Post-punk, post-rock… autant de termes qu’on ne pensait plus écrire ni lire en 2022 et qui, à force de vouloir aller de l’avant, renvoient surtout à un passé pas si lointain, quand quatre ou cinq énergumènes juraient fidélité aux mélodies dissonantes sur la foi d’une mauvaise bière tiède. De ce point de vue, le nouvel album des Canadiens de Deliluh, « Fault Lines », arrive après la guerre. Mais pas sans armes.
On peut maintenant en rire, à la manière d’un accident drôle qui serait survenu pendant un enterrement, mais on ne voit pas bien qui écoute encore Liars en 2022. Qui sont ces gens, où vivent-ils, quels sont leurs réseaux ? Quel âge ont-ils surtout, maintenant qu’Angus Andrew a dépassé la quarantaine, et que ses fans DIY ont certainement dû trouver, pour la plupart, un CDI dans une boite qu’ils vomissent.
Si l’on se permet ce préambule, c’est qu’il y a dans les guitares présentes sur le « Fault Lines » des Canadiens de Deliluh comme un vague air de ressemblance avec la bande de New York. Le fait d’être né sur le même continent n’explique pas tout ; on entend dans les deux cas ce son si typique de la fin des années 2000, quand le rock et ses post multiples sonnaient la charge contre l’électronique bling et la mauvaise variété dite indépendante. Cette « génération Bandcamp » aura engendré de très bons albums, certes, mais aussi un paquet de postures décoiffés qu’il est impossible d’écouter encore sérieusement dix ans plus tard. Et c’est peut-être avec cette crainte d’apparaitre comme d’énièmes soldats du larsen que Kyle Knapp et Julius Pedersen se sont pour ce quatrième album recentré sur l’essentiel, à savoir eux deux.
D’abord quatuor, le groupe de Toronto a fondu en duo. Une sorte de révision des effectifs à la baisse qui donne à « Fault Lines » une ambiance d’open space de début de soirée ; c’est à la fois lugubre et mal éclairé, pas très joyeux, et a priori personne n’a envie de faire des heures sup’. C’est dans cette reconfiguration et expatriation (les deux musiciens vivent désormais entre Berlin et Marseille, soit vraiment l’art des extrêmes) que Deliluh, au lieu de pondre de ce qu’on appellerait poliment un « disque-support » destiné à provoquer des dates de concerts, livre un bel exercice de feng shui : 7 chansons écrites dans beaucoup d’espace et de vide, pas mal de guitares en arrière pour la décoration, mais surtout beaucoup de crayon gris sur les murs et des traces de mobilier cassé au sol, dans la lignée des récents albums de Crack Cloud ou black midi. Écouter pour cela Creedence ou Amulet, qu’on n’aurait pas vraiment envie de passer en boucle pour les pots de départ.
Disque de l’année ? Non. Disque de rock possiblement écoutable chez soi ? Oui. Et le duo de piéger l’auditeur en lui rappelant justement cette époque quasi préhistorique où le post-punk préférait chercher que trouver, et puisait dans ses questionnements personnels pour accoucher de beaux points d’interrogation. Et quelque part entre feu Disappears et Tuxedomoon, évoque en pointillés sur le très beau final de Mirror of Hope, Deliluh prouve donc qu’il y a bel et bien une vie après le « post ».
Deliluh // Fault Lines // Tin Angel
https://deliluh.bandcamp.com