Exilé depuis maintenant quelques années à Amsterdam, le patron de Versatile a subitement fait un rêve : les enregistrer. Plus les transcrire en musique à la manière qu’on aurait de collectionner les papillons dans un cahier de feuilles volantes. Le résultat, tout en talkover, s’intitule « J’ai rêvé ».

Si l’on vous dit :

« Les ailes de la Rolls effleuraient des pylônes, quand m’étant malgré moi égaré nous arrivâmes ma Rolls et moi dans une zone dangereuse »

Ou encore :

« J’ai une Chrysler tout au fond de la cour, elle ne peut plus rouler mais c’est là que je fais l’amour. »

Ou bien :

« Tu déjeuneras seul, d’un panini saumon dans la rue de Choiseul, et tu trouveras ça bon. »

Vous pensez évidemment à Serge Gainsbourg, Dashiell Hedayat et Michel Houellebecq, trois exemples parmi tant d’autres du storytelling à la française et qui aboutira, faute de larynx puissant, à un genre mondialement reconnu, le talkover. Un genre où les presque-chanteurs hexagonaux excellent et parviennent même souvent à réciter le bottin avec un kick de batterie en donnant l’impression de lire un livre à l’auditeur, plus grand que les pages du livre en question. A l’image du Elle et moi de Max Berlin, frère de Cerrone, et qui pourrait résumer à lui seul cette ambition confidentielle d’un monde enfin débarrassé des brailleurs débraillés.

Dans la série, donc, le nouvel album de free speech de Gilb’R sonne comme un nouveau chapitre. Dénué d’objectif commercial – il est proposé en free download – « J’ai rêvé » est une compilation somnanbulique des rêves du principal intéressé, tous couchés sur papier au réveil et mis en musique, non pas avec des fonds de tiroir, mais des dessous de lit. On aurait vite fait de classer la récréation, mais la nicotine agglutinée sur les cordes vocales du producteur comme les instrumentations jouant plus l’ambiance vaporeuse de fin de nuit que le faux album produit avec des faux moyens donne à l’ensemble un parfum de rêverie thérapeutique ; et l’auditeur de plonger dans le cerveau de Gilb’R en se demandant par quel raccourci synaptique on peut en arriver à imaginer qu’on est le garde du corps de Donald Trump en visite à Paris.

Chaque titre, décliné en une suite numérotée (Rêve 1, 2, 3, etc), sonne comme une nouvelle nuit ; puisque « J’ai rêvé » semble conçu comme un never ending album où Gilb’R empile ses idées sans dessus dessous au fur et à mesure de ses pensées inconscientes. C’est cent fois plus intéressant qu’une collection de chansons dépareillées, et c’est bien la preuve que c’est parfois en fermant les yeux qu’on peut crever l’oreiller.

A noter enfin qu’au réveil, le patron de Versatile en profite pour sortir de nouveaux « vrais » albums, comme celui à paraitre le 30 septembre en compagnie de Judah Warsky, avec un premier titre en écoute. Une autre façon de rêver un monde plus léger qu’un plan marketing poncé par des gens sans pyjama.

Gilb’R // J’ai rêvé
https://gilbr.bandcamp.com/album/jai-r-v

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