Vous vous sentez perdu parmi les plus de 60 000 titres mis en ligne chaque jour sur Spotify ? Nous aussi. Mais on a quand même pris le temps d’en écouter certains et voici ce qui a retenu notre attention ce mois-ci.

Bryan’s Magic Tears – « Smoke and Mirrors »

Mood : On dit souvent que l’album qui sort est le meilleur disque de la carrière d’un artiste, mais là, c’est vraiment vrai.

« Vacum Sealed » sorti en 2021 était, de loin, le pire album des sales gosses du Bryan’s Magic Tears. « Smoke and Mirrors » est, de très loin, leur meilleur. Il suffit juste d’écouter Fancy Cars pour se rendre compte de quelque chose d’évident : le groupe parisien mené par Benjamin Dupont a de l’or dans les mains. De l’or qui a été retrouvé quelque part en Écosse en 1992, entre la maison des frères Reid et l’appartement délabré de Bobby Gillespie à Glasgow, et qui leur permet de créer des putain de beaux lingots.

Mention spéciale pour Fancy Cars donc, clairement le tube de ce disque, mais aussi pour le frénétique Stalker, pour la grâce de Lady D — une ballade orchestrale somptueuse — et pour ce travail d’orfèvrerie pour combiner la britpop, le rock UK, la scène baggy, le vieille indie pourrie US et l’électronica dans un même disque sans se prendre les pieds dans le tapis. Bon par contre, les gars, va falloir changer de graphiste, parce que vous avez réussi à faire pire que la pochette de « Vacuum Sealed ». Et ça aussi, c’est un exploit. Robin Ecoeur

Healees – « Coin De L’œil  »

Mood : parfait si vous avez envie d’écouter des vieilles démos ratées de Ride.

On ne va pas s’attarder des heures sur ce disque — il n’en vaut pas la peine. L’album est un condensé de morceaux qui sonnent comme toutes les mauvaises idées des pires groupes dont on n’a plus envie d’entendre parler en 2024 — genre Ride en premier, Chapterhouse en deuxième, Adorable en troisième. C’est très pénible et après White Room, le troisième titre de « Coin De L’œil », on vous conseille d’arrêter l’écoute ici. On peut être fan de Slowdive — même si c’est honteux —, de Sarah Records et des disques des Pastels, mais là, trop, c’est vraiment trop. Robin Ecoeur

Christopher Owens – « I Wanna Run Barefoot Through Your Hair »

Mood : Girls, es-tu là ? Euh, non. 

Depuis la fin de Girls, Christopher Owens a fait n’importe quoi (musicalement). Il a surtout continué d’avoir une vie pas très fun — il est né dans une secte, ça commençait déjà mal, a bataillé contre des addictions et puis en 2017 il a eu un accident en moto, perdu son mec et son taf pour finir par vivre dans sa voiture, comme un SDF. Mais on se disait depuis un petit moment, n’ayant plus de nouvelles de sa part, qu’il allait arrêter de détruire son héritage musical en sortant des disques vraiment peu inspirés. Et puis en 2024, il a eu envie de revenir avec un nouvel album pour raconter ses déboires. Merde.

Alors tout n’est pas à jeter sur cet album puisque c’est clairement celui qui se rapproche le plus d’un disque de Girls, du moins dans l’intention. Mais il vous faudra du courage pour écouter jusqu’à la fin Beautiful Horses, les six très longues minutes de I Think about Heaven, le délire expérimental raté de White Flag ou encore la fausse ballade saccadée This is My Guitar.

La voix de Christopher, autrefois sensible, touchante et fragile, est ici noyée sous les effets pour cacher les imperfections, et peine à procurer d’émotions. Comme si on écoutait un musicien brisé par la vie qui essaie de masquer ses faiblesses alors qu’elles ont toujours été, pour sa musique, le moteur de sa création. Et presque une marque de fabrique à laquelle de nombreux auditeurs se sont accrochés. Alors oui, on pourrait aussi dire que c’est courageux de sa part de revenir, blablabla, mais c’est presque difficile d’écouter ce disque sans penser au passé, et sans avoir, au final, de la peine pour celui qu’il a été. Robin Ecoeur

Aphex Twin – « Selected Ambient Works Volume II »

Mood : sonoriser ses plus belles terreurs nocturnes.

Les amateurs de musiques électroniques ont deux raisons d’être ravis cette année car elle marque le cinquantième anniversaire de l’album fondateur « Autobahn » – des teutons sexy de Kraftwerk – et des trente piges de « Selected Ambient Works Volume II » qui est réédité à cette occasion. Fan hardcore d’Aphex Twin de longue date, j’ai longtemps entretenu une relation ambivalente avec cet album le trouvant trop long – la version CD, la plus courte, dure 2h 36mn – et abrupt, me donnant l’impression en l’écoutant d’être un rabbin de passage aux universités d’été de la France insoumise. Il marque une rupture avec son prédécesseur « Selected Ambient Works 85–92 » qui compilait des enregistrements datant de l’adolescence de Richard D. James en dévoilant des paysages oniriques et contemplatifs : premier chef-d’œuvre intemporel de l’Irlandais de naissance qui, ironie de l’histoire, vient du même coin que la chanteuse des Cranberries alors qu’ils ne font clairement pas le même boulot et se situent aux antipodes du spectre musical.

Comme le Volume 2 jouit d’un culte immense sur le Net en dépit de ses atours hostiles et convaincu de passer à côté d’une œuvre majeure, je me suis mis en tête de l’apprivoiser quoiqu’il en coûte. : vingt ans de souffrance. Depuis, il est devenu l’un de mes disques de chevet. Au sens propre puisque j’ai pris le parti de démarrer son écoute tard le soir en zappant les neuf premiers morceaux et en démarrant donc à compter de la dixième piste, jusqu’à la fin. Puis l’album redémarrait du début pendant mon sommeil. Bercé par ce démiurge mystérieux et flippant de Richard D. James, je me réveillais la nuit en imaginant son image grotesque (notamment ses autoportraits et les visuels réalisés par Chris Cunningham), offrant ainsi un contrepoint à ses disques cérébraux avant de plonger de nouveau dans les limbes. Je vis enfin la lumière. Cette réussite artistique majeure synthétise parfaitement les deux aspects qui caractérisent les mélopées synthétiques d’Aphex Twin : la manière dont il conçoit ses morceaux d’une part et la structuration de ses albums d’autre part.

Les pistes écrites par Richard D. James combinent presque systématiquement des motifs et rythmes complexes avec des mélodies simples et mémorables qui renvoient au monde de l’enfance. JD Beauvallet avait d’ailleurs très justement décrit le bonhomme en évoquant « un enfant prisonnier dans un corps d’adulte ». James fait preuve d’un savoir-faire indiscutable dans ce mélange, comme sur Logan Rock Witch, Analogue Bubblebath ou Heliosphan, morceaux glanés dans sa discographie pléthorique… Un petit malin s’est d’ailleurs amusé à compiler toute sa discographie dans une playlist Spotify : 23h et 5 minutes ! A titre de comparaison, les Stones cumulent entre 18h et 19h d’enregistrements studio officiels au bout de soixante-deux ans de carrière.

La deuxième caractéristique qui singularise le travail d’Aphex Twin, c’est la manière dont sont construits ses albums : on constate que ceux-ci font cohabiter des plages réconfortantes et des moments plus anxiogènes. Si on s’amuse à classer les compositions de « Selected Ambient Works Volume II », on aurait les pistes 1, 3, 6, 7, 9, 11, 13, 17, 18, 19, 20, 21 qui entreraient dans la catégorie des berceuses réconfortantes et les morceaux 2, 4, 5, 8, 10, 12, 14, 15, 16, 21, 22, 23, 24 qui, au contraire, vous ramèneront aux plus belles heures des terreurs nocturnes de votre jeunesse. Dans cette analyse de haute volée, j’écarte volontairement les inédits ornant cette réédition parce qu’ils déséquilibrent la parution originale (et la solidité de mon raisonnement implacable). Même si je ne remets pas en question leur qualité, et on voit que l’un des secrets qui font de SAW II un chef-d’œuvre réside probablement dans sa structure : la fin de l’album s’articule autour d’un long moment « doudou » – des plages 17 à 21 – avant de se clôturer par une séquence introspective pessimiste (les morceaux suivants donc). 23 m’évoque les errements d’un sous-marin atomique fuyant un monde dévasté après une catastrophe nucléaire ayant décimé toute la planèteL’album s’achève par le magnifique 25, qui oscille entre ces deux extrêmes et me fait penser aux derniers souffles d’une personne âgée sur son lit d’hôpital. Cette fin audacieuse qui semble rassurer l’auditeur avant de le plonger dans les affres du désespoir rend cette œuvre remarquable.

Parlons un peu de la réédition : ça doit être la première fois que j’acquière un objet que je critique et je ne suis pas peu fier de parler enfin de ce que je connais. L’ensemble est chiadé, quatre beaux vinyles bien épais, l’écoute des disques fait ressortir des choses bien plus subtiles qu’en streaming, ce qui est bien normal vu que l’ensemble coûte près de 70 balles mais contient des autocollants et une affiche : je suis comme un gosse ! La bonne blague de geek, c’est que James s’est amusé à anonymiser les huit faces et qu’il faut pouvoir les identifier à des diagrammes contenus dans le livret pour savoir ce qu’on va écouter. C’est assez pénible car on a vite fait de les intervertir en les rangeant et il faut tout recommencer. Le livret contient des informations totalement inutiles avec le pourcentage de chaque morceau par rapport au temps de la face qu’il occupe et des tas d’autres trucs débiles pour nerds. La désorientation est également liée au fait que, comme dans la version parue en 1994, les morceaux n’ont pas de titres mais sont intitulés en fonction de leur ordre dans l’album, soit 1 pour la première piste etc. Dans la version originale, des photos illustraient chacune des compositions et les fans les avaient donc nommés en fonction de cela : [parallel stripes] représente la piste 14, à ne pas confondre avec [grey stripes] qui désigne la 16. Au secours… Il y a d’ailleurs plein de fans tarés qui s’amusent à laisser la trace de son logo un peu partout, sous forme de tatouage, de pochoir ou autre artefact. A Lyon, Aphex Twin est présent sur la passerelle Raymond Barre sous forme de tag, comme quoi il existe un lien entre notre ancien premier ministre et la techno.

Si les influences de la musique ambient sont à chercher du côté des Français comme Ravel, Satie ou Debussy, Richard D. James est probablement le seul contemporain pouvant prétendre pouvoir à rivaliser avec eux (même si, à mon humble avis, il les explose par son inventivité et son originalité. Je m’en fous, je doute fort que des fans de musique classique glandouillent au boulot en lisant Gonzaï donc je ne prends pas trop de risque). Dans les années 90, on disait de lui qu’il était « le Mozart de la musique électronique », formule que je trouvais un peu facile mais à la réflexion, la comparaison se justifiait par sa précocité – deux chefs-d’œuvre publiés alors qu’il n’avait pas 23 ans – et son excentricité. Depuis, James a enregistré et sorti quatre albums et quantité d’EP qui ont achevé de faire de lui le génie de l’ambient techno. On remarque que son retrait relatif ces dernières années coïncide avec un essoufflement de ce courant musical et des productions électroniques au sens plus large. Romain Flon

« Virtual Dreams II: Ambient Explorations In The House & Techno Age, Japan 1993-1999 »

Mood : De la musique de niche en veux-tu en voilà.

Cette magnifique compilation est le second volume d’une série initiée en 2020 avec Virtual Dreams: Ambient Explorations In The House & Techno Age, 1993 –1997 principalement centrée autour d’artistes britanniques. Puisque nous n’en avions pas parlé à l’époque, retour sur ce long album qui synthétise le Zeitgeist d’une des plus belles périodes de la musique contemporaine de ces soixante dernières années : l’ambient techno des années 90. Une succession de dix-sept morceaux lumineux et contemplatifs, reflets d’une époque moins sinistre et plus apaisée. Les artistes sont inconnus ou presque, les têtes de gondole étant Global Communication, LFO et Richard H. Kirk, fondateur de Cabaret Voltaire. L’occasion m’est donnée de vous inciter à écouter ses albums solos parus chez Warp, « The Number of Magic » et « Virtual State », deux très beaux disques méconnus. Attention, les versions disponibles en streaming sont plus courtes et ne proposent que onze morceaux, ça serait bien dommage de se priver ma bonne dame… Voilà pour le premier volume, mais parlons un peu de « Virtual Dreams II » donc, centré, comme son nom l’indique sur le Japon.

J’aimerais faire mon érudit planqué mon diplôme de docteur en musicologie japonaise mais mes connaissances en ambient asiatique sont malheureusement lacunaires pour que je vous vante les mérites de tel ou tel artiste. Cette compilation est le digne successeur de la précédente car les extraits y ont été choisis avec autant de soin et l’ensemble est probablement plus resserré et cohérent. Je ne me lasse pas de l’écouter depuis sa parution et ses passages répétés sur la platine la rende inaltérable. Le travail de curation derrière ces explorations sont remarquables et rendons grâce au label Music from Memory qui aura permis cela. On peut maintenant espérer que le décès prématuré de son co-fondateur Jamie Tiller il y a un an ne mettra pas un coup d’arrêt à ces trésors sonores dont le seul défaut et de rendre l’absence de souffle et d’inventivité des productions électroniques contemporaines encore plus criantes. Romain Flon

Underworld – « Strawberry Hotel »

Mood : danser en déambulateur et sous taz.

Le plus grand groupe anglais des années 90, Underworld enfonce toute la britpop, même Pulp, Supergrass et Blur qui étaient déjà cent coudées au-dessus d’Oasis. Leur mélange chanté de trance, techno et house était tout bonnement unique et ils étaient bien les seuls sur ce créneau il y a trente ans. Karl Hyde et Rick Smith, qui auront 70 ans avant la fin de cette décennie, continuent de publier des disques distrayants à défaut d’être passionnants. Leur avant-dernier album, « Drift Series », comptait quarante-neuf titres et je me demande si quelqu’un l’a déjà écouté en entier.

Ce qui est remarquable avec Underworld, c’est que leur musique est immédiatement identifiable alors qu’ils n’utilisent pratiquement que des sons électroniques. Si « Strawberry Hotel » se laisse gentiment écouter, les mélodies mémorables sont moins nombreuses que dans le sous-estimé « Barbara Barbara, We Face a Shining Future » paru en 2016 et dont le titre sont les derniers mots prononcés sur son lit de mort par le père de Smith à sa femme. Je sais que j’écouterai ce groupe jusqu’à la fin de mes jours, pas forcément ce disque mais peu importe, ça reste bien meilleur que la quasi-totalité des productions actuelles. Romain Flon

Primal Scream – « Come Ahead »

Mood : gagner sa vie en exploitant le bas peuple tout en communiquant sur sa bonne conscience d’ultra-gauche.

J’ai longtemps vénéré ce groupe pour l’album « Screamadelica », chef-d’œuvre psychédélico-house, un peu pour Vanishing Point et pas du tout pour le reste. Objectivement, la quasi-totalité de leur discographie est moisie mais on pardonnait bien volontiers ses errements à ce groupe de junkie.La polémique survenue l’an passé suite à la mort du fidèle claviériste Martin Duffy a achevé de tuer mon affection pour Primal Scream porté par la figure toxique et opportuniste de Bobby Gillespie : le fils de Duffy s’était fendu d’une longue diatribe dans laquelle il décrivait les dernières années de son père au sein du groupe écossais. Miné par l’alcool, il avait été utilisé et salarié pour 40 000 Livres Sterling par an après trente années de services rendus. Dégueulasse, surtout à la réécoute de ses lignes de clavier inventives pour Felt, notamment sur « Forever Breathes the Lonely Word » à la pochette ornée par un magnifique portrait de celui qui fut grand artiste avant de sombrer et chuter mortellement dans son escalier.

J’ai tenu trois morceaux à l’écoute du dernier album de Primal Sceam : comme d’habitude, entre deux posts anti-israéliens vomis sur les réseaux, Bobby Gillespie pique des idées à droite à gauche pour en constituer un ensemble brinquebalant, faussement enthousiaste et manquant cruellement de sincérité. N’est pas Bowie qui veut. Du balai ! Romain Flon

Jamie xx – « In Waves »

Mood : trouver la bande-son pour faire le ménage

« In Waves » est le deuxième album de Jamie Smith et fait suite à « In Colours », très grand disque paru en 2015 et qui enfonçait toute la discographie de The xx dont il est le claviériste et bidouilleur en chef. Un album varié, comme le laissait présager son titre, et des compositions hédonistes et mélancoliques de très bonne facture élevaient ce disque au rang de vraie réussite.

Tuons le suspense immédiatement : Jamie xx a échoué à rééditer ce petit miracle. Si quelques trouvailles attirent l’oreille, l’ensemble tourne à vide, les gimmicks se succédant en dépit de quelques invités prestigieux (Robyn ou Honey Dijon). On sent bien que les recettes sont maîtrisées mais le souffle et l’inspiration n’y sont plus. Mieux vaut réécouter les derniers Chemical Brothers ou Justice pour le coup, et je n’aurais jamais cru écrire un jour un truc pareil. Romain Flon

Kelley Lee Owens – « Dreamstate »

Mood : Chef, un p’tit verre, on a soif.

Avant de nous épancher sur « Dreamstate », rappelons que le parcours de la Galloise est impeccable depuis ses débuts. Trois bons albums synthétiques publiés en sept ans : « Kelley Lee Owens » et  « Inner Song », les deux premiers, sont remarquables et le troisième, « LP.8 », plus abrupt avec ses morceaux ambient barrés, est un peu moins attachant. L’attente était haute avec ce nouvel album après qu’elle a assuré la première partie de la dernière tournée de Depeche Mode en Amérique du Nord. Et ça n’est pas forcément une très bonne nouvelle étant donné qu’elle semble avoir adopté un mode de vie très hédoniste à en juger par sa communication festive affichée sur Instagram.

Le constat est qu’elle a gagné en savoir-faire ce qu’elle a perdu en spontanéité : ses nouvelles compositions sont moins aventureuses et plus répétitives, noyées sous la reverb probablement pour s’assurer que les bras du public resteront bien en l’air pendant la tournée qui s’annonce. Elle hulule pas mal, Kate Bush sonne comme The Fall en comparaison, et ce côté hypnotique et répétitif me laisse sur ma faim parce que Lee Owens est capable de bien mieux. « Attitude parfois trop dilettante, arrêtez de vouloir séduire vos petits camarades » : voilà ce que j’écrirais sur son bulletin si j’étais son professeur principal. On finit son dernier verre et on se remet au boulot à présent. Romain Flon

Sinaïve – « Pop Moderne »

 Mood : À Strasbourg, il n’y a pas que le club de foot qui flirte avec l’Angleterre

Il y a un vrai truc entre le rock indé et le dub. Sans aucune certitude, cela doit venir des premiers punks anglais fans de reggae. Par proximité géographique avec les rastas londoniens fraîchement débarqués de Jamaïque. Ou pour la drogue. Cette tradition s’est perpétuée par la suite dans le post punk avec notamment Joy Division. Ian Curtis et ses potes étaient fous de dub. En hommage, les survivants de New Order avaient même réalisé une excellente reprise du titre de reggae préféré de Curtis Turn The Heater On du grand Keith Hudson, difficile à trouver ailleurs que sur Youtube. Plus loin, se retrouvaient chez My Bloody Valentine des notes de dub, notamment sur la basse de Soft As Snow (But Warm Inside), chez les Boo Radleys avec Lazarus et le reste de la liste est longue (A.R. Kane, The Wake, Primal Scream…). En fans de lettrés de pop comme l’indique le nom de leur premier album, les Alsaciens de Sinaïve le savent probablement.  Cette influence dub se retrouvent souvent sur le disque. Elle se ressent sur l’instrumental Art Babel, Providence ou la grosse pièce Le Corps Électrique qui associe le shoegaze atmosphérique de Ride à des effluves jamaïcaines avec un pont carrément dub. Ça fonctionne vraiment très bien. C’est peut-être une lubie de leur nouveau bassiste Séverin Hutt. C’est la principale nouveauté du son de ce premier long format après une kyrielle de remarquables EP.

Ailleurs, et dans un registre moins psyché-kraut que le précédent « Répétition », c’est un étalage du bon goût de ce que pourrait constituer la dite pop moderne. La filiation évidente Silver Apples-Beak se veut orientalisante sur (SS) Superstar ; les chœurs de la chanteuse Alice Lovich redonnent même un instant ses 25 ans à Bilinda Butcher sur Etre sans avoir ; tout en gardant ce petit côté yéyé présent depuis leurs début sur Elégie – Tant de saisons. Les références ne sont pas cachées, elles sont même revendiquées (Velvetine). Ce qui est amusant avec Sinaïve c’est que, jeunesse aidant, leur musique ne reste pas bloquée sur ces influences un peu datées. Il y a même des traces de trap sur Providence. Je crois d’ailleurs avoir lu que leur leader Calvin Keller était fan de rap. Cette ouverture d’esprit vient contredire un peu le conservatisme parfois attaché (à raison) au rock indé. C’est une chance d’avoir un tel groupe en France. Emmanuel Jean

N.B. : Après des mois à m’y refuser, j’ai eu l’occasion lors d’un repas d’effectuer un essai de ChatGPT. Ma première requête a été de lui demander « une comparaison entre King Tubby et Lee Scratch Perry en matière de dub ». En 1,5 secondes, cet outil du démon m’a sorti près de 5000 signes mal écrits mais vraiment super pertinents. Tout y était : entre le technicien de laboratoire Tubby et le shaman déglingué Perry. Ce n’est que le début et le style n’était pas forcément pire que la moitié des trucs que je peux lire sur internet. Je pense qu’on est foutu.

The Cure – « Songs Of A Lost World »

Mood : Souvent galvaudé, le terme élégiaque n’est jamais paru aussi adapté.

L’école dans laquelle j’étais en élémentaire avait la particularité de nous faire partager la cour de récréation avec le collège. Alors en CE2 ou CM1, j’étais interloqué par une bande de 3èmes qui trainaient habillés tout en noir, grand manteau, chaussures militaires et cheveux dressés en l’air. Le bruit courrait qu’il s’agissait de curistes en ne sachant pas ce que ça voulait dire, si ce n’est un rapport avec un groupe anglais à la mode. Pour un gamin gavé au Club Dorothée au cœur des années 80, il s’agissait alors de sortes d’aliens ou de méchants de dessin-animé. Mais cools. Les années ont passé, The Cure est devenu un groupe invité par Marc Toesca au Top 50 avec le clip du chanteur qui se roule par terre, on faisait des pogos sur Boys Don’t Cry et presque tout le monde (sauf moi) avait le CD du best-of avec la tête burinée du vieux sur la pochette. Ma génération était un peu décalée par rapport à la bande de Robert Smith. C’était et c’est resté un groupe de grands qui est pourtant entré dans le panthéon des géants du rock au même titre que U2 ou Depeche Mode. Le genre d’artistes si connus que même les Inconnus ou les Nuls s’en moquaient gentiment. Sans totalement rentrer dedans, j’ai ensuite pu découvrir leur discographie et des chefs d’œuvres comme « Pornography » ou « Disintegration ».

Des années plus tard, j’étais allé les voir en concert à Montpellier en 2022. Le public était âgé mais la passion se voyait sur leur visage. C’était assez émouvant. Après presque trois heures d’une prestation impeccable, ils se permettaient même un dernier rappel qui enchaînait pas moins de huit tubes. C’est un groupe immense. Allez composer des merveilles comme A Forest, A Strange Day, Pictures Of You ou Just Like Heaven. Alors quand The Cure brisait 16 ans de silence discographique pour un nouvel album, il fallait l’écouter. S’il ne contient que huit pistes, « Songs Of A Lost World » recèle au moins trois grands morceaux. C’est déjà énorme. L’ouverture Alone est le genre de titre qui vous tire la larme à l’œil, quand Smith se met à chanter après 3:22 d’ouverture crépusculaire avec sa voix d’adolescent. La conclusion qui lui répond Endsong est du même tonneau avec sa procession à la rythmique martiale. Il aurait sa place sur la compile avec la tête du vieux. Ce serait aussi le cas pour la complainte And Nothing Is Forever.

Ça ne bouge pas, Smith n’a pas le moral. La nostalgie et la mélancolie sont partout. Depuis le dernier album en 2008, il a perdu sa mère, son père et son frère. Dans les paroles, « This is the end of every song we sing », « where did dit go », « I Know that my world has grown old », «It’s all gone », ou dans le titre du disque, il sait qu’il n’est plus de son époque. Il a d’ailleurs annoncé qu’à ses 70 ans en 2029, il dira stop. Si le reste de l’album est honnête, il est finalement anecdotique. Mais pourquoi une telle production, ces cordes un peu cheap, cette guitare dégoulinante et surtout ce son de batterie qui castagne d’un autre temps ? Nicolas Godin de Air s’y connait en musique. Il avait déclaré une fois qu’il pouvait dater un disque rien qu’au son de sa caisse claire. On serait ici en plein milieu des années 90. Ce gros bourrin de Matt Sorum des Guns’n’Roses se serait régalé. Lors du concert précité, j’avais déjà remarqué que le batteur tapait comme un bucheron, peut-être que Robert connait des problèmes d’audition après tant d’années de raffut. Tout cela n’est pas très grave, le retour est déjà réussi. Je ne sais pas ce que sont devenus les curistes de la cour de récré. Avec beaucoup moins de cheveux et une doudoune sans manche au volant de leur SUV, ils ont probablement dû essuyer une larme à l’écoute de ces mondes engloutis. Emmanuel Jean

4 commentaires

  1. Les Healees sont de mauvais goût quand ils singent Ride, mais pas Bryan’s Magic Tears quand ils font pareil avec Cocteau Twins ou les mêmes Ride ? Deux poids, deux mesures.

  2. Je trouve que « Vaacum Sealed » est un excellent disque. Il préfigure d’ailleurs celui-ci dans ses obsessions pour la pop baggy. Le nouveau est superbe aussi, mais je ne sais pas si je le préfère au précédent pour le moment ?

    Sinon je partage l’avis de l’autre commentaire: est-ce que c’est vraiment valide de descendre les Healees en mentionnant des groupes qui peuvent aussi décrire la musique de Bryan’s Magic Tears ?

    Sarah Records ou Chapterhouse sont mentionnés comme étant respectivement « honteux » et les « pires groupes » (je cite vraiment le texte) mais ces deux références sont aussi complètement valides pour Bryan’s Magic Tears.
    Chapterhouse est mentionné dans la chronique de Section 26 de « Smoke & Mirrors » tandis que le catalogue de Sarah a aussi des disques baggy (notamment certains morceaux de Field Mice par exemple).

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