On sait depuis longtemps l’attrait des Américains pour les disques inutiles ; ce qu’on n’avait pas anticipé en revanche, c’est que le dixième album de Jonathan Meiburg sonnerait comme l’hallali des chasses d’eau ; à peine plus réconfortant que le bruit de la roulette du dentiste.

Jusque là pourtant, c’était presque un sans faute. Enfin, je dis ‘’jusque là’’, mais il faudrait quand même faire l’impasse sur les trois derniers albums studio de Shearwater [1], dont les deux derniers publiés chez un Sub Pop à qui l’on conseillerait, au regard des artistes signés depuis quelques années, de se reconvertir dans les assurances-vie avec interdiction formelle de s’approcher à moins de 300 mètres de toute partition.

« Shearwater est l’un de mes groupes préférés » (Robert Plant)

Evitons-nous une énième saillie sur Beach House, devenu le mètre étalon du label de Seattle, pour mesurer la distance entre génie et médiocrité. Avant même son début, ‘’Jet Plane and Oxbow’’ commence mal. Il y a cette pochette, déjà, qui fait redouter un passage du côté obscur – le triangle indie-franc-maçonnique, les couleurs fluos plus tape-à-l’œil qu’une péripatéticienne plantée devant l’Olympia – pour ce groupe emblématique des années 2000 ; l’un des seuls, de fait, à avoir su résister à la putasserie américaine ambiante. Ca, c’était avant. Un rapide coup d’œil dans le rétroviseur permet de constater que leur chef d’œuvre indépassable, ‘’Palo Santo’’, a pris un coup de portière dans la gueule, dix ans déjà. Et depuis ? Un dernier disque écolo et ma foi honorable chez Matador (‘’The Golden Archipelago’’, 2010) et depuis rien ou presque, hormis des albums encore plus mous que le cervelet de Beck, et avec assez de mesures potables pour qu’on supporte, à chaque sortie, plus de trois chansons. Lancé sur une pente douce, le groupe de Meiburg persiste et signe avec ’Jet Plane and Oxbow’’ et débute son champ du cygne par Prime, un morceau 50% électronique 30% acrylique 20% chiant où le coup de la voix de stentor à gorge déployé ne fonctionne plus aussi bien que dans la décennie précédente. C’est dur mais c’est ainsi ; on ne peut pas jouer toute sa vie au Pavarotti de Prisunic pour trois groupies à franges du South By Southwest.

Non content d’avoir réveillé son auditoire avec une introduction hautement dispensable, Shearwater enfonce le clou avec Quiet Americans, certainement composé par un management ayant eu la bonne idée de transformer les bouseux du Texas – l’état, pas le groupe, et encore que… – en nouvelles stars planétaires à même de concurrencer Foals et Coldplay pour le titre de groupe indie-FM le plus compromis des années 2010. Le résultat, à l’image du lifting d’Emmanuelle Béart, est jonché de cicatrices plus ou moins béantes ; la plus profonde étant certainement le titre susnommé, où l’on s’attend au détour d’un refrain plus-pute-tu-meurs à voir Meiburg débouler dans ta cuisine pour t’inciter à taper des mains sur tes casseroles. A ce stade (de France), le terme de trahison n’est même plus adapté ; bonoesque semblerait presque plus adapté pour qualifier la mutation des dignes héritiers de Talk Talk en vague réplica d’un U2 paumé dans un parking Auchan. C’est d’une tristesse telle que cela en devient incompréhensible de continuer à s’acharner sur ce disque certainement composé pour des nostalgiques de Dawson’s Creek ou toute autre série adulescente où les héros pleurent devant la beauté d’un coucher de soleil.
Seul hic sociologique, cette Amérique pleine de bons sentiments ne fait plus rêver ; pas plus que le pathos-papillon de Meiburg qui, comme son mentor Mark Hollis, aurait mieux fait de disparaître dans la nature plutôt que de jouer la survivance. Un doute à l’écoute des deux seuls moments de bravoure de ’Jet Plane and Oxbow’’ (ce Filaments aux rythmes krautrock et Radio Silence, très R.E.M. période ‘’Murmur’’) : aurait-on eu un jugement hâtif sur ce Shearwater 2.0 ? De vous à moi, pas la force d’y revenir, démerdez-vous avec ce point d’intewogation.

Shearwater // Jet Plane and Oxbow // Sub Pop
http://shearwatermusic.com

[1] ‘’Shearwater Is Enron’’ (2010), ‘’Animal Joy’’ (2012) et ‘’Fellow Travelers’’ (2013)

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