On serait même tenté de dire que ‘’It’s a fine line’’, le premier album du même nom qui sort ces jours-ci chez Kill The Dj, permet aux deux ouailles (Tim Paris et Ivan Smagghe) de passer aisément sous la ligne limbo du vulgairement cool. Disons pour faire simple que les onze chansons qui composent ce soleil noir font dans l’oxymore totale ; on y bronze à l’ombre, on pleure en jouissant, on danse immobile et c’est un peu comme faire la tournée des clubs en évitant les mines anti-personnel disséminées ça et là par le fan club de Skrillex. Sur cet album, il y a d’ailleurs tellement de choses à dire qu’autant commencer par écouter le premier ‘’single’’ (6587 vues sur Youtube à l’heure où s’écrivent ces lignes moins fines) avec Alex Kapranos [1] de Franz Ferdinand, certainement le moins pire des groupes anglo-saxons des années 2000.
Forcément autant décevant qu’il est réussi, ce seul titre actuellement disponible, Redelivered, aura peut-être l’effet papier tue-mouche escompté pour aller draguer plus loin que dans la sombre paroisse londonienne où Smagghe et Paris se sont réfugiés depuis dix ans. Peut-être pas. Et après tout, ce n’est pas le problème. Ce serait peut-être même la solution, tant les deux vieux briscards prennent un malin plaisir à continuellement sortir des radars en militant pour le pas vu pas pris. C’est qu’à l’image du label français In Paradisum, l’hédonisme selon It’s A Fine Line, c’est une cible entre les deux yeux et la notion du festif, toute relative, semble être la bête à abattre.
À l’heure où LCD Soundsystem joue la carte du come-back pour trentenaires nostalgiques d’une jeunesse qui lentement leur échappe, à ce moment même la dance music s’est tellement démocratisée que le moindre salarié peut se vanter d’une grosse déglingue la veille en soirée EBM, et maintenant que semble définitivement actée la réhabilitation du son Technotronic des années 1990, It’s A Fine Line emprunte le chemin radicalement opposé. La biographie qui accompagne ledit objet cite Martin Hannett, Conny Plank, Moroder et même la B.O. de La Soupe aux Choux ; et une fois n’est pas coutume, on est non seulement tenté de croire à ces références, mais on pourrait aussi rajouter des figures semi-tutélaires comme Joakim, Martin Gore (Blinkar Reprise qui fait penser à un outtake de »Counterfeit ») ou John Carpenter (Vaguement froid pourrait à l’aise illustrer un remake de The Thing). Complètement froid, cinglant et tellement désincarné qu’il en deviendrait presque vivant, un disque d’ère glaciaire qui fait la bonne jointure entre espérance de vie et mortalité, électronique et humanité. « It’s a fine line », c’est à la fois l’aile ET la cuisse, la tristesse et la joie, la Sonate au clair de lune de Beethoven rejouée dans un club clandestin par Mondkopf et c’est en définitive l’un des rares exemples de musique électronique intelligente qui ne passe pas pour autant tout le set à se mirer les pompes – en bref tout l’inverse de Tristesse Contemporaine. En bons hommes de goût, Smagghe et Paris ont gardé le meilleur pour la fin (1880, sommet d’angoisse filmique où un clubber allemand traverserait un tunnel à junkies en ayant perdu l’une de ses Birkenstock). Comme on dit dans le milieu, c’est Bon Pour Moi.
It’s A Fine Line // It’s a fine line // Kill The Dj (sortie le 26 aout)
https://soundcloud.com/its-a-fine-line