La moustache de Freddy Mercury et David Bowie période paillettes et suppositoires peuvent en attester, dans la vie des transgenres on n’est jamais trop aidé. Quand, trente ans après l’extinction des projecteurs sur le glam, un jeune canadien débarque avec des mimiques tirées de la cage aux folles et une poignée de chansons bouleversantes, ça donne une résur(é)rection miraculeuse.

Sortir de nulle part, c’est avant tout préparer son entrée en scène. Depuis Paris, c’est à dire loin, très loin, du quotidien de Jef Barbara, on imagine le gamin passer la main dans sa perruque, réciter les paroles de ses chansons comme des Pater Noster et s’assurer que la foule gronde, de l’autre côté du rideau. Que se passe-t-il dans sa tête, au moment de monter sur les planches ? Jef Barbara pense-t-il aux jeunes gens modernes qui tous s’attroupent au premier rang, s’inquiète-t-il encore de savoir si sa ceinture de boxeur poids plume est raccord avec ses petits souliers or, aimerait-il retrouver le parfum des chambre de bonne, lui qui a composé chacune de ses orfèvreries à main levée, seul face à ses complexes ? Dans les coulisses, un roadie pousse certainement son maigre corps sur la scène. « C’est à toi Jef ! ». Et Jef fait chauffer ses synthétiseurs, avant de dérouler maladroitement ses chansons aux refrains si bien vernis.

On ne va pas refaire ici le coup du « pour qui sonne le glam », digne des meilleures manchettes de journaux pour métro-sexuels. N’empêche qu’on trouve à l’intérieur de ce Québécois un romantisme du lointain, le parfum de l’insouciance et des comptines décomplexées, des histoires de triolisme entre gens du même sexe, version contemporaine d’un Alain Kan qui aurait survécu aux années SIDA et à la fin du Palace, quand être dans la marge socialement signifiait encore quelque chose. Parmi le lot d’étrangetés déjà disponibles au rayon rimmel & MST, un titre sort du lot comme l’une des meilleures choses entendues ces derniers mois, le genre de chansons qui passionnent sans usure grâce à la tension des lignes de basse, martelées d’un bout à l’autre des neuf minutes que durent Wild Boys. Que dire de cet hymne à la dance, si ce n’est que Jef Barbara aurait facilement trouvé sa place sur le devant de pochette de Manifesto, quand Ferry exhibait les mannequins plastifiés d’une décennie 70 prête à crever les plafonds plutôt que résister à l’excès ? En attendant la sortie française de son premier album, début 2012, Jef Barbara continue de dessiner la ligne de démarcation précise entre normalité et extravagance ; la même qui, vingt ans plus tôt, en forçait certains à changer de trottoir pour éviter de se poser trop de questions. Homme synthétique ou robot pédé, Jef Barbara reste un cas à part, une excroissance qui donne du relief à cette époque terriblement consensuelle, un condensé des icônes translucides du siècle dernier, qui fait de ce petit bijou de synth-pop un merveilleux coupe-vent contre l’ennui.

http://www.myspace.com/jefbarbara

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