Un an à peine après la sortie du très réussi "Who cares", Jessica93 revient avec "Rise", nouvel album qui devrait plaire aux kids et aux mères de famille amateurs de bruit blanc et de riffs addictifs. Fidèle par nature, Geoffroy Laporte, 34 ans au compteur, le sort chez Teenage Menopause records et Music Fear Satan, des labels farouchement indépendants qui avaient déjà mis en branle un premier LP vendu au-delà des espérances.

Bien sûr, musique de niche oblige, on ne parle pas ici de ventes genre « disque de platine » mais les 2500 exemplaires du « Who Cares » écoulés ont parfaitement reflété l’excellent accueil critique et le bouche-à-oreille efficace des réseaux sociaux qui ont porté le disque pendant plusieurs mois. Un constat pas si fréquent en ces temps de disette. Conséquence immédiate, l’attention portée sur « Rise » avant sa sortie prévue début novembre semble bien plus importante : couverture du nouveau numéro de nos confrères de New Noise, enchaînement d’interviews avec des médias qui flairent un next big thing potentiel. Tout est là pour mettre sur les rails un second album qui n’en demandait peut-être pas tant.

En sept titres,  Jessica93 creuse un sillon qu’il connaît bien et qui nous parle : le shoegazing new look du XXIe siècle. Avec Now et Asylum astucieusement placés en ouverture, « Rise » saisit immédiatement l’auditeur en lui mettant sans ménagement la tête dans ce qu’il connaît le mieux : un bouillon de stridences, un riff ultra efficace. Si jouissifs que je les enchaîne régulièrement en air guitar devant ma glace. Disons-le tout de même : après cette entrée, la fanfare marque un peu le pas, et le disque ne tient pas forcément toutes ses promesses sur la longueur. A moins que ce ne soit simplement l’effet de surprise qui ne soit plus là ? Et que le « Rise » d’aujourd’hui ne soit peut-être le « Who cares » d’hier pour celles et ceux d’entre vous qui découvriraient seulement maintenant Jessica93.

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Pour en savoir plus, on retrouve Jessica93 devant un bar de Pigalle bien connu des oiseaux de nuit. Pas de bol, en cette fin d’après-midi, les noctambules sont évidemment fermés et c’est dans un petit PMU du quartier que notre folle équipée débute, verre de blanc labellisé « mauvaise qualité » à la main, muni d’un smartphone/dictaphone qui lâche toutes les deux minutes.

La dernière fois qu’on s’est vu, c’était il y a plus d’un an, pour la sortie de ton précédent album « Who cares ». Cet album a été hyper bien accueilli par la critique. Pas trop grisé par toute cette période?

Oui, super bien accueilli. Et ça m’a bien fait chier (Rires). Non, que veux-tu que je te dise ? C’était un peu inattendu alors du coup j’ai passé mon année à regarder les clics Facebook augmenter.

Cet engouement critique s’est-il a traduit concrètement sur les ventes de l’album? (NDLR : le disque avait initialement été pressé à 500 exemplaires en vinyle)

Oui, complètement. Le disque a été repressé trois fois, soit 1500 vinyles. Il y a eu aussi un pressage de 1000 cd’s et tout s’est vendu. Ca m’a changé des 300 exemplaires du premier disque que j’avais sorti. Tu as écouté le nouvel album sinon?

Oui, je ne fais pas encore parti des journalistes qui se pointent devant un artiste sans avoir écouté son disque.

Je te pose la question parce que j’ai appris récemment que certains critiques littéraires se contentaient de lire les premières pages d’un livre, celles du milieu et celles de la fin du bouquin.

Non, j’en suis pas encore là et je n’ai pas de stagiaire qui bosse pour moi. Revenons à toi. Ce vrai petit succès t’a-t-il mis un peu plus de pression au moment de composer ce qui est devenu « Rise » ?

Bien sûr que non. D’autant que certains des morceaux qui sont sur l’album ont été conçus avant que « Who Cares » ne sorte, ou juste au moment de sa sortie en juin 2013. Quand je fais des concerts, j’aime bien renouveler très régulièrement le set, ce qui explique peut-être pourquoi je suis toujours en période de composition. Vers avril-mai, j’ai commencé à parler avec les label Music Fear Satan et Teenage Menopause du nouveau disque. Et en fait le disque était déjà presque là. Entre temps j’ai fait un split single avec Mistress Bombe H. Il y a deux morceaux qui sont partis sur ce truc et qui auraient du être sur « Rise ». Au final, il me manquait vraiment un morceau pour faire un album complet, et je l’ai écrit pendant la période d’enregistrement.

A vrai dire, je suis assez étonné que tu sortes ce nouveau disque avec Music Fear Satan et Teenage Menopause records qui sont de « petits » labels. Tu n’as pas été démarché par des labels plus importants?

Ben non. En fait cette année ça a surtout été des discussions avec des tourneurs. Maintenant j’ai un tourneur et un manager, ce qui n’était pas du tout le cas quand j’ai sorti « Who Cares ». Je pense aussi que peu de gens s’attendaient à ce que je sorte un nouvel LP aussi rapidement. En plus, Teenage Menopause et Music Fear Satan m’ont tout de suite proposé de sortir quelque chose avec eux. Pas de quoi hésiter.

J’ai acheté une nouvelle pédale grâce à l’argent de la caisse d’allocations familiales…

Grâce à Who cares, tu as dû gagner un peu d’argent. Est-ce que tu as pu en profiter pour changer de matériel, acheter des nouveaux instruments?

La dernière fois que je t’ai vu en août 2013, j’avais déjà acheté une nouvelle pédale grâce à l’argent de la Caisse d’allocations familiales (CAF). A l’époque, la CAF m’avait par erreur ponctionné de la thune et ils m’avaient ensuite remboursé. C’est un peu comme si j’avais mis de l’argent de côté. Grâce à ça, je me suis acheté une nouvelle pédale d’effet et une basse Boomerang.

Certains de nos abonnés aiment parler matos dans les dîners.

Ma boîte à rythmes, c’est une DR-880, une Boss de chez Roland. Ma basse, c’est une Squier. En fait c’est la Signature Matt Freeman, qui est le bassiste de Rancid. Ma loop, c’est une Boomerang III. Après, mes pédales sont toutes des pédales à la con. J’utilise les pédales les plus simples en fait. Mon delay, c’est une Behringer, et elle est toute pourrie. J’ai deux pédales de distorsion : la DS2 de chez Boss, et pour la basse, c’est une bass overdrive. Et en mars, j’ai acheté une nouvelle guitare, une Squier Jaguar. Mais elle tombe déjà en lambeaux, dès que je fais un pas de travers avec il y a tout qui tombe. Je l’ai déjà fait réparer six fois, elle ne tient vraiment pas la route.

Suite au succès du premier LP, tu n’as pas été tenté de prendre un batteur, et de monter un duo?

On en a pas mal parlé, ouais… beaucoup parlé même. Et finalement, je suis un peu revenu sur la question en disant que je voulais maintenir le projet en l’état. Par contre, monter un autre groupe, faire des trucs à côté, je suis partant. Je joue de la batterie dans un autre groupe. Et j’aimerais bien aussi monter encore un autre groupe de rock, dans lequel je serais guitariste. Mais je n’ai pas envie que Jessica93 devienne un groupe. D’abord parce que c’est mon projet le plus simple. Pour jouer, pour la logistique, etc… Et je ne veux pas perdre cette simplicité. S’il faut que je commence à trouver un local pour répéter, ça va devenir rapidement chiant. Et ensuite parce que je ne veux pas que ça devienne Jessica et son big band. Ce serait trop l’angoisse. Si j’inclus un jour des gens dans Jessica 93, ils prendront pleinement part aux compositions, et ce serait un vrai groupe. Je ne veux pas être un chef d’orchestre.

Ce qui me fatigue le plus en tournée, c’est plutôt le fait d’être à cinq dans un camion.

Depuis la sortie de Who Cares, tu as beaucoup tourné à Paris et en province. Ce n’est pas trop pénible de se déplacer tout le temps tout seul?

J’ai par exemple fait une tournée de trois semaines en France. Et je suis parti tout seul avec ma voiture alors qu’à la base, je devais faire le truc avec des potes Je me suis lancé en me disant que j’allais me la jouer en mode cowboy solitaire. Ca s’est révélé assez surprenant et pas du tout désagréable. Bon, après, faut avouer que c’était un réseau de concerts avec des gens que je connaissais à chaque fois plus ou moins bien mais je n’étais jamais seul finalement. Je me suis aussi rendu compte que ce qui me fatigue le plus en tournée, c’est plutôt le fait d’être à cinq dans un camion. Dès fois, c’est tes potes qui te fatiguent. Tu peux jamais avoir un moment tout seul, tu vois, et ça peut être usant. Donc prendre ma bagnole tout seul et faire trois cents bornes, j’ai trouvé ça super reposant. Même avec la pire gueule de bois. La route faisait redescendre le truc. Pour les prochains concerts, j’ai Vincent, mon ingé son, qui va m’accompagner. Donc je serai plus vraiment tout seul.

Je trouve que les sonorités de Rise sont beaucoup moins sombres que celles du précédent. On a l’impression que ça va mieux dans ta vie, non?

C’est marrant, les gens qui l’ont écouté m’ont dit qu’ils le trouvaient plus dark. Mais pour moi, il est complètement dans la lignée de « Who cares ».

Parlons de Now, le morceau qui ouvre l’album. Pour moi, c’est un peu ton tube : 3’30 », une mélodie ultra accrocheuse, un riff de guitare qui colle aux dents….

Je l’ai avant tout placé en intro de l’album parce que c’est le morceau le plus court du disque. Avec le dernier. Ca fait plus d’un an que je le joue sur scène. Ce qui est marrant avec Now, c’est que le riff de batterie est exactement le même que sur Seul contre tous, le premier morceau de mon tout premier album qui ne s’était vendu qu’à trois cents exemplaires. Quand j’allume ma boîte à rythmes, c’est le premier pattern de batterie qui s’allume. C’est celui dont je me sers pour faire les balances. Et le riff de guitare est venu très simplement, comme d’habitude.

Sur « Rise », ce qui m’a aussi frappé, c’est l’influence des sons de « Kiss Me, Kiss Me, Kiss Me« , un album de Cure sorti en 1987. Je me trompe ?

Ce n’est pas du tout un truc conscient. C’est assez marrant que tu me dises ça car on sort d’une autre interview, et le journaliste m’a aussi parlé de cet album. L’ambiance de « Rise » lui rappelait beaucoup celle de cet album de Cure, tout particulièrement le morceau White Noise. Il n’y a rien de conscient de ma part. Mais pour moi, c’est évident que Robert Smith est une influence majeure dans ma manière de jouer de la gratte, donc oui, je pense que c’est assez normal qu’on retrouve parfois des sonorités qui rappellent celles de son groupe.

Même si les gros labels ne t’ont pas contacté, as-tu eu des opportunités pour faire des premières parties assez importantes et élargir ton audience? Tu t’en fous ou c’est important pour toi ce genre de considérations?

Oui, j’ai les premières parties de Kas Product [soirée Gonzaï de septembre 2013, NDR], de Tuxedomoon ou encore de Future Islands.

Tu en as profité pour t’inspirer du fameux jeu de scène du chanteur de Future Islands?

Non, non. Je trouve ça horrible mais le mec est super marrant. Ses musiciens ne boivent pas, ils sont hyper carrés. Mais lui avait une bouteille de Tequila. Quand je l’ai rencontré, je ne savais pas du tout que c’était le chanteur du groupe car je ne connaissais pas Future Islands. Pendant que les musiciens faisaient la balance, il est resté dans les loges. Il voulait que je boive avec lui car il était tout seul. On se faisait des shots de Tequila, tout en se foutant de la gueule des mecs du groupe et de leur côté hyper sérieux. J’étais persuadé que ce type était le conducteur de leur bus. Quand ils ont commencé leur concert, je suis allé jeter un œil pour voir ce que ça donnait, et là, le choc. Je vois ce gars-là en train de parler à sa main en chantant. Gros choc (rires). Je me suis dit « Ah ouais, c’est le chanteur en fait. Putain, il est bien allumé ». On s’est vraiment bien marré, il est très drôle. Par contre, les autres membres du groupe ne rigolent pas. J’ai essayé de parler avec eux mais ça n’a rien donné du tout.

Je te pose la question sur les grosses premières parties parce que, sans être péjoratif, je trouve que ta musique a un peu un côté musique de stade. Elle est assez grandiloquente et super efficace.

C’est assez fédérateur en effet. J’ai même joué à Rock en Seine, tiens. Je ferai la première partie de The Horrors en novembre et je vais aussi jouer au Grauzone festival à Amsterdam qui rassemble plein de groupes mortels, dont DAF, The Fall, ou Viv Albertine des Slits.

C’est un festival de vieux, en fait ?

Malheureusement, c’est vrai que les têtes d’affiche des festivals sont toujours des vieux groupes. On est tombé dans cette période là. Même les jeunes talents comme moi ont déjà 34 balais. Entre Blondie et moi, ça ne respire pas forcément la jeunesse et les festoches font un peu la gueule.

Dès qu’un groupe n’a pas joué depuis très longtemps, les programmateurs ont l’impression que ça va forcément bien marcher. (…) Et c’est vrai que c’est chiant.

Tu n’as pas un peu l’impression que l’époque est à la réhabilitation de tout et n’importe quoi?

Je ne vois pas quel est le problème des programmateurs. Dès lors qu’un groupe n’a pas joué depuis très longtemps, ils ont l’impression que ça va forcément bien marcher. Ca se joue là-dessus, sur les reformations, etc… Et c’est vrai que c’est chiant. Par exemple, j’étais pressenti pour faire la première partie de Suicide à la Gaîté Lyrique en juillet et finalement ça ne s’est pas fait. Les trois quarts du temps, quand on me propose une première partie, c’est un vieux groupe. C’est même plus très marrant à voir. Il paraît que le concert de Suicide était un peu pathétique. En même temps, je m’en branle, c’est pas mon problème. Mais quand on y pense, on constate que notre génération a du mal à avoir des engouements pour des trucs actuels. Elle est tournée vers le passé, vers les vieux. C’est un peu dommage mais je ne peux rien y faire.

Tu avais fait pas mal de promotion pour « Who Cares ». Là, je sens que le rythme va encore être plus soutenu car il y a une véritable attente sur ton album. Les miennes mises à part, as-tu eu des questions stupides des journalistes que tu as rencontrés?

Ecoute… L’autre jour j’étais sur le Mouv’ et ils m’ont fait un portrait chinois. Un portrait chinois, quoi… Et en plus ils ne me l’avaient pas dit avant. Donc c’était un peu rude. Sinon, j’adore être interviewé par des kids qui ont à peine 20 piges et qui sont sur des radios Campus, ce genre de choses. Les questions sont souvent ultra naïves. Je trouve qu’à Rennes par exemple, il y a une effervescence de ce type de journalisme. J’ai eu pas mal d’interviews de petits jeunes là-bas, et je les encourage. Ils sont souvent assez emmerdés, surtout pour « Who Cares », car je parlais de crack, de shit, et ça m’a bien fait marrer.

La pochette de « Who cares » était très belle, elle représentait un sachet de crack dans une main. Je n’ai toujours pas vu la pochette du nouveau disque. Tu verrouilles plus ta communication à présent?

En fait mon manager voulait absolument garder le truc un peu secret. Mais la pochette vient d’être dévoilée, au même moment que le clip tourné pour le morceau Asylum. C’est une photo de tournée, avec Nafi de Noir Boy George. Qui est aussi membre de Scorpion Violente, The Dreams, et Le Chômage. Une photo très simple où on est tous les deux devant la Visa Citroën jaune que j’avais à l’époque de la tournée dont je te parlais tout à l’heure. On ressemble vraiment à rien sur cette pochette. La communication est plus réfléchie, c’est vrai. Mais c’est peut-être parce que j’ai un manager ce qui n’était pas le cas avant. Il fait ça dans les règles de l’art, moi je suis là pour faire de la musique. Le moment où on dévoile mon album, je m’en fous un peu, donc je laisse faire. Labels et manager savent ce qu’ils font.

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Hors antenne, on parlera encore du retour des vieux qui agace profondément Geoffroy ou encore de Rock en Seine dont il a fait l’ouverture cette année. Gavé de questions par des journalistes pendant le festival, il avait fini par leur avouer que Rock en Seine n’est pas forcément l’endroit rêvé pour découvrir des nouveaux groupes. Rien de subversif en soit puisque le festival n’est pas spécialement axé « jeunes talents », mais ses déclarations avaient créé quelques tensions avec la direction du bidule. Comme dans toute dissertation, il convient de conclure en ouvrant le sujet : si Led Zeppelin frappait à la porte aujourd’hui, les laisserait-on rentrer ? Voilà, il est déjà l’heure de partir. Bavards, on quitte le troquet sans payer l’addition, avant de corriger le tir et de participer à la bonne santé financière de la Licence 4. Le casque sur les oreilles, je repars en écoutant « Rise ». L’ascension de Jessica93 peut continuer.

Jessica 93 // Rise // Sortie le 3 novembre chez Teenage Menopause/Music Fear Satan
http://jessica93.org/

1 commentaire

  1. Sylvain attend tjrs son clavier,je répete Sylvain attend tjrs son clavier ……………………………………………………………………………………………………………………………………………….

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