Marre des groupes qui défilent les uns après les autres sur les webzines à la mode ou dans les canards musicaux qui n'ont pas encore mis la clef sous la porte faute de paillasson? En musique, les auditeurs goulus à la limite de l'overdose ont chacun leur méthode pour recharger leurs accus et retrouver le goût de la découverte. Certains entrent en sevrage pendant plusieurs semaines et s'interdisent d'approcher de près ou de loin une touche Play, pendant que d'autres décident de couper court aux rythmes frénétiques des sorties hebdomadaires en revenant vers des bons vieux fondamentaux.

Consultation est donc prise auprès de Jacqueline Taieb, ex-yéyé girl devenue à sa grande surprise tête de gondole de toute bonne compilation sixties branchée qui se respecte, et partenaire de jeu de quelques groupes actuels (Hushpuppies, April March, Bertrand Burgalat, Tahiti 80,…). Son actualité? Un nouvel EP où elle reprend 4 titres d’Elvis Presley. Jacqueline Taieb sings Elvis, EP enregistré avec des musiciens de Memphis dans les célèbres studios Sun de Sam Phillips, où du moins de ce qu’il en reste. L’occasion faisant les lardons, on se retrouve à la mairie du 9ème arrondissement de Paris, pour la pose d’une plaque commémorant le défunt Golf Drouot. Le Golf what? Ben, le Golf Drouot, dude. Le seul golf miniature couvert de Paris à l’époque, mais pas seulement…Surnommé le temple du rock pour avoir vu passer de 1961 à 1981 des milliers de groupes tels Ange, David Bowie, Free, Lord Sutch Savage, Heinz ou encore les Tornados, le Golf fut la toute première discothèque « rock » de France. En programmant chaque vendredi une demi-dizaine de groupes, il devint un des lieux les plus importants pour le rock en France. Point de vue probablement pas partagé par les fluokids du quartier.

jt-sings-elvis-face-aEn écoutant cet EP (4 titres et leurs versions instrumentales) et la voix quasiment intacte de Jacqueline Taieb, je me fis la réflexion qu’on a souvent été prompt au pays du camembert à s’extasier sur les gloires américaines vieillissantes (même si elles ne vieillissaient pas toujours bien, la distance et le mythe américain redoraient parfois la chose d’un petit coup de polish…), et à taper, souvent à raison, sur nos vieux frenchies. Le français aime s’autoflageller, et quand il s’agit de musique, il ne fait pas forcément exception. Avec certitude, affirmons que cet EP ne franchira pas le pays merveilleux des hipsters ni même celui des normcores, des sniffeurs de poppers ou des monomaniaques fanatiques de punk, mais les quelques curieux ouverts d’esprit devraient y trouver plus que leur compte, et savourer quelques épices d’une époque désormais révolue.

A peine arrivé à la mairie du 9ème, j’aperçois au loin quelques noms que les habitués de Rock and Folk connaissent probablement : Vigon, Danyel Gérard, Long Chris, Danny Boy et ses pénitents qui utilisèrent bien avant les Daft punk des couvre-chefs pour rester anonyme (pas de casques futuristes, mais des cagoules KKK de couleur rouge)… Problème, je ne suis pas venu pour causer âge tendre ou tête de bois, ni pour prendre du LSD entre le steak tartare et le café. Conclusion : on s’esquive discrètement pour une interview devant un Perrier citron.

Gonzaï : Jacqueline, d’où te vient cette fascination pour Elvis Presley, qui était déjà cité dans ton tube 7 heures du matin?

C’est plus une passion qu’une réelle obsession. Tu vas sur youtube et même quand t’es fan du mec comme moi, tu découvres toujours des morceaux incroyables. Ce type qui est mort a 42 ans a eu une carrière invraisemblable, il était capable de chanter des rocks de folie comme des ballades de dingue. J’aime les artistes capables de chanter dans différents registres, et pas uniquement dans un seul style, donc j’aime Elvis.

En 1967, un an avant le Summer of love, tu es bombardée révélation du premier MIDEM avec ce titre. Puis progressivement, tu disparais de la vie publique. Comment as tu vécu ce passage de la lumière à l’ombre?

IMP200.009_MAvant d’être chanteuse, je suis avant tout auteur-compositeur. J’ai composé pour d’autres comme un tailleur sur mesure, en m’adaptant à la personnalité de l’interprète. Mais c’est vrai que pendant les sixties jusqu’au début des années 70, j’ai sorti quelques disques et j’ai eu ma petite période de gloire, puis j’ai repris mes études, ce que je racontais dans le morceau La fac de lettres. Ensuite, j’ai essayé de faire des métiers plus conventionnels, mais je me suis rendu compte que j’avais la musique dans le sang, donc j’ai essayé de revenir, en travaillant notamment pour Jeane Manson, Michel Fugain, Yves Montand…Quelques années plus tard, je suis parti aux Etats-Unis avec une chanson à laquelle pas mal de personnes croyaient (Ready to follow you), et là-bas, j’ai rencontré Dana Dawson, une jeune chanteuse afro-américaine de 13 ans. On a enregistré des maquettes ensemble puis on est allé présenter ça au MIDEM 1988, et là, ça a été l’explosion. Un tube imparable.

Tu peux nous parler un peu de 7 heures du matin, ce morceau qu’on a entendu dans pas mal de publicités ces derniers temps et qui a été notamment repris par Mareva Galanter. C’est quoi l’histoire de ce titre psyché-pop, où tu cites quelques tubes du moment, comme le fera par exemple quelques mois plus tard Stella, la femme de Christian Vander, dans Poésie 67?

Mon père m’a offert une guitare à 12 ans, et je me suis toujours baladé avec. Un été, lors de vacances en Tunisie, je grattouillais quand une femme est venue vers moi et m’a dit « C’est bien ce que tu fais, voilà ma carte, viens me voir à la rentrée ». C’était l’éditrice de Michel Fugain, et tout a commencé comme ça, par hasard. J’écrivais pour d’autres, et quand j’ai débarqué avec 7 heures du matin, toute l’équipe était convaincue que je devais la chanter, ce que je n’avais jamais imaginé. Je souhaitais un interprète du calibre de Jacques Dutronc. Et puis IMPACT, la maison de disques, m’a poussé à la chanter et je suis devenue chanteuse, sans vraiment le vouloir. J’ai fini par accepter. A l’époque, ce titre a un peu marché en France, en Belgique ou en Suisse. Mais rien de très important. Et tout à coup, sans que je comprenne pourquoi, il y a eu des années plus tard un engouement de folie autour de ce titre. Ca a démarré au Japon, puis aux Etats-Unis, à Londres, et un peu partout ensuite.

A l’époque, tu avais enregistré une version anglaise de ce morceau. Des envies de grandeur?

C’était un souhait de la maison de disques qui voulait diffuser le disque au Canada mais ça n’avait pas vraiment marché. Ayant fait des études d’anglais, c’était assez naturel pour moi. Ca se faisait pas mal lors de cette période, France Gall par exemple enregistrait ses morceaux en allemand.

Finalement, c’est la pub et le cinéma qui vont redonner des couleurs à ta musique…

Oui, puisque 7 heures du matin va être reprise pour illustrer plusieurs publicités, et que la fac de lettres a été utilisée dans la guerre est déclarée, le film de Valérie Donzelli sorti il y a un ou deux ans. C’était assez inespéré et inattendu. Je viens d’ouvrir un compte Tweeter, et je me rends compte que pas mal de personnes postent quelques-uns de mes titres, qui ont tous été rassemblés par ma nouvelle maison de disques qui s’est procurée tout mon catalogue sixties. C’est dingue.

1JACQUELINE TAIEB

Dans les 60’s, tu sortais tes disques sous le label IMPACT, un label assez mythique dans le monde merveilleux de la variété, non?

Pas vraiment, non…IMPACT était une petite maison de disques, même s’ils avaient sous contrat des Michel Fugain, André Verchuren, ou Marie Laforêt. Je crois que le label a ensuite été racheté par WARNER/CHAPELL, mais toutes ces histoires de labels, ça ne m’intéresse pas.

Tu reprends 4 titres d’Elvis dans un nouvel EP autoproduit enregistré dans le mythique Sun studios de Sam Philips. Aucun label n’a voulu le sortir, donc tu as décidé de le sortir en autoproduction?

En réalité, je n’ai pas cherché de label. Je devais partir à Memphis avec une amie dingue d’Elvis et ça aurait dû être un voyage de vacances tout simple. Puis j’ai rencontré Jean-Claude Vasseur, un ami journaliste de Salut les sixties, de retour de Memphis, qui m’a dit que le studio Sun avait rouvert et qu’on pouvait y enregistrer. Ca a fait tilt. J’ai choisi les titres d’Elvis que je voulais chanter, puis je me suis mis en contact avec l’ingénieur du son du studio Sun. On a beaucoup communiqué par mail, sur le choix des musiciens, les arrangements, etc… Sur cet EP, je suis donc accompagné par des musiciens de Memphis et tout s’est déroulé comme dans un rêve.

Sur tes disques premiers disques, tu étais accompagnée de musiciens anglais qui sonnaient très psychédéliques…

La maison de disques m’avait attribué un arrangeur de génie, Jean Bouchéty, un homme qui a bossé par exemple pour Michel Polnareff. Il enregistrait toujours ses arrangements à Londres, et je me suis retrouvé à 17 ans dans un studio londonien avec des pointures, choisis par Bouchéty, qui étaient sur tous les disques que j’ai enregistré à cette période.

Ensuite, tu t’es recentrée sur ta carrière d’auteur-compositeur…

Oui, j’ai eu pas mal de hauts et quelques bas. Une vie pas toujours évidente, avec un téléphone qui ne sonnait plus beaucoup dans certaines périodes. Et puis, sans trop savoir pourquoi, de bonnes surprises me sont tombées dessus depuis quelques années alors même que je n’ai jamais démarché personne. Récemment j’ai par exemple reçu un coup de fil d’une compagnie américaine qui souhaitait illustrer une publicité Axe hair avec un de mes morceaux, La plus belle chanson, un titre pas très connu. Financièrement, ça m’a fait du bien et ça m’a permis de me faire plaisir, et notamment d’enregistrer ce nouvel EP à Memphis. C’est très étrange, je me demande vraiment comment un publicist américain en vient à choisir une chanson française, qui est une valse triste, pour des images où un mec drague une fille sur une plage. C’est un non sens absolu mais on s’en moque. C’est peut-être dû au fait que 7 heures du matin ait été pas mal exposée, notamment pour des publicités.

Tu as collaboré avec des artistes comme Bertrand Burgalat ou les Hushpuppies. Suis-tu l’actualité musicale?

Un peu. J’apprécie par exemple Julien Doré ou Benjamin Biolay, qui représente pour moi le versant positif de Serge Gainsbourg. Je fais partie des très rares personnes à ne pas apprécier Gainsbourg. Je l’ai dit un jour sur facebook et ça m’avait valu quelques réactions assassines. Je le trouve trop négatif, trop destroy, trop misogyne. Les histoires du billet brûlé à la télévision ou du fameux « I want to fuck you » à Witney Houston, c’est pas vraiment ce que j’apprécie. Musicalement, j’aime quelques uns de ses morceaux mais je ne comprends pas la dévotion qu’il inspire un peu partout dans le monde. Gainsbourg est connu partout, et ça me paraît disproportionné par rapport à son oeuvre. Contrairement à lui, je pense que la chanson n’a rien d’un art mineur. C’est un art majeur, complètement populaire et universel qui dépasse la barrière de la langue. Bob Dylan faisait passer en quelques minutes des messages à une bonne partie de la planète, et ça, ça n’avait rien de mineur.

http://jacquelinetaieb.fr/

5 commentaires

  1. histoire d’en rendre un peu à César, c’est la compil « ils sont fous ces gaulois » de JP Dohy, qui a exhumé à la base le morceau « 7Heures du matin »….

  2. Bonjour,

    Je voulais savoir par quel biais vous avez réussi à contacter Jacqueline Taïeb ? En effet, avec un ami nous souhaiterions utiliser une de ses chansons pour illustrer un montage d’images d’archives de l’INA dans le cadre d’un mémoire d’histoire de l’art. Je n’ai pas réussi pour l’instant à rien reçu contacts sur son site internet donc je suis preneur de tous les informations que vous pourriez me passer. Merci d’avance. Félix

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