Au temps de l’Inquisition, on les aurait certainement brûlés sur la place publique. Imaginez-vous : des cheveux mal peignés, des guenilles frottées sur la terre battue et des refrains dans un charabia ventilé au narguilé, pas sûr que ces trois écossais aient pu échapper aux flammes de l’incompréhension. Au temps des beatnicks, les mêmes auraient été des rock-stars et leur premier album serait certainement rentré dans le top 10 « All time psyche best albums » du premier bloggeur souffreteux venu. Manque de bol, Haight Ashbury débute à peine sa carrière en 2011 et leur premier album ne conquerra jamais le monde. The times they are changin’, mon pote, remballe ton génie.

On l’a déjà lu ailleurs, mais face au paradoxe autant enfoncer le clou : l’époque est au mélange des genres, ou plus précisément, l’époque malaxe les époques. Une sorte de shaker où se côtoient en pièces rapportées foulards hippies, épingles à nourrice, jeans déchirés et barbes de druides. Un drôle de méli-mélo où l’anachronisme s’affiche en tête de gondole à 29,90€ ; une partouze de couleurs jaunies où le vintage est proclamé moderne sur la base du seul argument qu’il sort tout juste des manufactures. Dit plus simplement et pour la faire courte : rien de plus ringard qu’un musicien de son temps, trop cool les emprunts aux livres d’Histoire. Faut-il tout liquider, nos troubadours modernes doivent-ils tous disparaître ? Attardons-nous sur Haight Ashbury, groupe dont le simple nom suffirait à les envoyer au bûcher. Ou au bac à soldes, c’est selon.

Avant de devenir l’identité de nos trois Écossais à pupilles et jupes plissées, Haight Ashbury est surtout un quartier mythique de San Francisco, un croisement entre deux ruelles qui connut son heure de gloire de 1967 à 1969. Ouvrons le livre du rock’n’roll à la page 42, le temps de visionner ces magnifiques effigies du rock psychédélique à papa, ces drogues de l’amour et autres mythes romancés de cet été 67 où tout le monde décida de baiser à l’œil dans la baie californienne. N’en déplaise aux néo-folkeux type René Brisach, on n’a jamais fait mieux depuis.
Cinquante ans plus tard, Haight Ashbury – le groupe – ravive le souvenir de cette insouciance en plastronnant directement sur son front les origines de son existence[1]. Une certaine nostalgie, des emprunts au passé, un indéniable talent à renouer avec la tradition des harmonies d’anges défoncés au LSD. Et là où le feu d’artifice aurait pu tourner au pétard mouillé, les trois hippies de Glasgow font chauffer le bois pour ne pas perdre le feu. « Don’t let your music die » clament-ils sur la chanson du même nom, et la crainte d’une énième relique sortie des manuels s’estompe aussi sûrement que Haight Ashbury fait plaisir au cœur – un peu moins aux poumons, vu le registre musical – et à l’auditeur à la recherche du continent perdu. Ce bout de terre qu’une poignée d’individus continue de chercher en dépit des impasses, Here in the golden rays l’offre sur un plateau avec deux muses au micro, des chœurs aux allures de tapisserie Michel-Ange et une guitare empruntée aux Black Mountain – qui semblent, quant à eux, l’avoir perdu. Il suffira aux sceptiques de subir l’assaut de Freeman Town, première piste d’un disque qui, une fois n’est pas coutume, s’écoute d’un bout à l’autre sans moue de lassitude, pour noter – oh ! – un clin d’œil au sitar des Beatles ou – ah ! – des parallèles avec la sunshine pop du Jefferson Airplane. La comparaison n’est pas vaine et la musique encore moins, Haight Ashbury ne cède que peu de concessions à la modernité et leur premier album s’adresse directement aux gardiens de moutons, ermites et autres empailleurs que compte encore la planète. Est-ce un mal ou l’inverse, peu importe, leur rock est en bois d’époque et les compositions douces comme la peau avant l’immolation. Au croisement entre Fairport Convention et les Vaselines, Haight Ashbury, un groupe qui ne révolutionne pas l’histoire de la six cordes vocale mais parvient quand même à rajouter son propre chapitre. « For the loser now, will be later to win, for the times they are a-changin’ », ce ne sont pas les temps qui changent, mais plutôt l’auditeur qui tourne les pages. A « lire » d’urgence, donc.

Haight Ashbury // Here in the golden rays // Lime Records (Socadisc)
http://www.myspace.com/haightashburyuk

(En concert le 28 mai au 104)


[1] Seuls les anglo-saxons semblent capables d’assumer un nom pareil. Imaginerait-on un groupe français capable de piocher dans sa propre histoire pour trouver son identité, genre « Salut, nous sommes les Golf Drouot et nous faisons du rock ! ». Ca marche aussi avec Amougies ou Mont de Marsan, remarquez.

2 commentaires

  1. Bien vu !
    Le disque est bon, doté d’un son prenant et de bonnes compositions.
    Des éléments bien meilleurs que chez moult groupes « modernes »…
    Musicalement, les écossais sont généralement et décidément hors normes !

  2. Je suis d’accord avec l’avis précédent,c’est excellent et j’ajoute que non seulement les Ecossais sont au dessus de tous, mais aussi les Irlandais et les Anglais; C’est du rêve , de la poésie

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