Avec son minois de premier communiant et ses grands yeux mélancoliques, Paul Banks devait bien se faire à cette idée : la nature l'avait choisi pour prendre part à la grande aventure

Avec son minois de premier communiant et ses grands yeux mélancoliques, Paul Banks devait bien se faire à cette idée : la nature l’avait choisi pour prendre part à la grande aventure du rock dépressif. Alors il a crée un premier groupe (Interpol), écouté Joy Division, lu Céline et Bukowski (et sans doute Nietzsche et Poe), s’est tiré de Clacton-on-sea – tout un programme – pour aller à New-York, il s’est mis à descendre trois cartouches par semaine et a fondé Interpol. On a fait plus original comme parcours, on a fait surtout beaucoup plus mauvais. Car Paul a du talent et, surtout, il porte toujours des chemises très classes.

Ayant miraculeusement échappé à la mode du The qui domine tant en Grande-Bretagne qu’aux Etats-Unis et tellement qu’il devient difficile d’en distinguer les porteurs – pas tous sains, loin s’en faut -, Interpol s’est placé en l’espace de sept ans parmi les groupes phares de la fameuse scène rock tendance néo new-wave ou, pour le dire autrement, parmi les groupes qui jouent à imiter Joy Division. Entre The National, The Strokes, The Bravery, The Killers et The Editors, Interpol s’impose grâce au meilleur bassiste du circuit et aux textes de Paul. Hosanna ? Ian C. ressuscité ? Non, on laissera ce genre de prophéties millénaristes – et qui permettent de pondre de belles couvertures sans se triturer le cortex – aux Inrocks (1). On se contentera de saluer les deux premiers albums du combo (Turn On The Bright Lights et Antics) et de mettre le troisième (Our Love To Admire) en fond sonore durant une traversée de la Beauce – et ses sublimes éoliennes que même Lautréamont n’y aurait pas cru – en Clio. Bilan globalement très positif, voire carrément youpi-youpi si l’on songe aux trippants Obstacle 1, PDA, Evil, Public Pervert et Rest My Chemistry.

L’an dernier, après une tournée réussie, Paul qui se donne beaucoup de mal pour atteindre le rang de rock star accomplie (puisqu’il s’amuse avec une ex de Leonardo ‘Iceberg’ DiCaprio) s’est souvenu qu’il avait également lu Sartre et que le seul mérite de celui-ci est non seulement d’avoir désinhibé les victimes de strabisme mais aussi et surtout d’avoir su prononcer sans l’écorcher le nom de Kierkegaard, philosophe trop danois.

Il était donc, Paul, un Individu, il voulait faire parler son moi intime, profond et, sous le pseudonyme de ses débuts, Julian Plenti, composer un album solo.

Le jeu de jambes de Daniel Kessler, la mèche estampillée « Bavière 1930 » de Carlos Dengler, ça commençait à l’ennuyer. L’habitude, voilà l’ennemi. Du coup, il s’est lancé dans cette périlleuse aventure, l’ami Paul, non sans s’être d’abord laissé pousser la moustache, décision à laquelle tout homme digne de ce nom est conduit au moins une fois dans sa vie lorsqu’il traverse une période pleine de doutes ou quand il est en rade de mousse à raser.

Le résultat de cette fuite est sorti cet été sous le titre de Julian Plenti is… Skyscraper. A l’aune de Our Love To Admire, galette où se mélangent le sublime et le ridicule, on pouvait s’attendre au meilleur ou au pire. Ni miracle ni catastrophe : on a les deux. Nous évoquions la moustache de Paul… N’importe quelle étudiante en troisième année de psychologie vous le confirmera : le changement physique et vestimentaire du sujet, sa volonté de se réapproprier son nom d’avant, ce sont là des signes traduisant un désir de rupture avec ce qu’il avait été (produit) jusqu’alors. Or, ne devient pas autre qui veut, dit le poète – un pas connu. Le travestissement de Paul, guère original dans l’absolu et plus encore dans le monde du rock, ne pouvait se légitimer qu’à la condition qu’il accouchât de quelque chose de nouveau et, pour ce faire, qu’il endosse vraiment le costume (et la moustache, donc) de Julian Plenti. En somme : que Julian soit Julian – Søren, si tu me regardes. Première réussite incontestable du disque : aucun des onze titres qui le composent ne pourrait figurer sur un album d’Interpol. Toutefois, aucun d’entre eux n’est en opposition radicale avec les thèmes et les sonorités de ce même groupe.

Jacques Séguéla me souffle : « C’est la rupture dans la continuité ». Merci, Jacques, mais t’es con.

Il n’y a pas à chercher de continuité mais plutôt une voie transversale (si l’on aime les métaphores routières) ou un ailleurs (si on leur préfère les métaphores paysagères). Sur son disque, Julian invite des violons, trompettes, contrebasses, exhibe son gros piano et abuse des guitares sèches. Ses improbables instruments enrubannent une voix bien plus douce et franche et Julian articule vachement bien, ce qui devrait ravir tous ceux qui déplorent la nullité des Français en anglais. L’hétérogénéité de l’ensemble n’est pas coupable. Julian expérimente, et l’on sait depuis Our Love To Admire que voix enregistrées, longues séquences instrumentales, balades sont autant ses dadas que les morceaux qui-font-bouger-la-tête.

Le disque s’ouvre sur un Only If You Run des plus inspirés. Niveau texte, les idées fixes de Paul sont encore de la partie – on n’allait quand même nous en faire un Zach Condon. Ainsi, on aura droit à la frustration, au sentiment de la chute, de la perte, au besoin d’affirmer un jusqu’au-boutisme dans la conduite quotidienne d’une vie dont on craint qu’elle nous glisse entre les doigts si on s’acharne à trop la contempler – j’ai cité Kierkegaard, hein. Niveau son, c’est de l’Interpol sans fioritures, direct, affreusement sincère. C’est l’adjectif qui vient immédiatement à l’esprit quand on pense à Julian : sincère. On enchaîne avec un Fun That We Have pas désagréable mais extrêmement poussif. On comprend alors que l’astuce principale de Julian, ça va être de nous la jouer chaud-froid pendant près de quarante minutes. Skyscraper, long crescendo sans but mais joli, est un pur morceau de transition. A ce stade, on est quand même dubitatif. On réécoute Skyscraper. Mouais… Games For Days arrive à point nommé. Dans cette grosse machine, tout fonctionne, la voix est bien posée, ça claque juste, et quand l’emballement survient au bout de deux minutes, on se régale avant de lâcher un bref cri de contentement à la fin. Au passage, notons que pour le clip de ce morceau Julian a fait appel à la ravissante Emily Haines, et on l’en remercie car Emily, ce n’est pas Polly Jean, mais c’est quand même du qui-donne-envie.


Madrid Song nous replonge dans une certaine torpeur à ceci près que cette balade au piano nous file un bourdon authentique et nous conditionne fort bien avant la balade la plus émouvante du disque, No Chance Survival, avec sa ligne de basse superbe de simplicité, morceau qui n’est pas sans rappeler – en infiniment plus soft – la version orchestrale de Pioneer To The Falls (2). Heureusement car surgit bientôt l’épouvantable Unwind, sorte de croisement entre The Bravery sous Lexomil et les trompettistes de Beirut. Y’a des accouplements qui ne sont vraiment pas beau à voir et pas davantage à écouter. Et que ça s’en donne à cœur joie, que ça part en sucette avant de verser dans un onirisme facile. Et ce n’est pas fini : Girls On The Sporting News groove faux. Ça se voudrait sensuel, c’est ennuyeux au possible. On The Esplanade, mignon mais inoffensif complément de No Chance Survival, répare en partie les dégâts. En outre, elle plaira sûrement à tous ceux qui apprennent à jouer de la guitare… C’est déjà ça. Fly As You Might, sur une mélodie plutôt chouette, est un titre fainéant, une plainte scandée façon j’ai-perdu-ma-Ventoline. Après ce funeste trio, le dernier morceau est une bonne surprise. H, variation à la manière de Mogwaï avec en prime de petits bruits louches piqués à Boards Of Canada, et ce sur une incantation taoïsto-alcoolisée (?) qui fera plaisir à Roland Emmerich.

Pour dire d’un disque qu’il est raté, encore faut-il que son auteur ait préalablement annoncé une ambition costaude. Rien de tel ici.

Avec Julian Plenti is… Skyscraper, Paul Banks se voulait franc-tireur. Il avait beaucoup à perdre. Il s’en sort la tête ni trop haute ni trop basse, distillant autant de petites merveilles (ouais, il est décidemment très beau, ce No Chance Survival) que de petits ratés. Au fond, voilà ce que l’on pourrait lui reprocher : de n’avoir pas suffisamment osé. N’est pas Bowie, Lou Reed ou Trent Reznor qui veut. Mais il porte de trop belles chemises et, rien que pour ça, on continuera de croire en lui.

Julian Plenti // Julian Plenti is… Skyscraper // Matador, 2009.

http://julianplenti.com

(1)  Sur le rachat du magazine vachement rebelle par une banque, lire l’article de Pierre Jourde : http://bibliobs.nouvelobs.com/blog/pierre-jourde/20090820/14139/la-banque-cest-rebelle .

(2)   A écouter ici : http://mog.com/Augusts1/blog/109953

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