Howling Bells, ou la mise à l’épreuve (d’un stagiaire)…
Un entretien d’embauche à Gonzaï, c’est du sérieux. Evaluation point par point des compétences intellectuelles, tests d’endurance physique, résistance à la douleur. Jusqu’à la question : « Tu te sens pour faire des interviews en anglais ? » Ma réponse fut tout à fait honnête: « euh ouais… Pour comprendre, ça va. Après, c’est pour traduire que c’’est un peu plus chaud… » Le boss ne bronche pas mais on devine derrière son impavide faciès le plaisir de mettre à l’épreuve le tout frais bleu-bite. La sanction ne se fait guère attendre :
« Bon, ben puisque t’es là pour apprendre, t’auras deux interviews en anglais la semaine prochaine».
(Montre que tu es fort et serein)
« OK, pas de problème. De toute façon, j’suis là pour apprendre ». Bien joué…
(Traduction personnelle : « putain, j’aurais dû partir en Erasmus…»)
Pour jouer la sécurité, j’arrive au siège de PIAS avec des questions qu’aurait pu pondre un journaliste de TV 7 jours, fraîchement imprimées dans un cybercafé de Montreuil. Pas trop compliquées à prononcer, compréhensibles, augurant une marge d’ouverture acceptable. Je suis calme, détendu…
L’interview du jour : les Howling Bells, groupe australien, que j’ai connus grâce à mon vécu de petit geek. Une bonne chanson, Low Happening, dans le jeu vidéo Rugby’ 08 m’a fait découvrir leur premier et éponyme album, sorti en 2006. De quoi augurer des lendemains sympathiques avec des titres comme Blessed Night ou I’m not afraid portés par la voix de la charmante Juanita Stein, le principal atout du groupe, Depuis, les Howling Bells ont quitté le pays de Skippy le kangourou pour travailler avec les producteurs rosbifs, qui semble-t-il, ont dilué leur côté « groupe sympa qui pourrait jouer lors d’un feu de camp ».
Radio Wars, leur seconde production, n’est pas une grosse daube, loin de là. Mais pas du même acabit, c’est clair, malgré le good single Cities Burning Down. Moins axé guitare, production plus lourde, le tout demeure trop lisse et calibré pour l’auditeur averti. Et paradoxalement, pas assez pour la radio : cet album devrait être un ratage commercial total, ou la guerre des tranchées. Peu importe. L’occasion est belle de tailler un brin de causette pour connaître la fratrie Stein, la colonne vertébrale du groupe : Juanita et Joel. L’interview commence sur les chapeaux de roue :
Are iou complétely satisfied baï zis albôm ? (j’entends bien qu’ils ne vont pas dire : « bin ouais, c’est de la merde ce qu’on vient de sortir » C’est pourquoi j’ai subtilement anticipé en leur réservant à la sortie, un « But, nothing is perfect ? » dans la face)
Juanita : Nous avons probablement eu deux ans entre la sortie des deux albums, beaucoup de temps pour penser à ce que nous voulions faire et comment nous allions le faire. Du coup, on en est plutôt satisfait effectivement.
Beut, nofing is perfect ? (Ah Ah, on fait moins les malins !)
Joel : Rien n’est parfait, c’est vrai. Je ne pense pas qu’il soit question de faire quelque chose de bien ou de « pas bien ». Nous avions un challenge : le fait d’écrire et de réécrire nos chansons et composer en faisait partie. Les producteurs avaient également un challenge sur lequel nous avons pu nous accorder.
Juanita : je pense que « challenge » est le mot juste. Certains groupes n’aiment pas cette mise à l’épreuve. Peut être que nos chansons en cours d’enregistrement furent mauvaises mais maintenant, elles se sont transformées en de belles choses.
Joel : il y a toujours une faim de vouloir faire mieux, écrire de nouvelles chansons, mettre à contribution un nouveau musicien pour un enregistrement mais à un moment, tu dois fermer le livre et passer à la suite. En conclusion, je peux affirmer « être content de ce qu’on a fait » mais si je pouvais changer quelque chose sur l’album, je le ferais.
Parce que je pars avec le préjugé que les musicos sont généralement chiants à interviewer, j’essaie d’élargir la conversation , on ne sait jamais… (stop les questions en inglish, vous avez compris que mon accent ne casse pas trois pattes à un canard hein?)
Vos clips font souvent référence à des films. Puisez-vous une partie de votre inspiration du cinéma, ou des références visuelles?
Joel : Les films sont comme une réflexion de la réalité. Et ils magnifient certaines émotions, couleurs ou sentiments. Ils magnifient des sensations qui vont se répercuter pour ma part sur ma musique.
Juanita : personnellement, je suis influencé par les films français et je ne dis pas ça parce que je suis interviewée en France. Je regarde beaucoup de vieux cinéma des années 60. Vivre sa vie de Jean-Luc Godard est l’un de mes films préférés. Les films français n’ont pas peur de philosopher et à poser de vraies questions, ce dont ne sont pas capables les blockbusters. Et dans mes chansons, j’essaie de pousser les gens à réfléchir sur certaines choses et les mettre à l’épreuve.
Dans la scène Indie-Rock actuelle, avez-vous des chouchous? Quels sont les derniers groupes que vous écoutez?
Joel : J’écoute pas mal ce qui se fait sur la scène électro. Puis des groupes comme MGMT, les Klaxons…
Juanita : j’aime beaucoup le dernier TV on the Radio. En général, il y a vraiment de bons groupes sur la scène rock actuelle.
Décontenancé par la profondeur de la réponse obtenue qui me renvoie à la nullité de la question qui l’a engendrée, j’émets une tendre hésitation en cherchant ma question sur ma feuille.
Depuis que vous vivez au Royaume-Uni, votre perception de la musique a-t-elle changé?
Joel : D’un point de vue artistique, les Anglais sont très ouverts d’esprit. Tu peux te balader à tous les coins de rue : tout le monde écoute les radios musicales ou joue d’un instrument. Londres est de ce point de vue-là comme une peinture de Kandinsky : on y trouve une multitude de couleurs, de styles, de personnalités différentes, qui peuvent nourrir ta vision des choses et de la musique.
Et ce n’était pas possible en Australie ça?
Joel : L’Australie est petite d’un point de vue humain. Grande par la taille, mais petite par la population. Il y a très peu de gens finalement, si l’on regarde l’immensité du territoire.
J’émets un petit rire nerveux alors qu’il n’a rien dit de drôle. Merde. Je me rattrape vite aux branches.
Vous êtes en train de me dire que la musique australienne est mineure à l’échelle mondiale, c’est ca?
Juanita : Il y a beaucoup de bons groupes en Australie. Mais les chaînes de télévision s’intéressent surtout au sport, au business, et très peu à la musique. C’est une culture vraiment « droite », dans le sens rigide du terme. Ce qui n’est pas le cas de l’Europe où il y a un riche passé d’un point de vue artistique, philosophique, musical. L’Australie, elle, est une nation encore jeune.
L’interview se conclut par la traditionnelle question « quelle question auriez-vous aimé que je vous pose ? » Juanita sèche. Joel répond : « Suis-je réel ? » Je lui demande la réponse à sa question. Il répond « shit ».
Il me l’écrit même sur ma feuille fraîchement imprimée dans un cyber de Montreuil. Nous rigolons. Je salue le frangin et la frangine, puis quitte la petite salle qui aura vu se dérouler cette interview, soulagé d’avoir mené à bien ma mission pour pour Gonzaï. Mais quand même, putain, j’aurais dû partir en Erasmus…
Howling Bells /// Radio Wars /// Pias