Question pop : faut-il vraiment savoir chanter pour oser montrer son bel organe en public ? Si la France posait déjà la question voilà une décennie à Michel Houellebecq pour le résultat qu’on connaît – Mimi a gagné le Goncourt avec le plus illisible de ses romans, alors que son disque, « Présence Humaine », croupit dans les caves – l’histoire semble se répéter aujourd’hui avec un autre maître déchanteur passé expert dans l’art du chanter faux. Quand le larynx fait un double croche-pied à la clé de sol, ça donne un premier EP nommé « Le Chrome et le Coton » qui laisse, euh, sans voix.

Ça fait combien de temps que vous n’avez pas entendu un album débutant par un riff glissando de piano ? Cinq ans ? Dix ans ? Vous ne vous souvenez plus ? Allez, un effort les mecs… le best-of d’Elton John ? Le Great Balls of Fire de Jerry Lee Lewis ? Un titre de Keane ? Trop ringard, ouais je sais. Et puis la pédale de sustain enfoncée comme une pédale d’accélérateur, c’est super craignos, ça vous rappelle le pire des années 80 de Billy Joel, et en cela vous avez bien raison d’hésiter à appuyer sur la touche QUIT de ce papier pour retourner à la vacuité des saynètes sociales débitées par vos ami(e)s sur Facebook. Bon, toujours pas d’avis sur la question du début ? BIIIIIIIIIP. Trop tard les mecs, les 33 secondes de l’introduction pianistique de Catalogue Raisonné ont laissé place à un faible filet de voix déblatérant en français dans le texte des assemblages de mots empaquetés au hasard comme vos courses du vendredi soir chez Monoprix. Et, malgré toute la réticence que peut vous inspirer cette addition salée où se croisent Etienne Daho, votre ex qui est encore abonnée à Magic et le recyclage m’as-tu-vu des synthés de John Carpenter pour un film français avec des acteurs au physique de carpes embauchés au Smic pour un navet télévisuel à base de zombies feuilletant Télérama dans une salle d’attente, la trentaine de Jérôme Echenoz, quelque part, vous ébranle. Peut-être serait-il temps de penser à une mutuelle complémentaire, peut-être faudrait-il aussi réécouter les Paradis Perdus de Christophe.
Maintenant qu’on a f(r)ictionné toute cette histoire, difficile de revenir à la vie musicale, la vraie, telle que vous la sert tristement Thomas Vandenberghe tous les samedis matins dans Planète Musique Mag – sur France 2, hélas disponible en replay. Va quand même falloir faire un effort pour aller plus haut. Raclement de gorge et craquement de doigts, voici venu le temps d’un copié-collé biographique fourni par la maison de disque Entreprise, fondée voilà quelques semaines par les artisans de Third Side avec pour mission de – je cite – « renouer avec l’âge d’or de la musique française ».

« Jérôme Echenoz, soit Tacteel, le producteur culte des groupes ATK, TTC et Fuckaloop, prend un virage pop et spectaculaire sur son premier disque sous son vrai nom. Ça donne le 12 » ‘Le Chrome et le Coton’ et le sautillant et élégant Que vais-je en faire ?, premier single qui colle aux tympans.« 

On ne va pas chipoter trois heures sur ce « premier single qui colle aux tympans » dont la tournure – autant que la chanson – peuvent donner envie de s’exiler en Afghanistan avec un best-of mal encodé de Benjamin Biolay pour seul kit de survie. Car sur le reste de l’EP produit par Tahiti Boy, la pop chelou de ce producteur de rap a de quoi provoquer des torticolis. De ce genre musical, disons, urbain, Echenoz a gardé le sens du groove et des beats aux poils pubiens bien plaqués en arrière ; décidant au passage de ralentir le rythme des folles cavalcades pour faire cohabiter dans un seul et même cercueil – vu le titre de l’EP, l’ambiance n’est pas à la déconne – les corps de Bernard Lavilliers, Guillaume Fédou, Alister et Houellebecq pour un dernier cérémonial pop qui ne ressemble à rien de vraiment connu, ni entendu. Ambiance disco-mariachi synthétique sur Que vais-je en faire ? avec ses claviers d’occasion achetés place de Clichy, folle virée nocturne en Autolib’ sur le périphérique qui lentement mute en un récital martial pour robot dépressif sur Le Chrome et le Coton, mixage parfait de L’Amour et la Violence de Tellier et du 7 heures du matin d’Alister sur ce Tu pleures à la commande… tout y passe. Faut-il en demander plus ou simplement en rester là, à ces cinq chansons bricolées entre l’acier plombant – le chrome – et la plume légère – le coton ? Difficile à dire.
Mais, contrairement aux crooners précités qui, dans un excès de sobriété, essaient tous de mal chanter, Echenoz décide quant à lui de tout faire de travers avec aplomb. Dès lors, le mauvais goût côtoie les vrais instants de beauté et l’imperfection des chansons de Jérôme, plus pop que hip, sont un bel écho à cette sur-normalité qu’on nous vend par paquets de douze à la sortie des métros. Comme quoi, dans la chanson française, mieux vaut encore être un grand chanteur du dimanche qu’un artiste à la petite semaine.

Jérôme Echenoz // EP « Le Chrome et le Coton » // Entreprise
http://entreprise.bandcamp.com/album/j-r-me-echenoz-le-chrome-et-le-coton

[ENTRE02] Jérôme Echenoz – Le chrome et le coton by Entreprise

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