Son nom a beau avoir été inspiré par une station de ski française, c’est plus loin vers l’est que Super Besse s’est crée, à 700 bornes de Moscou, sur les pistes de noires du post punk synthétique. « La nuit », son deuxième album, est tout schuss.

Première moitié des années 2000. Une poignée de garçons occidentaux certainement un peu plus tristes que les autres ravive la flamme populaire du post punk, et avec elle son cortège de nappes polaires et de chants criant, en gros, que la vie est trop dure pour aimer les Strokes. C’est la preuve ultime que le désespoir est une valeur boursière sur laquelle on peut miser, toutes époques confondues, sans trop se planter. Mais ce dont Paul Banks (Interpol), Tom Smith (Editors) ou plus près de nous Nicolas Ker (feu Poni Hoax) ne se doutent pas au moment d’ouvrir le congélateur, c’est qu’à 2200 kilomètres de là, un dénommé Maksim Kulsha va les entendre sur une connexion modem 56K. Il habite Minsk.

A une époque où Internet n’est pas encore devenu une machine culturelle mondialisée où Joy Division, la casquette de Mac DeMarco et les mocaccino de chez Starbucks se valent à peu près, Maksim Kulsha s’apprête à faire comme ses jeunes héros froids : il prend une guitare pour chanter avec une voix graaaave.
Dans les loges de la Maroquinerie où le groupe jouait en décembre (l’hiver, forcément), il m’explique ça, avec son physique de Poutine qui aurait pris l’option Bauhaus au collège. « La première fois que j’ai tendu le premier album d’Interpol, ‘Turn on the Bright lights’, j’étais choqué, j’avais jamais entendu de post punk de ma vie, personne connaissait les Smiths ou Interpol dans mon entourage ; moi ça m’a ouvert un chemin ».

C’est pas Motorama

Si vous étiez né dans ces années 2000, vous avez certainement connu – subi ?- ces groupes à tréma (Novö Deströid, ce genre de noms insupportables qui peuplaient les pages de D-Side) qui assourdissaient les quelques rescapés du rock gothique avec des albums faisant le même bruit qu’une bétonneuse à Melun. Super Besse, avec à une clairvoyance insoupçonnée, n’est tombé dans aucun de ces travers ; peut-être parce qu’il s’est formé 15 ans après la fin du mouvement ; peut-être aussi parce qu’à force de fantasmer la troisième vague de la Cold Wave, dans son patois finalement exotique parce que chanté en russe, il a fini par inventer un nouveau langage, une sorte d’Esperanto un peu naïf où les consonnes seraient un son de basse et les voyelles trois doigts posés sur un synthétiseur déniché dans la réserve d’un Lidl d’Europe de l’Est. « Mon premier groupe, c’était il y a déjà 10 ans témoigne celui qui doit en avoir à tout casser 25, on a commencé par chanter en anglais, mais on sonnait comme tout le monde : on a préféré revenir au biélorusse et rester à part. C’est là qu’on a découvert des groupes de chez vous comme Trisomie 21 ou Poni Hoax, dont je suis super fan. Quoi, ils viennent de se séparer ? Oh merde… »

Etranger partout

Résultat, « La nuit » est un disque de post-punk atypique capable de passer crème sur n’importe quel autoradio pourri. Merci la basse hyper mixée en avant, merci les refrains qui transportent l’auditeur dans un bar de Leningrad avec compteur bloqué sur l’année 1981, à l’image de ces architectures figées qu’on peut encore admirer, là bas, en voyage.

Le nom du groupe, il a été trouvé grâce à François Audigier de la Coopérative de Mai, salle emblématique de Clermont-Ferrand, après que ce dernier ait invité les Ruskofs à venir jouer dans une station de ski française nommée Super Besse. Le premier album, « 63610 », est le résultat de cet accident. « Les paroles ne voulaient absolument rien dire, ça parlait de sentiments génériques comme l’oubli, la froideur à l’intérieur de soi ; bref c’était marrant d’écrire un disque que personne, chez vous en Europe, ne peut comprendre ». Pour le deuxième, « La Nuit », bis repetita, mais à l’inverse, puisque Super Besse a choisi deux mots français pour éviter de se faire comprendre, cette fois dans son propre pays. Le jeu du chat et de la souris sur une quatre cordes, où il est cette fois question de l’angoisse nocturne, et de plein d’autres choses dispensables comparé à ces mélodies qui pourraient faire sauter n’importe quel éclopé encimenté dans le sol. « Et puis Super Besse, en Biélorussie, ça veut dire « Super Diable », et comme le bassiste était fan du Tour de France, on n’a pas cherché plus loin ».

La dictature du rythme

En Biélorussie, le Président (Alexandre Loukachenko) est le même depuis près de 20 ans. Et tous les chanteurs ayant tenté d’aborder le sujet de ce qui ressemble, quand même, à une dictature, ont été symboliquement bâillonné (on est près du Kremlin, je vous rappelle). Dans le cas de Super Besse, rien à craindre, le groupe est off the radar. « Ici on n’a que deux groupes de rock vraiment connus ; nous on représente quoi en concert, allez, au maximum 500 personnes, c’est pas assez dangereux pour le gouvernement ». Peut-être inoffensif, certes, mais de ce côté de l’Europe où le moindre Emo possède un half time job chez H&M et vocifère sa rébellion sur des CD gravés d’une nullité abyssale, un album comme « La nuit » est, paradoxalement, beaucoup plus subervif. Il ne revendique rien, ne lève pas le poing comme un Mélenchoniste, mais rappelle que la Russie et ses satellites sont encore un territoire où le rock peut dire quelque chose, même si on n’y comprend rien.

Aux dernières nouvelles, Maksim vient de déménager à Berlin « pour se consacrer pleinement à la musique ». La meilleure preuve qu’en géopolitique comme en musique, les Russes finissent toujours par envahir l’Allemagne.

Super Besse // La Nuit // I Love You Records
https://ilyrecsuperbesse.bandcamp.com/album/la-nuit

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