Dans la catégorie sport-spectacle venu de nulle part (ou plus sûrement des États- Unis), je demande le roller derby ; une course en équipe sur patins à roulettes. Le truc en plus (ou en moins) c’est qu’il s’agit d’une course de filles en minishort qui se rentrent dedans pour se ramasser régulièrement sur le sol.

Parce que je fais partie de ceux qui clament que le sport ne représente que peu d’intérêt — et qui mourront d’une maladie impliquant du gras, du sucre et une incapacité à se déplacer — le fait que Dorothée, ma meilleure amie se mette un beau jour au roller derby a porté un coup à mes grands discours. Bientôt, j’ai vu fleurir sur Facebook les photos de ses entraînements et les pseudos de ses nouvelles amies dont les visages hilares s’incrustaient de plus en plus souvent dans mon fil d’actualité. Et alors que ces jeunes femmes semblent se borner à faire des tours de parking en groupe, je commence à m’interroger : est-ce seulement du sport ? Au vu de ces mines réjouies, une seule intuition s’impose : mes élans de cynisme n’ont pas leur place ici.
De passage à Paris pour assister à un match opposant une équipe américaine aux Parisiennes, Dorothée – alias Kiss Kiss Bam Bam – prend en main mon initiation à un monde sexy et léger, un peu plus complexe qu’il n’y paraît. Depuis notre dernière rencontre, elle est d’ailleurs devenue présidente de la toute jeune équipe de Perpignan Coccyx Lexis — la loi du coccyx, parce que selon Julie alias Mireille M’a tuer, « on ne sait vraiment comment ça s’écrit que quand on est tombé dessus ». Rendez-vous est pris, samedi 1er juin : TEAM UNICORN VS PARIS ROLLERGIRLS.

58544_10151560484359462_11486707_nIl est 18h30 quand débutent mes errements boulevard Ney où je suis supposée trouver le gymnase des Fillettes. Le nom est plutôt amusant, le coin l’est un peu moins. Les bâtiments sont tristes et je me fais accoster comme ça ne m’est plus arrivé depuis mes seize ans. Je suis vraiment charmante. On peut discuter ? Pas vraiment d’humeur à copiner, je suis tentée de rebrousser chemin quand je finis par voir les imprimés A4 noir et blanc indiquant la direction du centre sportif. Je passe devant un stade où quelques mecs jouent au foot et d’autres zonent. Si l’esprit girl power ne contamine pas la zone, la tristesse du lieu se confirme.
Enfin arrivée dans le gymnase, l’atmosphère est tout autre, le match opposant l’équipe B parisienne, LES SANS CULOTTES aux SWITCHBLADE ROLLERGRRRLS lilloises se termine. Les gradins sont déjà pleins et sans vraiment comprendre les règles du jeu, je profite d’une ambiance bon enfant qui me ferait presque oublier la tristesse du dehors. Un couple de commentateurs anime la rencontre alors que les hauts-parleurs crachent du Pump Up the Jam et d’autres titres balançant entre le honteux et le tendance. Le match fini, je ne sais pas qui a gagné mais je sens que j’aime ces gens.

Kiss Kiss Bam Bam arrive et à la buvette où des gobelets remplis de bonbons remplacent la bière, elle commence à m’expliquer les règles. Un match se joue sur une piste ovale pendant deux périodes de trente minutes, elles-mêmes divisées en sessions de deux minutes. Deux équipes de cinq joueuses (trois bloqueuses, un pivot et une « jammeuse ») s’affrontent. Le but, pour la jammeuse de chaque équipe, est de percer le bloc adverse pour faire autant de tours de piste possible en devançant ses concurrentes. Celles-ci, de leur côté, ont pour mission de la ralentir afin de permettre à leur jammeuse de prendre la tête de la course. Les coups sont réglementés et les joueuses transgressant les règles sont envoyées en prison pour y faire pénitence quelques minutes.

Le féminisme et la culture queer

La pratique du sport et le féminisme sont deux domaines étrangement liés : une femme sportive tend à perdre les attributs de sa féminité (sa graisse) et à gagner ceux de la masculinité (du muscle). A l’instar de la féministe, la sportive intrigue — ses hormones seraient-elles déréglées ?

Grâce aux derbystes, on (re)découvre qu’une fille peut être violente, faire preuve de mauvais goût et l’assumer. Et dans la mesure où ces filles envoient valser les clichés et brouillent les repères de la distribution des rôles par genre, le roller derby peut être considéré comme un sport féministe. A Perpignan, ces demoiselles ont d’ailleurs à l’occasion d’un sujet sur France 3 invité les joueurs de l’équipe de rugby de la ville à venir jouer les pom pom boys pour elles. A l’heure où j’écris ces lignes, elles sont encore en attente d’une réponse.

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Le match auquel j’assiste débute par l’hymne américain tandis qu’est brandi un drapeau américain queer, le public parisien applaudit et lance des sifflets de joie, l’effet est réussi. Avec une certaine Butch Shan comme joueuse phare de l’équipe parisienne ou le groupement international des Vagine Regime, la discipline se veut clairement gay friendly. D’ailleurs, en février dernier, l’article d’une blogueuse du Huffington Post posait presque sérieusement la question de savoir si la pratique de ce sport était forcément associée au fait d’être lesbienne.
Lier féminisme et culture queer sans prendre le temps de nuancer le propos me gêne. Et au vu du peu d’impact qu’a le féminisme dans notre société, il paraît toujours utile de préciser qu’on peut être féministe sans être lesbienne et être lesbienne sans être féministe. Néanmoins, et c’est le cas lorsque l’on parle de la troisième vague du mouvement — qui promeut le féminisme au travers de l’affirmation de ses minorités et notamment la cause LGBT—, les deux thématiques trouvent des points de contact. Le roller derby participe à cette liaison. Sur ce point, Dorothée est plus nuancée. Si le phénomène est mis en avant par les médias et lors des grands rassemblements, ce n’est pas forcément une problématique forte dans les petites équipes.

Reste que la discipline est objectivement sexy. Ces filles parviennent à conserver leur sex-appeal même lorsqu’elles s’étalent de tout leur long sur le sol. Le match se clôt d’ailleurs sur une remise de prix saluant, parmi les joueuses les plus talentueuses, la joueuse la plus sexy. Le principe est discutable, du moins il le serait vraiment si le spectacle se destinait à un public de mâles ventripotents, comme c’est le cas avec des sports à la légitimité douteuse tels que la Lingerie Football League ou la Bikini Hockey League — et le concept est en marche pour se décliner à l’infini — où la problématique du dégradant le dispute à celle du dangereux. Ici, les filles ne cherchent pas à se plier aux canons de perfection en vigueur. A titre personnel, je peux dire qu’assister à un match a suffi à susciter chez moi un petit émoi sensuel. J’imagine donc que pour celles pour lesquelles les corps s’emmêlent, le flottement doit être d’autant plus… palpable.

Juste fais-le (toi-même)

Ici, l’esprit DIY revendiqué transpire de toutes les façons possibles et les parisiennes qui profitent du match auquel nous assistons pour faire une collecte et tenter de remédier à l’absence de chauffage dans leur gymnase l’ont bien compris. Aide-toi et le ciel t’aidera. Kiss Kiss Bam Bam explique d’ailleurs que l’exaltation propre au sport vient notamment du fait qu’en France tout est encore à construire. Les équipes poussent comme des champignons, souvent sans locaux pour les accueillir. Mais ces filles se prennent en main et n’attendent pas que les institutions s’occupent d’elles. Elles frappent aux portes, souriantes et déterminées, et la méthode aurait tendance à porter ses fruits.

544747_10151560487354462_958469517_nSi l’équipe de Perpignan est encore en construction et qu’elles peinent à trouver des locaux, l’ensemble des médias régionaux ont déjà parlé d’elles. Certains journalistes auraient même basculé du côté des fans. L’engouement est là et à l’échelle nationale, tous les principaux médias ont déjà proposé leur analyse d’un phénomène international qui continue de garder sa légèreté.

Ce match me donne d’ailleurs l’occasion de découvrir une coach parisienne longiligne, juchée sur des talons sans fin et grimée en la plus séduisante des zombies qu’il m’a été donné de croiser. Les Américaines portent fièrement le microshort lamé sans prétendre rentrer dans la taille 32 d’une Kylie Minogue. Les jammeuses de la TEAM UNICORN pointent leur index sur le front lorsqu’elles sont en power jam, les deux équipes improvisent des concours de danse entre les sessions de jeu. Cette fraîcheur éclabousse le spectateur peu habitué à voir des compétitions sportives qui laissent de la place à la spontanéité et à l’imperfection.
Même si le style des joueuses oscille assez uniformément entre l’esthétique rockabilly trash/Suicide Girls et celui des films de zombies, ce sport fait la part belle à l’affirmation de la personnalité. Sailor Blood, Sally Broyeur, Rage Moss ou Glorious Bastard pour n’en citer qu’une poignée… Comme au catch, la force du pseudonyme permet la libération d’un double maléfique. Il est d’ailleurs possible, et recommandé, d’enregistrer son nom de derbyste en ligne, parce que ce serait dommage de patiner plusieurs mois avec un nom et de devoir en changer.  Exutoire à une vie civile forcément trop sage, le roller derby révèle l’amazone qui sommeille dans la secrétaire médicale, tout en encourageant des valeurs de solidarité et de courage. Cette dernière pourra ensuite évoquer par le menu ses blessures de guerre sur le groupe Facebook DERBY m’A TueR !

A la fois « sport pour les non-sportives », exutoire initiatique et déclencheur d’ecchymoses, le roller derby est bien, pour paraphraser Boris Vian, la clef pour les filles qui aiment l’amour qui fait boum de s’envoyer au ciel.

Mélissa Laveaux – Pretty Girls from NØ FØRMAT! on Vimeo.

7 commentaires

  1. Putain, je connais une meuf qui fait ça. Effectivement, c’est pas un sport de pédée.
    Assez cool à voir en vrai. Avec un petit spliff éventuellement en plus pour éviter d’avoir mal pour les pratiquantes.

    Promis, à ma porchaine intervention, je vous parlerai de ma mère.

    Un gros bécot à tous et à toutes.

    Guitou

  2. Les Sans Culottes est l’équipe C des Paris RollerGirls, l’équipe B étant les Quedalles 😉

    Guy Déborde : Et c’est quoi un « sport de pédée » ?

  3. Et d’ailleurs j’apporte quelques précisions quant à l’article : les MVP (most valuable player), les remises de prix ne sont pas systématiques dans toutes les ligues, et le titre de la joueuse la plus sexy est extrêmement rare, il s’agit juste là d’un ajout supplémentaire de la part de la ligue organisatrice. Lors de certains match, il m’a été donné de voir des prix où l’équipe mettait ce qu’elle voulait (par exemple : « best paint (on our faces) ».

    En tout cas, je suis contente de voir qu’une fois encore le roller derby n’a pas laissé insensible !

  4. Alors, un « sport de pédée », c’est pareil qu’avec les garçons, mais pour les meufs en fait.
    C’est un terme complétement anti-discriminatoire finalement, tiens.

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