A en croire ce monde idéal imaginé par les Yelpeurs et les critiques de Pitchfork (‘’The most trusted voice in music’’, en toute simplicité), tout ou presque devrait être noté : votre rapport sexuel de la veille, votre consultation chez le médecin, la qualité du café d’entreprise et même les coupes de cheveux de Bowie année après année. La force de ce nouvel album de King Creosote (probablement 8.9 chez Pitchfork), c’est précisément qu’il échappe aux notations. Pourtant les étoiles, ‘’Astronaut meets Appleman’’ baigne complètement dedans.

Il faudrait un jour dire à quel point il peut être déprimant de ne pas réussir à décrire la beauté de certains disques. La haine étant par définition plus facile à exprimer – d’autant plus maintenant que le cerveau tend à ne retenir que les deux premières lignes du moindre statut Facebook – on peut sans trop se tromper que ce n’est pas tant la musique qui a changé, mais la manière dont on la perçoit, dont on l’appréhende, et comment on arrive – ou pas – à transmettre à autrui que ce que la première chanson dont on n’attendait rien parvient à vous captiver. Une ballade de pêcheur alcoolique (sic) déprimé par les quotas européens, c’est la première chose qui me soit venue à l’esprit en écoutant ‘’Astronaut meets Appleman’’. A chacun ses visions.

Sur le papier, ‘’Astronaut meets Appleman’’ a pourtant tout pour être accroché au dessus du bureau d’un salarié de la Pitchfork Industry. Il est mou, la pochette est moitié moche et l’artiste dont il est ici question ressemble à s’y méprendre à ses fans quadragénaires ayant refusé de troquer la veste en jean contre un costume. Là encore, c’est justement ce qui impressionne dans le premier titre You just want, ce refus de modernité, cet éloge à la lenteur où viennent pourtant s’entrechoquer à peu près trois fois plus d’instruments que sur le plus riche des titres de Kanye West. Pour peu, et si on devait s’arrêter à ce premier titre, on pourrait dire de King Creosote qu’il est à la musique ce que Mad Men est aux séries ; une sorte d’arrêt sur image qu’on regarde fasciné en ayant l’impression d’admirer un train en panne. ‘’Astronaut meets Appleman’’, et la suite le confirme sans peine, sonne surtout comme un condensé de musique américaine en 16/9. Et ca tombe bien, car King Creosote est écossais.

A partir de là, tout s’enchaine paradoxalement assez vite. L’impression persistante qu’on vient de raccrocher un wagon entre l’Ecosse sauvage de Bert Jansch et le Texas de Shearwater (période ‘’Winged Life’’), la décomplexion totale à prendre du plaisir à écouter cette indie folk typique des années 2000 (quand Arab Strap faisait le bonheur de tous les dépressifs) et cette cornemuse descendue de l’espace pour revivre la bataille de Braveheart en apesanteur.

A partir de là, encore, deux options. Reprendre la discographie complète du bonhomme (des dizaines d’albums sur CD-R, autant en sorties officielles), vous rappeler que son frère a fondé Beta Band et que son principal fait de gloire reste cette collaboration avec Jon Hopkins sur ‘’Diamond Mine’’ (superbe croisement entre Talk Talk, le Radiohead acoustique des débuts et Shearwater, fin de parenthèse). On préfèrera évidemment la seconde option, celle qui ne nécessite pas d’aller faire un tour sur Wikipedia : ‘’Astronaut meets Appleman’’, au delà du fait qu’il explore les tensions entre tradition et technologie, est un album qui mérite qu’on perde son temps. Arrivé lentement à la moitié du disque, on pense subrepticement à Paul McCartney période ‘’Chaos and Creation in the Backyard’’, à la fois sans prétention et tout entier focalisé sur ce filet de voix transperçant les grilles étroites du micro. On a connu pire comparaison.

King Creosote // Astronaut meets Appleman // Domino
http://www.kingcreosote.com/

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