(C) Raphaël Helle

De 1970 à 1977, le label français Shandar a creusé profond la musique d’avant-garde et permis à des artistes comme Steve Reich ou La Monte Young de se faire un nom sur la mappemonde. Hélas, en 1979, une partie du stock, entreposée dans une cave, est détruit par une inondation et Shandar ferme alors boutique.

Si l’on vous raconte tout ça, c’est parce que le label Hands in The Dark, fondé en 2010 par Morgan et Onito, marche sur le même sentier. Dieu merci, eux n’ont pas de problème d’humidité ; leur Bandcamp étant situé à distance, sur internet, avec affichés au mur des noms d’artistes contemporains de prestige (traduction : qui ne vendent pas des palettes de disques) comme Egyptology, Jonathan Fitoussi et à peu près tous les projets de Tom Relleen (The Oscillation, Tomaga et plus récemment Papivores, avec Agathe Max).

Alors que se prépare une double sauterie, à Paris le 3 octobre et à Londres au Café Otto le lendemain, Morgan a pris le temps de faire le point avec nous par téléphone, sur la raison d’être de cette obscurité lumineuse.

(C) Raphaël Helle

Salut Morgan, pourquoi cette double date entre Paris et Londres ? Qu’aviez-vous donc à fêter ?

L’idée est venue de Tom (Relleen), après la sortie du premier disque de Papivores. Le café Oto [une institution londonienne pour la musique expérimentale, Ndr] était intéressé, de là est venue l’idée d’une autre date à Paris, le 3 octobre à l’Espace B. Il n’y avait pas d’anniversaire particulier.

En contemplant la page Bandcamp de HID, et toutes ces belles pochettes produites depuis 9 ans, on a presque l’impression de contempler une exposition d’art contemporain.

Oui, on nous le dit souvent. Et ce qu’on répond en général, c’est que c’est d’autant plus drôle d’entendre ça alors qu’on laisse les artistes faire les leurs – hormis pour quelques disques comme le « Death and spring » de Papivores que j’ai réalisé. On s’autorise néanmoins à refuser certaines pochettes, pour aiguiller les artistes ; en tout cas j’ai l’impression d’une certaine cohérence graphique sur l’ensemble. L’idée de HID, c’est de garder cette singularité, ne pas dénaturer le propos des disques ni imposer une vision différente de celle de l’artiste.

Hands In The Dark clôturera bientôt sa première décennie d’existence. A l’heure du bilan, c’était plutôt facile ou ça reste un combat ?

Ca dépend des moments, certaines sorties sont plus faciles à défendre que d’autres. Mes gouts à moi, en tout cas, ont tendance à s’orienter de plus en plus vers des choses moins accessibles. C’est la mission de Hands In The Dark de défendre ces albums, et c’est un combat de plus en plus difficile, maintenant que le marché de la réédition est en plein boom et que la nouveauté peine parfois à se faire un chemin là dedans. C’est certainement plus facile pour certains disquaires de promouvoir un disque japonais jamais ressorti depuis les années 70 qu’un nouveau projet d’un duo franco-anglais.

« C’est de plus en plus difficile de faire émerger des sorties actuelles ; celles-ci sont écrasées par le poids du passé réédité. »

Vous n’avez jamais été par l’idée de rééditions ?

Non, jamais. Ca ne nous intéresse pas, on préfère mettre en avant des disques d’aujourd’hui. Ce qui n’est pas un jugement, je reste personnellement client des rééditions, en tant que consommateur. Mais ça ne m’excite pas, en tant que label. C’est de plus en plus difficile de faire émerger des sorties actuelles ; celles-ci sont écrasées par le poids du passé réédité. Le risque, c’est de se retrouver dans 10 ans dans la même situation, avec des disques d’aujourd’hui redécouverts sur le tard, alors même que les disques qui sortiront à ce moment là seront eux-mêmes oubliés. Ca n’empêche pas qu’on dispose d’une chance avec HID : on a su convaincre une communauté, au fil des sorties. Certains disquaires commandent nos albums sans même les écouter, parce qu’ils ont confiance.

La tentation de l’exigence, du compliqué, c’était inscrit dès le départ chez Hands In The Dark ? [« Mains dans le noir » pour ceux qui auraient séché les cours d’anglais au collège, Ndr]

Non, pas vraiment. Nos gouts se sont simplement affinés au fil des ans, mais il n’y a pas l’ambition d’être un label pointu. On recherche en revanche les artistes innovants, radicaux, qui sortent du lot. Piotr Kurek, par exemple, est un artiste actif depuis plusieurs année, sous son propre nom ou sous d’autres identités ; c’est un musicien polonais qui avait déjà sorti deux albums, en K7 notamment, et qui avaient bien marché commercialement parlant (et toutes proportions gardées). Il propose quelque chose d’intéressant et unique sur la musique électronique, à contre-courant de ce qui se fait actuellement.

Et puis il y a votre relation avec Tom Relleen, historiquement. Présent depuis le début chez HID sous différentes identités. C’est un peu votre parrain ?

En quelque sorte, oui. Je l’ai rencontré pour la première fois quand on a sorti l’album de The Oscillation (« Monographic », 2016), et le courant est immédiatement passé. Comme son album avec Tomaga a été finalisé, ils nous l’ont donc proposé et ça a été un tournant pour le label, ils nous ont emmené ailleurs. Avec lui, c’est un peu plus qu’une simple collaboration entre un artiste et un label.

La suite des sorties pour Hands In The Dark, pour nos lecteurs qui aimeraient claquer du dollar chez vous ?

Trois albums déjà prévus : un album de Matt Jencik, un artiste de Chicago avec qui on a déjà travaillé, et qui devrait sortir d’ici à la fin d’année. Mais aussi un double album de Razen, un groupe belge découvert voilà 3 ans dans un festival, à l’heure de la messe. Grosse révélation qui allie des synthés modulaires et des vieux instruments traditionnels. Et puis un dernier album par l’un des membres de Razen, et qui se nomme Brecht Ameel. Ce sera la musique d’un film sélectionné pour la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, Ghost Tropic, et qui sortira en salles en janvier.

Toutes les sorties de Hands in The Dark (achetez tout) sont sur
https://handsinthedarkrecords.bandcamp.com

Le label fait sa fête le jeudi 3 octobre à l’Espace B (Paris) avec Piotr Kurek, Papivores et Matthias Puech.

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