Ancien guitariste de la formation blues-rock psychédélique Blues Pills d’origine suédoise, Dorian Sorriaux est bien français. Breton d’origine, il pose sa guitare sur les enregistrements des copains depuis 2018, tout en essaimant quelques titres originaux de temps à autres. Cette fois, il publie son premier album solo, une magnifique pépite folk au sens noble du terme : « Children Of The Moon ».
Pour une grande partie de la presse musicale spécialisée, Dorian Sorriaux n’évoque pas grand-chose, ou éventuellement le petit prodige blues des deux premiers albums des Blues Pills. Le groupe a décollé grâce à son talent, mais l’approche un peu plus grand public de sa musique sur les compositions du future « Holy Moly ! » publié en 2020 auront raison de son implication. Sorriaux est un jeune homme libre, qui se laisse porter par ses aspirations musicales profondes. Il était temps pour lui de partir.
Un fantôme dans le dos
Depuis, il n’est pas possible d’évoquer Dorian Sorriaux sans faire référence à son passage de sept années dans Blues Pills, de 2011 à 2018. Il proposa pourtant un beau premier EP dès son départ acté avec « Hungry Ghost ». Il proposait quatre titres d’une folk music à l’âme hantée et à la sonorité déjà très personnelle, s’éloignant clairement de l’électricité des Blues Pills. Par ce choix musical audacieux, en phase avec ce qu’il désirait vraiment jouer, il se coupa de ses anciens fans qui attendaient de la guitare électrique à tous les étages, espérant en Sorriaux une sorte de nouveau Rory Gallagher.
Quelques sets lui permettent de mettre en avant sa musique, mais la crise du Covid-19 tue la plupart des projets pendant presque deux longues années. Comme pour beaucoup de jeunes musiciens débutants se lançant en 2018-2019, c’est le sale coup. Sorriaux plonge dans l’oubli, et seule la publication de « Holy Moly ! », nouvel album de Blues Pills et premier disque sans lui, vient en réveiller le souvenir.
Son talent reste clairement sous-utilisé, jusqu’à ce que ses connexions bretonnes viennent rejoindre une nouvelle scène rock du secteur.
Friday The 13th
Moundrag est un duo constitué de deux frères : Camille Goallaen Duvivier à l’orgue et au chant et Colin Goallaen Duvivier à la batterie et au chant. Ils publient un premier album particulièrement réussi nommé « Hic Sunt Moundrages » en 2022, devenant le groupe à orgue Hammond du secteur, en parallèle à celui à deux guitares nommé Komodor. Ils sont de Douarnenez, une petite ville portuaire au Nord de Quimper, sur la pointe Sud de la Bretagne. Il n’est pas étonnant que Dorian Sorriaux s’y trouve si bien. Nous sommes au coeur de l’âme même de la Bretagne ancestrale, ses légendes, ses solitudes, ses fantômes.
En juillet 2023, Moundrag sort deux sessions live filmées dans leur local de répétition. Sorriaux ressort sa Gibson Les Paul. Il sera accompagné par Claudia « Speedy » Gonzalez du groupe Cachemira à la basse et au chant. Le quatuor entreprend en deux étapes l’enregistrement de reprises du groupe anglais proto-heavy Atomic Rooster dont le coeur était l’orgue de Vincent Crane. Le résultat est exaltant, remettant parfaitement au goût du jour avec cette touche vintage bien dosée une musique brillante mais totalement oubliée. L’affaire débute par une version tonitruante de Friday The 13th (Save Me), sur laquelle Dorrian Sorriaux réactive son fantastique talent de soliste heavy-blues psychédélique.
Il est absolument fascinant de voir cet orchestre génial jouer ce morceau de 1970 avec un tel feu. Sorriaux reste un musicien discret, jusqu’à ce que les notes commencent à se malaxer entre ses doigts. Il a la simplicité physique d’un Clem Clempson de Colosseum et Humble Pie, déformant les notes avec sa pédale wah-wah. Black Snake permet à Claudia Gonzalez de chanter avec une douceur âcre ce morceau vénéneux. Breakthrough sera un cheval de bataille scénique d’Atomic Rooster, chanté à l’origine par le fantastique vocaliste Peter French. Dorian Sorriaux va être le petit prince acide de ces sessions qui se concluent par le quasi-funk Tomorrow Night.
Puis il apparaît aux côtés d’un groupe nommé El Perro en remplacement du guitariste Jaron Yancey. El Perro est l’autre grand projet du guitariste-chanteur Parker Griggs, également membre et fondateur de Radio Moscow. « Hair Of » est sorti en 2022, et le groupe, qui mélange heavy-rock acide et musiques sud-américaines, fascine un public large, pas forcément averti. La tournée mondiale permet à Dorian Sorriaux de redevenir un des grands guitaristes électriques de cette nouvelle époque troublée. Il est d’ailleurs de la tournée européenne 2024, qui ne passera pas par la France, mais juste à ses frontières.
Une lune rose
Qui est à l’origine du disque folk acoustique plus ou moins dépouillé ? Il y a bien des propositions : Davy Graham, Michael Chapman, Bert Jansch, John Fahey… Ils ont cette poésie mélancolique, tous, avec leurs variations bien à eux. Chacun dessine de grands traits de crayon sur le papier vierge de l’horizon. Mais le plus beau reste Nick Drake et l’album « Pink Moon ». Sans revenir en détail sur sa conception, il s’agit d’une volonté profonde de l’auteur d’enregistrer un album dépouillé et cru, quasi-nu. Il était en forme de coda personnelle, avant que quelques titres soient enregistrés en 1974. Tout fut jeté sur bandes en deux jours. C’est exactement cette sensation qui vibre sur « Children Of The Moon », avec cependant bien plus de variété d’arrangements.
« Children Of The Moon » est bien un disque de folk-rock, et absolument pas un album de hard-blues rageur. Sorriaux continue à ne pas faire ce que l’on attend de lui, et c’est très bien ainsi. Le folk de Sorriaux n’est pas exclusivement anglais. Il a des touches américaines. Neil Young n’est notamment pas très loin. Lui et l’américain partagent par ailleurs le même type de voix assez haute toujours un peu au bord de la fêlure.
C’est un album campagnard. Les différents clips le montrent chantant avec sa guitare dans la nature, au bord de la mer, d’un lac ou en forêt. L’image comme la musique montrent un homme attaché à la terre, les pieds bien posés au sol, loin, très loin du petit star-système. Dorian Sorriaux ne joue cependant pas seul. Il est secondé par les frères Goellaen Duvivier. Le disque s’ouvre sur le très Nick Drake Yet We Have Changed, mais avec une instrumentation plus riche flirtant avec le rock progressif des débuts de Yes ou de King Crimson. Parmi les morceaux, on y trouve des rêveries folk avec quelques accents électriques (Children Of The Moon), mais aussi des choses empreintes d’une certaine mélancolie, comme le beau et émouvant To The Water. Si Sorriaux y projette sans doute des images de Bretagne, je vois celles du Morvan défiler. Lorsqu’une chanson vous permet d’y projeter des images personnelles, c’est qu’elle est assurément réussie.
Light In The Dark est une autre grande réussite de cet album. Avec son rythme nonchalant, son orgue Hammond chaleureux, et son groove de guitare acoustique, il a tout du grand morceau à la Neil Young, avec des couleurs anglaises à la Richard Thompson. Shine So Bright croise Gene Clark et Fairport Convention. Les arrangements délicats de claviers, de percussions, et la dextérité mélodique de Sorriaux font de ces chansons à l’allure si simple de petites merveilles sonores. Shine So Bright s’accélère avec délicatesse en son sein, et le jeune guitariste n’a plus qu’à s’envoler, bien calé sur l’orgue de Camille Goellaen Duvivier et sur la batterie de Colin Goellaen Duvivier.
La seconde face de l’album vinyle est assurément la plus riche. Après ces deux excellents titres, on arrive sur In The End. La mélancolie règne encore, entre Traffic et Nick Drake. Le mellotron apporte une jolie touche poétique à un morceau qui l’est déjà forcément. L’album est en fait totalement pétri de la poésie des choses simples.
Just A Little More est assurément le morceau qui mériterait de tourner sur les radios et les réseaux. Sa mélodie poignante prend au coeur, elle se fredonne rapidement. Ce morceau serait un tube à l’époque des David Crosby, Neil Young et Joni Mitchell. Mais notre monde néo-libéral centré sur la productivité et la rentabilité des individus ne peut pas entendre la force d’une telle chanson. Espérons qu’elle saura trouver sa place dans les playlists de quelques lecteurs de cette page, vous ne serez pas déçus.
Le disque se termine sur le magnifique Sunken Ship. Nikita Gouëzel apporte son piano sur ce morceau lent et prenant, mêlant douceur acoustique et tension électrique. Cette dernière n’intervient que sous la forme de petites touches judicieuses de guitare. Le morceau est porté par le bruit du ressac. Les interventions solistes de Sorriaux sont discrètes, faisant corps avec le reste de l’instrumentation des morceaux : une envolée de guitare acoustique, quelques lignes de bottleneck.
« Children Of The Moon » est au final un très bel album. Il est un disque rare, conçu à l’ancienne par des musiciens inspirés et aux sources musicales riches. Aucunement passéiste, il est au contraire un beau renouveau d’une musique aux racines seventies à la relecture fraîche et moderne. Que Dorian Sorriaux continue dans cette voie, mais avec un souhait personnel : à quand un beau disque rock électrique avec en backing-band les frangins de Moundrag et les gars de Komodor (qui ont d’ailleurs fusionné pour un album et une tournée sous le nom Komodrag And The Mounodor qui a cartonné au Hellfest 2024) ?
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