Février 2015. Un vieux bonhomme de 68 ans publie un premier album studio qui, en plus de ramener d’entre les morts un son VHS qu’on croyait enterré à jamais, réussit l’exploit de sonner comme un mauvais plagiat de gamins eux-mêmes influencés par le type en question. Inutile de vous lever pour aller pisser pendant la coupure pub, pour une fois ce n’est pas un film. C’est juste le premier disque du maitre de l’ép(r)ouvante.

« Lost Themes », disque dont il est ici question, ressemble d’abord à la devanture d’un bordel aguicheur tenu par une maquerelle zombie du meilleur genre. Le premier single, Vortex, lâché quelques semaine avant la parution dudit disque que personne n’attendait, a de quoi faire tomber les chicos à tout héroïnomane qui se respecte.

Puissant boogie trempé dans l’hémoglobine porté par un piano plus flippant que la vision de votre mère en string brésilien, Vortex c’est d’abord le genre de petit miracle dans une époque dont on n’attend plus rien ; et qui plus est à un âge où plus personne n’en a (d’âge). Julian Casablancas donne l’impression d’avoir 55 ans, Pharell Williams à peine 25 (il en a 41), Madonna fait comme si elle venait d’avoir ses premières règles et en toute logique, dans cette société où la mortalité recule aussi vite que l’espérance d’une euthanasie pour éviter l’écoute d’un prochain disque d’Ariel Pink, John Carpenter sonne désormais comme… du bon Kavinsky. Aussi improbable soit cette dernière assertion, Vortex donne d’abord à se frotter les yeux. Est-ce vraiment ce même Carpenter, vieux moustachu banni des studios américains depuis la sortie de son dernier four – Ghosts of Mars, 2001, un bon film soit dit en passant – qui a réussi ce tour de force ? Les hurluberlus de Sacred Bones, label responsable de ce fossoyage synthétique, n’auraient-ils pas mis les mains dans le caveau pour aider John à sonner aussi, euh, moderne ?

Walking Dead

J’en suis encore à me poser toutes ces questions lorsqu’arrive enfin « Lost Themes », bordel aguicheur comme on disait plus haut, qui dès la première écoute laisse à penser qu’en lieu et place des zombies péripatéticiennes annoncées, on va surtout se taper de l’humain trop frais, du pas vraiment mort, bref : du super-normal au lieu de l’extra-ordinaire annoncé. En langage musical validé par les hautes instances de la rock critic bien pensante, ça donnerait ça :

« Porté par des guitares héroïques et des synthés crépusculaires, le premier opus de John Carpenter est une ode au rétro-futurisme à moitié réussie qui à défaut de ressusciter les grandes heures de ‘’Assault’’ ou ‘’Halloween’’ permettra aux plus jeunes de comprendre qu’il y a eu une vie avant Italians do it Better ».

Autrement dit, pour le commun des mortels en sans langue de bois, un disque non seulement daté, mais aussi, hélas, un peu raté. Car non seulement aucun des morceaux de « Lost themes » n’arrive à la cheville de Vortex, mais surtout tous, dans leur grand ensemble, donnent l’air sans la chanson, se fourvoient à recopier péniblement sur un format long ce qui fit jadis le succès de Carpenter : des B.O. sur lesquelles on trouvait en général une mélodie sublime composée avec des bouts de ficelle (petit indice pour les néophytes en Carpenter, ledit morceau se nomme dans 99% des cas NOM DU FILM + Main Title) avec autour une chiée de variations de trucs d’une minute ou deux qu’on écoutait d’une seule oreille en cherchant la télécommande pour appuyer sur NEXT.

Il est précisément là le drame de la discographie de Carpenter, et ce premier studio le confirme : aucun des disques de Old John n’est composé comme un vrai disque, à chaque fois il s’agit d’habiller la pauvrette avec une tenue de soirée bon marché, le genre de fringue qui ne passe pas trois lavages. On peut aimer les synthés pompiers de Domain, les guitares heroic fantasy de Wraith avec guerriers de série Z fringués en peau de farfadet, voire véritablement avoir un coup de foudre pour le morceau de clôture, Night, peut-être le plus épuré de toute la nouvelle cuvée, toujours est-il que « Lost themes » ne conjure pas le mauvais sort. N’en déplaise aux luxueuses et foutrement chères rééditions du label Death waltz, on arrive au bout du chemin qu’il n’y a toujours pas un seul disque de Carpenter écoutable du début à la fin.

If I was a carpenter

John « Charpentier ». Avouons qu’il porte tout de même bien son nom. Note après note, sans aucun rudiment musical, il a su bâtir un empire de bric et de broc dont se sont inspirés tous les gamins qui ont eu la flemme de s’user les poignets au conservatoire. Jusque là, on pourrait crier au génie tant le nom de Carpenter, petit ouvrier de l’horreur sur clavier en plastique, a pu traverser les décennies – au moins deux – sans trop souffrir du temps qui passe maintenant que le vieux est le nouveau jeune; preuve par l’exemple avec la sortie imminente d’un nouveau disque de Giorgio Moroder, 74 ans au compteur, avec Britney Spears ou Kylie Minogue (avec un désespérant premier single) au micro. Ou encore avec Carpenter Brut, le mystérieux projet français croisant l’angoisse des nappes de qui vous avez avec le son gyrophare de Justice. Tic tac tic tac… Au quatrième top, nous entrerons dans un monde qui regarde en arrière.  Générations qui s’empilent les unes sur les autres comme des corps au Carlton de Lille, c’est à se demander si votre père ne serait pas votre fils. Passons.

Le véritable problème de ce come-back parmi les vivants, c’est que depuis sa retraite la société toute entière s’est transformée en armée de zombies. Il suffit pour s’en convaincre d’admirer une génération incapable de marcher droit depuis qu’elle est obnubilée par l’écran rétro-éclairé de son téléphone portable. Ce n’est même plus le pitch d’Invasion Los Angeles, c’est désormais la réalité. Idem avec Assault, historiquement un remake de Rio Bravo, qui prend aujourd’hui un véritable coup de vieux face à l’actualité et toutes ces scènes de guérilla urbaine, parmi lesquelles les attentats du 11 janvier, qui font ostensiblement dire qu’en dépit de son lointain avant-gardisme, Carpenter est désormais #DEMODÉ.

Dans cette société où plus personne n’achète de disque mais où chacun commente le gouts des autres, plus personne n’a besoin qu’un vieux type dégarni capable d’aligner des mélodies à deux doigts sur son vieux synthé casio vienne lui annoncer un futur dont, de toute façon, il ne veut plus. L’apocalypse, c’est devenu le pain quotidien d’à peu près tout le monde. L’information en continu sur BFM, les photos de soirées de Paris Hilton dans les nightclubs russes, le guest gérontophile de McCartney avec Kanye West, les vidéos low budget des terroristes de Daesh exécutant des occidentaux innocents (dédicace inconsciente à Carpenter ?), inutile d’embaucher Kurt Russell pour la fantasmer la violence, désormais elle est partout. Et face à tout, John, comme ses thèmes, est perdu.

John Carpenter // Lost Themes // Sacred Bones (Differ-Ant)
http://johncarpenter.sacredbonesrecords.com/

John-Carpenter-Lost-Themes

6 commentaires

  1. excellente chronique ! a ajouter que les « thèmes » pourraient être bien, leurs trâmes sont de qualités mais ils aurait fallu que ca ne reste que des trâmes et pas que le fiston Cody et le neveu puisse y avoir accès : Ils ont tout gâché, tout niqué ! a grand coups de sons hypra cheap que même les Goblins et les Tangerine Dream de la pire heure n’auraient pas oser utiliser ! Raté complet;

  2. Entièrement d’accord sur cette triste tentative discographique. Mais, sans vouloir jouer les gardiens du temple, Assaut, « démodé » ? Ben non, « paf dans l’actu' » comme dirait l’autre. Le film est tellement dégraissé, élémentaire et précis qu’il se remet en marche à chaque vision (et je vérifie très régulièrement). Enfin, il me semble…

  3. Ah ouais mais non Assault reste un putain de film, on est tous d’accord là dessus en vrai. Lorsque je parle de « démodation », c’est pour pointer le fait que le film avait 25 ans d’avance, en fait.

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