels étaient encore envoyés aux journalistes. L’objet sur la table : « Aux solitudes ». Un album empaqueté dans une pochette anti-consumériste du plus bel effet (qui sera d’ailleurs plus tard plagiée par Saez) et où le Français s’amusait de sa passion pour Guy Debord en dénonçant la société du spectacle à sa manière, avec violoncelle, clarinette, ondes martenot (par Christine Ott) et chant contreténor, en la personne de Paulin Bündgen. Autrement dit : quinze moments d’éternité à rebours de l’époque, déjà, et qui résonnaient comme autant de contrepoints à la modernité vendue par paquets de douze dans des pubs dont il composa pourtant nombre de musiques, de SFR aux cigarettes Gitane en passant par Flunch ou encore Mr Propre. Et c’est ce même homme-orchestre invisible qui osait publier en 2008 cet Ovni néo-classique doté de perles comme Market Diktat Song ou Embarqués dans les pentes. Un art du grand écart dont je ne mesurais pas encore toute la longueur.

Back for Goude ?

C’est que « Aux solitudes » portait sans le savoir bien son nom. Dans la foulée de cette sortie : plus rien pendant quinze ans, perte de signal radio, Goude aux abonnés absents, en prise à la fois avec ses démons (une quête de légitimité jamais vraiment soignée, sans doute) et le refus de céder à l’urgence du temps pressant. « Il y a des années où l’on a envie de ne rien faire », dixit Pierre Barouh du label Saravah, où Goude signa ses premiers morceaux au début des années 70. Et puis aussi, des années où l’envie redevient trop forte, et donne naissance à des disques impossibles à dater au Carbone 14, comme ce « Salon Noir » publié chez Ici d’Ailleurs fin 2023, et qui vient conclure quinze ans de méditation de la plus belle des manières, avec un argument marketing implacable tant il est peu vendeur : c’est l’histoire d’un Français inconnu du grand public qui décide de rendre hommage aux premiers hommes de la Préhistoire utilisant les grottes comme des instruments de musique et qui, 18 000 ans plus tard, fait chanter ensemble piano et instruments à cordes pour ce que l’Humanité compte encore de gens prêts à écouter, plus qu’à entendre. Un vaste challenge à la hauteur de celui qui décida de tourner le dos au système après y être entré par effraction en contribuant aux plus gros tubes de Renaud et qui, comme William Sheller en son temps[1], préféra pisser dans un violon plutôt que de chanter pour des sourds.

Telle est donc le pitch de l’histoire de Jean-Philippe, à ne pas confondre avec celle de son homonyme Jean-Paul (à qui l’on doit notamment la pochette du « Island Life » de Grace Jones) et qui montre que aussi imparfaites soient-elles, nos vies méritent parfois d’être vécues, ne serait-ce que pour tomber sur des anomalies aussi impeccables.

Jean-Philippe Goude // Le Salon Noir // Ici d’Ailleurs
https://jean-philippegoude.bandcamp.com/album/le-salon-noir

[1] Avec son album « Œuvres pour Quatuor », 2003, qu’on vous recommande.

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