C’est l’histoire d’un groupe qui n’aurait pas dû faire long feu, comme prédestiné depuis sa naissance à croupir dans les poubelles du rock indé. Mais comme « ce qui ne te tue pas te rend plus fort », il a fini, au terme de quelques near death experience par offrir au monde la quintessence du coldgaze. Du fond des catacombes, La Peste dévore ta platine.

Lors de la formation de La Peste, au début de l’année 2014, ses membres ont-ils réalisé qu’ils choisissaient une sorte d’aptonyme pour baptiser leur projet ? Probablement pas… Pourtant, à l’instar du charcutier M. Couenne ou de l’électricien M. Tension, le nom du binôme parisiano-manceau semble intrinsèquement lié à son destin, tant l’ombre de la mort plane au-dessus de lui. « On a avorté deux albums avant de sortir celui-ci », confie d’ailleurs Arnaud, l’un des visages du revenant bicéphale.

Cette fois, à la troisième tentative donc, l’accouchement a bien eu lieu. Mais il s’est fait dans la douleur. « On a enregistré il y a un an et demi et juste après, notre bassiste nous a annoncé qu’il quittait le groupe. On s’est dit alors que c’était fini… » Un disque tué dans l’œuf en somme ? Non, car la « famille », en l’occurrence le label Cranes Records insiste pour donner au vie au bébé. Les deux papas bénéficient même d’une précieuse assistance médicale : « Le premier mix n’étant pas satisfaisant, le label a confié les bandes à Jaike Stampbach (The History of Colour TV), qui a donné aux morceaux un relief tout à fait nouveau. » Le résultat est peut-être imparfait, chancelant comme un petit faon se dressant sur ses pattes pour la toute première fois. Mais la fragilité, la beauté et l’inattendu qui s’en dégagent le rendent d’autant plus beau, profondément touchant. Et La Peste survit. De justesse.

Mieux : au terme de cette longue et difficile gestation, le groupe a trouvé une réelle identité sonore. À la première écoute pourtant, ça pique un peu : boite à rythme eighties bien en avant, basse ronflante, guitares criardes qui moulinent et voix d’outre-tombe noyées sous des couches de reverb’… La musique de La Peste est agressive et sèche. « On peut nous placer dans toutes les chapelles de la grande famille post-punk. » Et à la fois dans aucune totalement. « On peut dire qu’on fait du slow emo-core dark indochinesque ? », tente Arnaud. Rires. Au jeu des étiquettes, on n’aurait pas fait mieux.

L’album est vendu dans une pochette scellée, accompagnée d’une lame de rasoir.

L’essentiel, c’est que le miracle opère. Et l’on découvre, un brin interloqué, l’union parfaite du shoegaze et de la coldwave. Une synthèse de deux grands courants du rock des 80s et des 90s, réalisée par deux vingtenaires biberonnés aux Libertines, à Nirvana, mais aussi à Suicide, voire Indochine, dont Arnaud avoue être fan : « Pas pour les paroles car les textes sont nazes, mais je me retrouve vachement dans la musicalité des premiers albums. » Vaporeuse comme My Bloody Valentine et aussi froide que Jessica93, la musique de La Peste nous enveloppe d’un linceul de coton imbibé d’une humidité terreuse. Elle nous rappelle combien la mort peut être certes désagréable, mais aussi douce, libératrice.

Les textes des morceaux (La Peste, Mange tes morts, Robespierre…), presque intégralement en français, épousent aussi largement les champs lexicaux de la violence et du trépas. On y parle avec talent d’os, de cimetière, d’épitaphe, de cicatrice, de cœur arraché, de têtes coupées, des entrailles de la nuit… Alors, les poètes maudits, on se la joue pas un peu goth ? Arnaud plaide plutôt l’acte manqué : « En fait, c’est un pote qui nous a fait remarqué que la mort était omniprésente. Ce n’est pas franchement volontaire. En revanche, il y avait bien une idée de quelque chose de sacré avec l’ossuaire, de l’ordre de la symbolique catho, mais que l’on détourne. Nos morceaux évoquent souvent l’intime, des proches et en ce sens on les imagine un peu comme des choses précieuses, des reliques. » Une idée poussée jusqu’au bout par le label, dont l’amour pour le disque-objet n’est plus à démontrer : l’album est vendu dans une pochette scellée, accompagnée d’une lame de rasoir afin de l’exhumer et de « violer ses secrets ». Une forme d’hommage à Daniel Darc, qui avait souhaité le faire pour « Seppuku », de Taxi Girl, en 1981. La maison de disque avait refusé cette fantaisie, de peur qu’elle ne passe pour une apologie du suicide. La mort, toujours la mort.

La Peste // Ossuaire // Cranes Records
https://lapesteestunepute.bandcamp.com/album/ossuaire

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