En septembre 2013, Angers accueillait pour la première fois la déclinaison française du festival très réputé d’Austin, à une époque où le revival psyché était partout. Dix ans après, Levitation France a enterré la concurrence et les autres versions internationales du festival dans un contexte qu’on a connu plus porteur pour la musique psychédélique (et les festivals en général). Quel est le secret de la potion magique made in Levitation ? On a posé la question à Christophe « Doudou » Davy et Marion Gabbaï, respectivement organisateur et programmatrice de l’événement.
Quel regard portez-vous sur l’évolution du festival au cours de cette première décennie ?
Marion Gabbaï : Au départ, il y avait moins d’artistes programmés. Mais aujourd’hui a on a plus de place, ce qui permet d’ouvrir un peu le festival, artistiquement. Par exemple en touchant un tout petit peu plus le grand public comme on le fait cette année avec les Dandy Warhols et Altın Gün. Et puis parfois, on peut aller encore davantage dans des niches, en sortant du rock psyché classique qui faisait un peu l’ADN du festival les trois premières années.
Doudou : Il y avait quatre festivals Levitation dans le monde il y a quelques années, et maintenant il n’y en a plus que deux : celui d’Angers et bien sûr celui d’Austin. Donc je tire un bon bilan car dix ans après : le festival existe encore. C’est satisfaisant sachant qu’on est dans une économie fragile avec un genre artistique qui n’est pas évident à défendre en France et même ailleurs, de manière générale. On a commencé en se demandant ce que Angers et Austin pourraient faire ensemble, sachant que les deux villes sont jumelées. Je suis un ami des Black Angels [Doudou est également leur tourneur en France via sa boîte, Radical Production, ndlr], et ça a commencé comme un truc de potes. Les trois premières éditions correspondaient à un gros concert en salle sur la scène intérieure du Chabada (900 places) avec une petite scène dehors (500-600 places), c’était bien fait mais quand même un miniformat très amateur. Quand on a déménagé au Quai pour la quatrième édition, on est passés à une capacité de 2000 personnes, ça nous a permis de nous adresser à d’autres types de groupes et d’avoir une organisation un peu plus structurée et professionnelle. Donc on est partis de quelque chose qui aurait pu s’arrêter au bout de 3 ans, mais qui a trouvé son rythme de croisière depuis 5-6 ans. On est un festival qui grandit lentement et sûrement et qui n’a pas vocation à devenir très gros, car la ligne artistique évoluera mais ne changera pas beaucoup. Ce ne sera jamais un festival grand public ou commercial, mais l’évolution est nécessaire pour ne pas tourner en rond. C’est pour cette raison qu’on aimerait passer encore à un autre stade car on a une problématique de site pour le festival à Angers.
J’allais justement dire que même si le lieu occupé par le festival depuis 2021 (le parking du Chabada) a l’avantage d’être en plein air, il n’est sûrement pas idéal pour le festival. Pourquoi avoir quitté Le Quai, qui a accueilli Levitation France entre 2016 et 2019 ?
Doudou : Le déménagement du Quai a été forcé. Quand Thomas Jolly est arrivé à la tête du Quai, Levitation n’était plus une priorité et on nous a fait comprendre qu’il fallait aller ailleurs, donc on a été contraints de partir, très clairement. Et on n’avait pas beaucoup de possibilités pour remplacer Le Quai sans réduire la capacité d’accueil du festival. Je voulais aussi que le festival reste en ville parce que je n’ai pas envie de l’organiser dans la campagne. Avec cette contrainte, la seule opportunité qu’on avait, et qui n’est pas mauvaise, c’était de retourner au Chabada. On y met des grosses scènes et on essaye de monter un site qui a un peu de gueule, mais on est quand même sur un parking, avec les limites de convivialité que ça implique. C’est pour cette raison que c’est un lieu de transition.
Le festival va donc déménager à nouveau ?
Doudou : Oui, d’ici quelques années, peut-être dans un parc, adossé à une nouvelle salle de musiques actuelles, derrière la patinoire d’Angers. Ce serait sympa, il y a un skatepark et on serait encore plus proches du centre-ville, à 10-15 minutes à pied de la Place du Ralliement avec un arrêt de tramway à 100 mètres. Ce serait moitié moins loin que le Chabada aujourd’hui. Et la capacité serait supérieure (on espère passer d’une jauge de 2200 à 4000-4500), ce qui nous permettrait de nous adresser à des groupes un peu plus connus. On pourrait s’appuyer sur la nouvelle salle prévue, qui pourra accueillir 1200 personnes, sans compter un club avec une capacité de 400 places. Donc cela aurait vraiment du sens qu’on s’affilie à ce projet car c’est le lieu évident et idéal. La ville est d’accord sur le principe mais le timing des travaux fait que ce n’est pas encore possible.
Le festival a aussi changé de créneau l’an dernier, en passant de fin septembre à fin mai, pourquoi ?
Marion : Pour deux raisons. La première est liée à l’évolution du festival évoquée par Doudou en début d’interview. Si on voulait augmenter la capacité, il fallait passer en extérieur. On l’a fait pour la première fois en septembre 2021 mais ça reste risqué pour la météo, ce qui est évidemment moins le cas au printemps. La deuxième raison, c’est qu’il y a beaucoup plus de groupes qui tournent au printemps en raison de tous les festivals organisés à cette période, donc ce changement nous permet aussi de profiter de ce flux pour la programmation.
L’année dernière, le festival se tenait également pour la première fois sur 3 jours, mais vous revenez cette année à votre format traditionnel de 2 jours. Pour quelle raison ?
Doudou : La raison majeure, c’est que l’année dernière, on a perdu trop d’argent, soit quasiment 50 000 euros. Donc on prend déjà moins de risques avec deux jours au lieu de trois en matière de budget du festival. Le format de deux jours nous permet aussi d’être encore plus exigeants sur la programmation car c’est plus facile de booker des groupes suffisamment forts et on est moins tendus par cet aspect. Comme les deux tiers des gens viennent de l’extérieur du département, je me demande aussi si venir trois jours n’est pas trop compliqué pour eux. Donc peut-être qu’on restera sur deux jours, j’aime bien ce format où on ne se multiplie pas et où on fait jouer vingt groupes, ce qui n’est pas rien non plus. Peut-être qu’on évoluera sur un site plus grand, avec une première journée allégée avec seulement trois groupes, je ne sais pas. Mais pour l’instant, il est probable qu’on reste sur ce format de 2 jours. On a essayé 3 l’an dernier et c’était bien parce qu’on a pu programmer plus de groupes. Mais c’était aussi un contexte particulier de reprise des spectacles de manière générale, même si on avait réussi à organiser une édition en septembre 2021. Peut-être qu’on a été trop gourmands en réorganisant une édition huit mois après la précédente. C’était l’emballement après deux ans de Covid, donc on en a profité. Mais en même temps, si on veut durer, on ne peut pas se permettre de faire ça tous les ans. Donc ce n’est pas un but en soi de durer absolument 3 jours.
Marion : on préfère avoir une programmation de qualité sur 2 jours plutôt que de diluer et de se forcer à programmer des choses.
« On est contraints par la capacité actuelle du festival : 2200 places. Donc on ne peut pas faire une offre à Tame Impala, même si on aimerait bien ».
À propos de la programmation justement, quand on regarde l’affiche de cette dixième édition, on a le sentiment que contrairement à beaucoup de festivals, vous ne cherchez pas à agglomérer des têtes d’affiche diverses et variées à tout prix, mais plutôt la cohérence artistique autour d’un univers bien défini. Je me trompe ?
Marion : En partie, on a quand même toujours une ou deux têtes d’affiche qui sont le squelette de la programmation du festival, parce que ça correspond aussi à l’envie du public. Ensuite, on est aussi soumis à une contrainte économique forte, qui fait qu’il y a des têtes d’affiche qu’on aimerait avoir, mais qu’on ne peut pas se payer.
Doudou : Très clairement, on a une tête d’affiche par jour, et on essaye de créer derrière une affiche cohérente sur les deux jours. Après, on est déjà contraints par la capacité actuelle du festival : 2200 places. Donc on ne peut pas faire une offre à Tame Impala, même si on aimerait bien. Cette contrainte fait que même pour tes 10 ans, tu ne fais pas n’importe quoi. Mais de toute façon, même avec une capacité de 4000-4500 personnes comme on l’envisage dans quelques années, on ne sera jamais un festival grand public, et on aura toujours des contraintes économiques assez fortes. En même temps, il faut quand même trouver des groupes qui ne rassemblent pas que 100 personnes, parce que même à notre niveau qui reste modeste, on a néanmoins la contrainte « d’attirer le chaland ». Mais si le public nous fait confiance, l’idéal serait que le festival soit suffisamment installé pour que 4000 personnes se retrouvent devant un groupe qui réunit 500 personnes habituellement. Si on arrivait à ça, ce serait bien. Je n’ai rien contre les têtes d’affiche quand elles font venir du monde, mais je préfèrerais subir un peu moins cette contrainte.
« Il y a 10 ans, il y avait plein de nouveaux groupes qui participaient au revival aux côtés des anciens, mais il n’y a pas eu la relève de cette relève. »
Mais dans un contexte d’inflation, on sent monter l’inquiétude que le public des concerts préfère jouer la sécurité et soit de moins en moins enclin à « prendre le risque » de faire des découvertes. Le festival est-il touché par ce phénomène ?
Doudou : Les gens ont envie d’acheter un billet pour quelque chose qu’ils connaissent. Après, on a un public qui vient voir tous les groupes. Ça veut dire que les gens arrivent tôt au festival : même quand le premier groupe joue à 15h, il y a déjà 30-40% des personnes qui sont présentes devant la scène. 2-3 minutes après la fin d’un concert, le groupe suivant commence sur la scène d’en face, et dans les deux cas le public est présent en masse. Les groupes jouent devant un public concerné qui vient se prendre 8-9 heures de musique par jour. Globalement, on n’a pas 50% du public qui arrive 2 heures avant la tête d’affiche et qui part après. D’ailleurs, les trois quarts des billets vendus sont pour les deux jours. Donc ce ne sont pas des gens qui achètent un billet pour simplement voir une tête d’affiche. C’est un public qui vient beaucoup de l’extérieur d’Angers, qui se déplace de l’étranger ou de Paris, Nantes et Rennes évidemment. Donc il ne vient pas par hasard comme au festival du coin. Je pense que les gens viennent parce qu’il y a un ou deux groupes qu’ils ont envie de voir, mais il y a quand même une adhésion à la programmation des vingt groupes qui jouent sur les deux jours. Et toujours en raison de la jauge d’accueil du festival, on a moins la pression d’avoir des têtes d’affiche : même si on faisant sans, on ne ferait peut-être pas le plein, mais je ne suis pas persuadé qu’on ne remplirait pas à 70% avec des gens qui viennent parce qu’ils aiment l’idée générale du projet et tous les groupes qui jouent. Et il nous manquerait les 30% qui sont motivés par un groupe plus connu.
Après une période où le revival psychédélique était partout, j’ai le sentiment que le genre n’a plus trop la cote aujourd’hui, où le post-punk et le punk en général sont sur le devant de la scène – et bien représentés dans vos programmations ces dernières années d’ailleurs. L’ouverture du festival à d’autres genres est-elle une réponse à cette évolution ?
Marion : Il y a 10 ans, il y avait plein de nouveaux groupes qui participaient au revival aux côtés des anciens, mais il n’y a pas eu la relève de cette relève, donc on ne peut pas programmer les mêmes groupes tous les ans. Et puis je me souviens très bien que lorsque j’ai commencé à bosser sur Levitation France, l’idée était d’en faire un « good music festival » pour reprendre l’expression de Doudou à l’époque. On voulait présenter des bons groupes dans cette scène psychédélique, mais élargie. Et en tant que producteurs de concerts pendant toute l’année, on voit bien que les gens ont aussi cette curiosité d’aller écouter plein de groupes différents et de ne pas s’enfermer dans une niche. Il me semble donc important de répondre à cette envie, comme l’année dernière avec Pelada (duo électro minimaliste, ndlr) en clôture du festival. C’est une proposition assez radicale, dans la nature de la musique comme dans la configuration scénique, avec un DJ et une chanteuse, qui ne rentrent pas dans la définition classique du psyché. Mais on a vu que les gens réagissaient hyper bien, donc c’est très encourageant et grisant de voir un public sans doute venu pour voir autre chose au départ s’enthousiasmer et danser sur cette musique là aussi. Donc je pense que cela a du sens d’élaborer la programmation comme ça.
Doudou : On va être clairs, ce n’est pas le Angers Psych Fest, tout comme le Austin Psych Fest s’est transformé en Levitation. Evidemment, l’idée du festival correspond plutôt à toute la grande famille rock, que les sons soient électroniques, électriques, acoustiques, pop voire un peu plus metal. Je ne saurais pas comment la nommer, mais on a une colonne vertébrale commune, et après on accepte toutes les ramifications qui vont avec. Quand tu programmes Slift, Los Bitchos et Kim Gordon comme l’an dernier, tu pioches dans la même famille, mais ces artistes n’ont rien à voir. Et si on trouve qu’un groupe de hip-hop colle bien à l’esthétique, on le fera, même si c’est un peu éloigné.
« Il y a souvent des filles dans les groupes de rock psyché ! »
On parle beaucoup en ce moment du manque d’artistes féminines dans les affiches des festivals (14% en France selon le CNM). Le festival est-il attentif à cette question ?
Marion : C’est forcément quelque chose sur lequel le festival est très vigilant, même s’il ne communique pas spécifiquement là-dessus. On ne fait pas du « women washing ». On veut avant tout programmer des bons groupes, et il y a plein de bons groupes de filles qui tournent, donc il y a carrément la matière pour qu’elles soient bien représentées.
Doudou : Cela va avec la diversité des genres qu’on évoquait plus tôt. Si tu programmes surtout du metal, il est statistiquement moins probable de voir des filles sur scène. Pour nous qui avons une affiche très variée, l’important est que la musique soit bonne, qu’elle soit jouée par des filles ou des garçons. Je trouve qu’on a de la chance, parce qu’il y a souvent des filles dans les groupes de rock psyché ! Mais on a aussi des sensibilités différentes, Marion est assez pointue sur les girls bands, peut-être plus que moi.
Le festival a déjà accueilli de très grosses têtes d’affiche du genre (Brian Jonestown Massacre, Black Angels, Thee Oh Sees, Slowdive, Spiritualized…). Quels groupes rêvez-vous de programmer, en restant réaliste ?
Marion : il faudrait quand même qu’une fois on arrive à avoir King Gizzard… Ty Segall devait venir cette année, mais il a annulé sa tournée, qui n’a jamais été annoncée. On va y arriver !
Doudou : Pour King Gizzard, oui, quand on aura un site plus grand ! Et j’aimerais bien aussi Black Rebel Motorcycle Club.
Pour la première fois, vous avez organisé des événements à Angers avant le festival. J’ai toujours trouvé que ça manquait un peu. J’imagine que vous partagez ce constat.
Doudou : Je confirme que ça manquait. L’ambition est d’organiser plus de choses dans l’année, pour que le Levitation ne se résume pas à deux jours de musique une fois par an, même si ça concernera peut-être plus les Angevins que les gens qui viennent au festival. C’est une réflexion assez nouvelle en interne, mais j’en reviens à la question financière : quand tu perds 50 000 euros sur le festival, tu ne réinvestis pas 10 000 sur autre chose. Pour autant, on a organisé cette année une expo à la Tour Saint-Aubin, qui se trouve dans le centre historique d’Angers, et où on a exposé certaines des affiches réalisées pour le festival, pour ouvrir un peu l’univers hors musique. On a organisé une soirée cinéma avec Dig! (Ondi Timoner, 2004) et La Montagne sacrée (Alejandro Jodorowsky, 1973). Ce sont des événements qui visent à s’ouvrir à la culture psychédélique au sens large. Et si on a l’opportunité un jour de démarrer le festival en accueillant un artiste compatible avec Levitation au Grand théâtre d’Angers dans une configuration assise (700 places), on le fera. D’ailleurs, on a failli accueillir Nils Frahm il y a quelques années dans ce format. Ce serait un peu différent, mais pas déconnant par rapport au festival. Mais effectivement, il faut qu’on organise davantage de choses pendant l’année, notamment parce qu’il y a une école des beaux-arts et une école de design ici. Le problème, c’est que ça demande du temps et des moyens. Pas forcément financiers mais humains. Si je dois faire un peu d’autocritique, je dirais qu’on a bien réussi à faire venir des gens de l’extérieur à Levitation, mais ce succès rapide fait qu’on a sans doute un peu échoué à l’installer à Angers en impliquant des gens du coin pour qu’ils s’approprient davantage le festival. C’est ce qu’il nous manque, et je ne dis pas ça pour le plaisir de faire, mais parce que je pense qu’on a des choses à dire et à défendre.
Angers a l’image d’une ville assez tranquille. Le bruit engendré par le festival a-t-il déjà posé des problèmes ?
Doudou : Oui, et c’est d’ailleurs pour cette raison que le festival ne se termine pas à 2 ou 3 heures du matin (sauf si on finit en intérieur), mais à 1 heure. Les voisins se sont déjà plaints, mais le maire d’Angers (Christophe Béchu à l’époque) a toujours soutenu le festival et assumé le fait que de temps en temps, d’autres personnes ont le droit de s’exprimer et qu’il peut y avoir du bruit à Angers. Ça fait aussi partie du vivre ensemble, même si tu gênes parfois un peu les gens. Ça a été particulièrement difficile après le Covid en 2021, parce que les gens n’avaient plus du tout l’habitude du bruit. Donc on fait attention, on respecte les horaires donnés et à 1h, la musique est terminée. Mais c’est la même chose dans toutes les villes. Après, si ton maire assume vis-à-vis de ses électeurs que le droit à la quiétude et à la tranquillité n’empêche pas de s’amuser, c’est un bon équilibre. Heureusement, nos demandes ont toujours été raisonnables. On commence plus tôt et le public est au rendez-vous parce qu’il est fan de musique, mais on ne termine pas à 20h non plus. Cette balance est fragile, je croise les doigts pour que les choses ne changent pas du côté de la ville. Si on se retrouve un jour avec un maire qui ne veut pas assumer ce sujet et se faire prendre la tête par ses citoyens parce qu’il y avait du bruit jusqu’à 1h du matin, peut-être qu’on nous dira d’aller jouer ailleurs ou d’arrêter à 21h, et dans ce cas on ne pourra pas l’accepter. C’est le problème de toutes nos activités : on n’est pas majoritaires et le maire sait très bien que beaucoup de personnes viennent de l’extérieur et que ses électeurs sont rares dans le festival.
Vous êtes aujourd’hui la seule déclinaison internationale du festival d’Austin. Comment se passe la relation avec l’oncle américain ?
Doudou : Bien, mais il faudrait passer à la phase suivante. Très clairement, ils nous laissent faire. On utilise leur marque. Au début, Rob (Fitzpatrick, patron du Levitation Austin, ndlr) était très impliqué dans la programmation, mais aujourd’hui il fait confiance à Marion et il sait qu’on ne va pas faire n’importe quoi. En revanche, il reste très sensible à la question du visuel, qu’il suit de près. Il nous accompagne vraiment sur l’artistique. Après, on fait ce qu’on veut sur le reste, mais évidemment, on ne fait rien qui risque de trahir la marque Levitation. Donc on a une relation de confiance, sans avoir de deal particulier. C’est un accord verbal : on utilise leur nom et ils ne sont pas rémunérés, c’est une coopération très amateure dans le bon sens du terme. Mais ils sont très contents de l’existence de Levitation France, comme les Black Angels (cofondateurs du festival américain, ndlr) qui sont venus plusieurs fois et avec qui j’ai échangé récemment. Ils sont un peu fiers de voir un deuxième Levitation ailleurs avec des gens de confiance. Mais il n’y a pas d’enjeu financier ni de pouvoir, on n’est pas non plus le troisième Lollapalooza. Je pense qu’on a encore davantage à apprendre d’eux, parce qu’avec leurs sessions Levitation et les pressages de vinyles particuliers de leur label, ils ont mis en place quelque chose de bien sur toute l’année. On doit s’inspirer de cet exemple en collaboration avec eux, parce que pour des groupes, Levitation est une marque forte maintenant. Et on doit l’imprimer davantage sur le territoire européen.
En parlant de l’univers visuel de Levitation, l’affiche de l’an dernier a été classé deuxième dans le classement TOPAFF des plus belles affiches de festivals, publié sur Gonzaï. Pourquoi accorder une telle importance à cette dimension ?
Doudou : Avoir un univers visuel qui va avec la musique, c’est un principe de base inspiré par les Américains. On n’a pas envie de faire un festival avec une vache et une guitare dans un champ. La première année, c’est d’ailleurs Rob qui s’est chargé de l’affiche. On aurait peut-être eu la même stratégie naturellement, mais on a été bien éduqués. Avant que Marion arrive, Rob était plus impliqué dans la programmation et dans tout l’aspect artistique, y compris visuel. On a donc commencé avec les Américains, pour qui les projections sur scène font par exemple partie du « package » Levitation. Après, on a repris la main petit à petit. Maintenant, c’est nous qui choisissons les artistes avec qui on travaille, en essayant de changer chaque année, même si parfois ils reviennent, comme Arrache-Toi Un Œil cette année. L’idée, c’est de brancher une diversité d’artistes, et on les considère au même titre que les groupes qui jouent. Ils font partie de la programmation.
« C’est très tendu pour les gros festivals : il faut remplir à 98%. Les artistes veulent de l’argent pour tourner l’été parce qu’ils en ont besoin ou parce qu’ils en veulent plus ».
L’été dernier a été considéré comme difficile pour les festivals, avec une concurrence exacerbée et des coûts qui explosent après le Covid. Le Prodiss a même évoqué un modèle économique qui semble arriver en fin de cycle, et on peut ajouter la problématique écologique dont on parle de plus en plus sur les gros événements. Comment se situe Levitation France dans ce contexte ? Est-ce que la dimension locale du festival et sa jauge réduite sont une réponse à la course au gigantisme ?
Doudou : Oui, même si on n’a pas pensé le festival actuel pour cette raison évidemment. Le constat que je fais, c’est que c’est très tendu pour les gros festivals : il faut remplir à 98%. Les artistes veulent de l’argent pour tourner l’été parce qu’ils en ont besoin ou parce qu’ils en veulent plus. Ça dépend de qui on parle. Et certains perdent de l’argent en tournant, donc ils se refont sur les festivals pour sauver leur année. Donc pour certains groupes, l’été peut être vital aussi, il ne faut pas l’oublier non plus. Et pour d’autres, c’est l’occasion de se gaver encore plus, il faut appeler un chat un chat. Après, je pense que lorsque tu défends un format de festival de niche, tu t’adresses à un public qui n’est pas tellement sollicité par ailleurs. Pour prendre notre exemple, notre frère le plus proche est La Route du Rock, mais il n’y en a pas 500 000 derrière, donc on n’est pas en concurrence avec les gros événements. On s’adresse à un public de niche, qui a envie d’entendre des choses différentes, qui a envie d’être reçu différemment, mais ce n’est pas la majorité.
« On se rend compte que l’attitude du public, qui est quand même celui qui décide, c’est de vouloir aller à des concerts dans des stades. Si ce n’était pas le cas, il n’y en aurait plus ».
Il ne faut pas rêver. Les gros concerts dans des stades avec des artistes connus et des billets coûteux, ils se remplissent. Qu’est-ce que le public veut ? Des événements, dans des grands endroits, où tu ne vois rien, où tu n’entends rien, mais où tu es content d’y être. Je caricature, parce que chacun fait ce qu’il veut. Mais quand on me parle de développement durable pour ces concerts, ça me fait marrer, parce qu’on se rend compte que l’attitude du public, qui est quand même celui qui décide, c’est de vouloir aller à des concerts dans des stades. Si ce n’était pas le cas, il n’y en aurait plus. Or, les événements qui ont bien fonctionné depuis la reprise, ce sont tous les gros trucs. Ça veut dire qu’il y a un effet boule de neige et de masse sur les choses qui sont attractives : ce qui était gros devient encore plus gros. Et la réalité, c’est que ce qui fonctionne à Paris depuis la reprise, c’est l’Accor Arena, le Stade de France et La Défense Arena. Tant mieux pour le secteur et notre boulot, mais quand après on me parle de développement durable, bon… Pour un Stade de France, je pense qu’un tiers des gens ne vient pas de la région parisienne. Ils se déplacent et ils réservent des hôtels, mais c’est un événement, je peux le comprendre si tu es fan d’un artiste. Il y a une grosse production, tu peux dire que tu y étais. Heureusement, je pense que les deux modèles d’événements vont coexister. Après, ce sera peut-être plus dur pour les festivals de 20 ou 30 000 personnes, qui ont besoin d’artistes importants pour se remplir, mais qui n’arriveront peut-être pas à payer les artistes nécessaires et leurs frais.
Comment fait Levitation France pour payer ses têtes d’affiche dans ce contexte ?
Doudou : Si seul le carnet de chèques comptait, on n’aurait pas eu la moitié des groupes qui jouent cette année. Toutes nos têtes d’affiche sont très contentes et très fières de jouer au Levitation. Pour beaucoup de groupes qui jouent chez nous, la motivation financière n’est pas la plus importante. Certes, nos offres étaient peut-être suffisantes pour eux, mais ils viennent aussi pour pouvoir dire qu’ils ont été au Levitation. L’année dernière, Anton Newcombe du Brian Jonestown Massacre a fait venir ses musiciens américains pour le festival uniquement. Les autres dates de leur tournée ne correspondaient pas, mais ils ont conservé le Levitation parce que c’était important pour eux.
« Est-ce que le public va accepter de payer 50 ou 55 balles au lieu de 40 pour le billet journée s’il veut que Levitation France continue d’exister ? »
Etes-vous touchés par l’inflation des coûts de production des festivals ?
Doudou : Pas de manière significative pour l’instant, même si c’était légèrement le cas pour l’édition 2022. Une fois de plus, on est un petit festival qui n’a pas besoin d’un personnel pléthorique. Mais il y a un vrai souci avec les artistes. Ce n’est pas qu’ils ne veulent pas venir pour la même somme d’argent qu’avant, mais l’avion – pour les quelques-uns qui le prennent – coûte beaucoup plus cher qu’avant. La location des vans aussi, etc. Pour une tournée « classique » comme celle des Black Angels, qui ont un tourbus et une remorque pour jouer dans des salles de 1000-1500 places, les artistes prennent quand même 20-30% d’inflation dans la gueule. Ça va hyper vite en fait : le tourbus qu’ils payaient 40 000 livres il y a trois ans, ils le payent 65-70 000 aujourd’hui.
Et ça a un vrai impact sur ce qui leur reste à la fin d’une tournée, puisque de notre côté, le prix des billets n’a pas augmenté de 40% pour ces artistes. Mais cette question va se poser à un moment : est-ce que le public va accepter de payer 50 ou 55 balles au lieu de 40 pour le billet journée s’il veut que Levitation France continue d’exister ? Pour moi, le principe de base, c’est que les comptes du festival ne doivent pas descendre en-dessous de zéro. Il ne s’agit pas de gagner de l’argent mais de rembourser ses frais. Il ne faut pas rêver, ce n’est pas avec ce genre d’événement que tu gagnes de l’argent, sinon tu t’es trompé de boulot. En même temps, tu ne peux pas en perdre trop si tu veux continuer. Mais c’est difficile, parce que même avec cet objectif modeste d’être à l’équilibre pour tout le monde, y compris les artistes, tu as du mal à y arriver, même en faisant attention à tout.
Marion évoquait les conséquences du Brexit pour les tournées. Quelles sont-elles pour le festival et en général ?
Marion : Je ne fais pas tourner d’artistes britanniques [Marion est également gérante du tourneur Vedette, ndlr], mais j’ai l’impression que c’est beaucoup plus compliqué et coûteux pour eux, à cause de la paperasse.
Doudou : Pour les festivals, ça n’améliore pas les choses, et ça ne concerne pas que les Anglais, mais les groupes Français aussi ! Melody’s Echo Chamber a failli rester bloqué à la douane de l’Eurostar à cause des guitares, parce qu’ils n’avaient pas de carnet ATA, alors que j’ai trois groupes qui sont passés avant sans. Tu te prends une amende de 700 euros sans savoir pourquoi. Pour aller faire une date en Angleterre maintenant, il faut une lettre de « sponsorship » disant que tu es bien invité par un promoteur professionnel. Si tu y vas avec ton van, il te faut un carnet ATA pour tes amplis, et il faut prouver que tu as enregistré la plaque de ton van en Angleterre avant. Je ne sais même pas à quoi ça sert. Si tu vas jouer à Londres, il faut à l’avance payer une taxe, sauf que tu te trompes de ligne… Et dans l’autre sens, c’est pareil. Donc un groupe bien établi qui a les moyens de s’organiser, il peut le faire, même si ça a un coût. Mais un petit groupe qui venait faire une ou deux dates, il ne peut même plus. Pourquoi aller jouer dans un club pour 1000 livres si tu en as déjà pour 400 euros de carnet ATA ? Je ne parle même pas de passer ses tee-shirts de merchandising à la douane en loucedé, ils n’attendent que ça pour te faire payer 20% de TVA. Et quand tu sais que ces groupes vivent du merch’, c’est dramatique. Un groupe français qui allait faire une date payée correctement à Londres avec ses guitares au dernier moment, c’est fini. Je ne sais pas si on se rend compte : on est en 2023 et un artiste ne peut plus aller jouer à Londres tranquillement avec sa guitare. Avant, un petit groupe pouvait prendre un van et faire l’aller-retour en ferry, c’était facile. Quand j’ai commencé à faire tourner des groupes, c’était en 1989 : on avait des carnets ATA à l’époque, et j’ai l’impression qu’on est revenus à cette époque. Mais c’est encore pire.
Levitation France, les 27 et 28 mai en Open Air au Chabada à Angers. La billetterie est ici : https://levitation-france.com
3 commentaires
y’a manque des meilleurs groops! çà fait j’ai mater les ventes!
hi markus et ses gugusses du 66 demain on n’est au SQUARE avé les enfants du ROCK.
hi cretins du sac, pourkoi t’achete que kan çà côte?