Faut le voir bouger dans la pièce. Le jour de notre entretien, Ranaldo, la soixantaine passée de peu, bouge comme un gamin, s’extasie d’à peu près tout, même du café qu’on lui apporte. On ne va pas refaire ici l’histoire du groupe qui l’a fait connaître ; on se contentera de bêtement rappeler que la majorité des guitaristes du circuit, quand ils ont dépassé la révision des dix ans, sont en comparaison suffisants, détestables en interview et surtout inaptes à la remise en question, artistiquement parlant. Rien de tout ça chez l’ami Lee, transféré à l’intersaison chez Mute, et auteur au passage d’un disque qui fait moins de bruit, mais qui s’écoute comme un disque-thé-verveine, dans la grande tradition indie rock, au coin du feu avec une groupie fraichement sortie de la clinique esthétique.
En fait, on ment. « Electric Trim » est une bonne sortie de route (cf la pochette) et surtout un excellent disque de R.E.M. (République En Marche, comme chacun sait). Enfin bon, on dit R.E.M. mais il serait plus juste de dire de l’album solo qu’il sonne comme celui que Michael Stipe n’a pas encore écrit, tant la voix de Ranaldo fait ici penser à celle de lui qui nous a tant bassiné dans les nineties avec Tout le monde souffre. A la même époque, même endroit, Sonic Youth livrait des disques que ceux qui les ont écouté ont trouvé « géniaux, révolutionnaires et expérimentaux » (je résume à partir de sondages réalisés dans mon entourage après avoir interrogé le peu de quadras chiants et nostalgiques que je connaisse). A l’inverse, celui de Ranaldo est à son image : discret, enjoué, pas plombant. Un disque presque solaire et lumineux dirait-on si l’on était financé par une marque de panneaux photovoltaïques, et qui valait le coup d’en savoir un peu plus cet éternel ado qui – attention placement de référence culturelle pour les fans – a su passer toutes idées à la machine à laver. Moteur.
Bon ben il est pas mal cet album. Notamment le titre Unkle Skeleton.
Ah ouais tu trouves ? Merci. Ca tombe bien pour Unkle Skeleton, c’est le prochain titre qu’on va clipper, et je l’aime beaucoup moi aussi. C’est marrant la manière dont les paroles sont venues pour le coup ; c’est Jonathan Lethem – un auteur de New York – qui a écrit la majorité des textes de l’album, et quand il m’a envoyé son premier jet sur ce titre, c’était tellement étrange que je voyais pas trop où il voulait en venir… j’imaginais un truc très west coast, à la Me and my uncle de John Phillips des Mamas & the Papas – même si je sais que le morceau a été pas mal repris, notamment par le Grateful Dead. Bref, Jonathan m’a envoyé ce truc, et ce n’est qu’à la toute fin que j’ai appris que c’était extrait de son prochain livre – que j’ai pas encore lu, une histoire de parieur un peu pété du cerveau. Tout ça pour dire qu’une fois dans le studio, tout s’est miraculeusement mis en en place, comme par magie.
Le fait que « Electric Trim » est assez intemporel, l’album aurait pu sortir à peu près n’importe quand entre 1991 et aujourd’hui.
Pour être honnête, ça me fait plaisir d’entendre ça mais je suis pas certain qu’un musicien puisse composer un nouvel album avec ça en tête ; moi je me suis contenté d’enchainer les chansons les unes après les autres. Et faut dire que c’était assez inédit pour moi : d’habitude j’enregistre avec un groupe, mais là j’étais tout seul avec mes démos, majoritairement acoustiques.
Il y a cette chanson sur l’album, qui clôture : New Thing. A quel point est-ce compliqué, après presque 40 ans de carrière, de tenter de nouvelles approches, bref, d’expérimenter à nouveau ?
C’est intéressant. Arrivé à ce stade de ma carrière, après 35 ans de Sonic Youth et une poignée d’albums solos, c’est plutôt excitant de balancer un album comme « Electric Trim » ; un disque qui, pour le coup, est plutôt expérimental. Au sens où j’ai tout fait tout seul, et ça c’était quasi inédit pour moi. Chaque morceau est un empilement de couches, d’idées… bref là j’ai 61 balais et je trouve ça rassurant de me dire que je peux non seulement encore arriver à considérer un enregistrement comme un terrain de jeu, et être content du résultat en plus.
Je n’avais prévu aucune question sur Sonic Youth, mais puisque vous en parlez : ca ressemble pas à un fardeau lourd à porter que d’être systématiquement interrogé là dessus, quand bien même vous revenez avec un album solo ?
Si c’est un fardeau, alors disons que c’est un joli paquet… Avec le recul, je me rends compte à quel point Sonic Youth a marqué la vie de certaines personnes, et ça, c’est un luxe. Donc c’est parfaitement naturel de répondre aux interrogations des gens sur ce qui vous a habité pendant plus de trois décennies. Mais comme tu le précises, les médias sont systématiquement en train de comparer tel album à tel autre ; c’est même pour ça qu’à l’époque de « Washing Machine » on pensait carrément à trouver un autre nom de groupe, juste pour éviter que les critics l’écoutent avec un a priori. Toi, en tant qu’artiste, que tu t’appelles Bob Dylan ou Sonic Youth ou qui tu veux, tu veux simplement enregistrer de nouvelles chansons, pas savoir si « ça sonne plus comme ‘Goo’ ou ‘Sonic Nurse’ »…
« Electric Trim » est donc un disque où vous avez expérimenté mais qui, paradoxalement, est tout sauf expérimental, musicalement. Très indie rock, dans la structure.
On pourrait dire la même chose de Sonic Youth, qui était un groupe de pop expérimentale finalement… Maintenant que je n’ai plus à vivre l’intensité de la vie à l’intérieur d’un collectif, je peux me concentrer sur d’autres choses, comme ma guitare acoustique par exemple.
Et quand on voit l’évolution, c’est presque à se demander si vous n’allez pas terminer comme un musicien folk…
Peut-être ah ah ! C’est vrai qu’on m’a connu comme un musicien électrique, mais le fait de changer tout l’équipement, passer à l’acoustique, c’est une démarche qu’on peut qualifier d’expérimentale. Continuer pour faire la même chose, franchement, à quoi bon ? Compte tenu de ma carrière, c’était plus intéressant de m’intéresser aux techniques de troubadours folk… Mais bon, que les fans se rassurent : y’a toujours un ampli caché quelque part sur scène.
Au moins maintenant vous goutez le luxe des musiciens folk : chaque concert vous donne l’occasion de découvrir des visages de près, et plus seulement des masses de corps agglutinés en festival.
C’est à peu près ça, oui. Les gens s’assoient en concert, écoutent la musique, c’est beaucoup plus intimiste. Y’a moins de mosh pit, c’est sûr, mais au moins j’ai l’impression de nouer une vraie complicité avec l’audience, c’est plus personnel disons.
Vous voilà prêt pour un MTV Unplugged.
Ah ah, ce serait bien cool oui. Dommage que ça n’existe plus [en fait si, l’émission est justement revenue à l’antenne, Ndr]
J’ai lu quelque part que Lou Reed vous avait influencé dans la technique d’accordage, avec ce qu’on appelle l’ostrich tuning [où toutes les cordes de la guitare sont accordées sur une seule et même note, Ndr]. Vrai ?
Affirmatif. Ca remonte au tout début de ma carrière, et Lou fut l’un des premiers à nous enseigner cela, via le Velvet Underground ; avec le recul cela a permis à Sonic Youth de se démarquer des autres groupes qui étaient tous accordés de la même manière, c’était un vent de liberté quelque part… Toute la scène californienne (Crosby Stills & Nash, Joni Mitchell, etc…), Keith Richard et même les vieux joueurs de Blues jouaient en open tuning ; même moi, en arrivant à New York, j’ai du me familiariser à ces techniques d’accordage, Glenn Branca et Rhys Chatam – avec qui j’ai beaucoup joué – étaient aussi là dedans. Il y a une très longue tradition de l’accordage « libre », mais étrangement, dans le rock, c’est assez récent.
Je me souviens avoir posé cette question à Jay Mascis de Dinosaur Jr et il me semble qu’elle tombe bien dans cette rencontre : quel est le détail le plus insignifiant sur « Electric Trim » que l’auteur n’entendra pas, mais dont vous êtes particulièrement fier ?
Putain, dur à dire. Tout le disque parle des détails, aha ! Musicalement, on pourrait citer la chanson New thing, ne serait-ce qu’à cause du passage très Steve Reich à l’intérieur, avec toutes ces voix, le marimba, la clarinette… Moi quand j’écoute cette chanson, j’entends tous ces détails, pas si mineurs que ça…
Bon, c’est le moment de tout déballer, Lee.
Hein ?
En fait je déteste les fans de Sonic Youth. La plupart du temps ils sont vieux, ils sont gras, avec du ventre et ils passent leur temps à nous faire chier avec des disques des 90’s qui leur rappellent l’époque où ils étaient jeunes.
Ah ah ah !
Pour le dire autrement, j’ai l’impression que l’idée même d’un futur pour chacun des membres ne les intéresse pas.
Pas faux.
A l’inverse, la B.O. instrumentale de Simon Werner a disparu est peut-être l’un de vos meilleurs albums, mais il date de 2009.
C’est aussi l’un de mes disques préférés, figure toi. L’un des derniers trucs qu’on ait enregistré ensemble…
Mais finalement : la séparation de Sonic Youth, c’est plutôt une bonne nouvelle, vous ne trouvez pas ?
Ecoute… oui. On a su s’arrêter avant de devenir un cliché de Sonic Youth. J’aime à croire que jusqu’à la fin on a su rester créatif et un peu énergique sur scène ; j’avais trop l’angoisse de finir comme les Rolling Stones – même si bon, pour les avoir vu sur scène récemment, ça tient encore la route. Crise cardiaque ou mort prématurée mis à part, c’est plutôt pas mal que chacun continue sa propre route en tant que songwriter. Je me souviens d’une époque où Kim [Gordon] se plaignait du fait que chaque idée offerte au groupe desservait son auteur, au sens où les membres n’étaient jamais vraiment crédités pour leurs apports personnels. Ce temps semble révolu ! Et oui, c’est une chance pour chacun.
Lee Ranaldo // Electric Trim // Mute
En concert le 20 février à La Sirène (La Rochelle) et le 23 février à la Maroquinerie (Gonzaï Night)
11 commentaires
hé agnés ; elle en est ?
hé tipex il/ou elle en est ?
hi b cantat le boxeur, il en n’est ?
yé, Mike floss, il en n’est .? .
ciao, cristalli liquidi, a casa ?
hup? sylvia Kastel italian born, aussi ?
il en n’est le PELLOW Jacques du 11éme
… nicolas hulOt, ?….
IN de LUCHT