Les gens vous croiraient-ils si vous leur disiez que vous aviez découvert l’un des musiciens les plus talentueux de sa génération capable de transformer l’eau en vin, les caniches en monstres, les musiques en rubis, le quotidien en odyssée sonique et une Musique Originale de Film en petit bijou? Bien évidemment que non; vous demandez d’ailleurs assez rarement à votre boulanger s’il croit en dieu.
C’est peut être sûrement pour cette raison que le petit cercle d’adeptes de Guillaume Teyssier (alias My Sister Klaus) vit en sous-sol, patientant pour des jours meilleurs. « C’est le fils spirituel de Jacno » pourrait-on susurrer dans les corridors, que cela n’aura pas plus d’impact sur les masses, tant que l’esthète parisien n’aura pas composé un tube publicitaire pour Nesquick. « Alors, on fait quoi en attendant? » répondent les fidèles. « On ferme sa gueule, on écoute » répondrai-je.
Contrairement à ses semblables, Guillaume Teyssier, n’expose pas ses talent au grand jour. L’une des raisons sûrement, de sa présence au générique d’un film passé inaperçu, La Femme invisible, où la musique est absolument tout. Tout ce qu’un adolescent digne de ce nom, fan de retro-vintage et de nostalgie noble, aurait probablement aimé entendre. Tout tient sur une seule ligne, dans un seul sac, la musique de films des cinquante dernières années, de Nino Rota à Morricone en passant par le More de Pink Floyd, tous mélangés comme un tirage au loto avec un prestidigitateur en guise de showman. « Le grand gagnant c’est toi », certains miracles tiennent à pas grand chose. Sur la soundtrack de La Femme Invisible, Teyssier esquisse toutes les sensations. De l’intimiste angoissant (Thème nocturne), du Fritz Lang à la sauce Tigersuhi (Heroine variation), du suspense en arpège hypocondriaque (Russian folk song), le rock se joue en sourdine et bâillonné, on joue à cache cache avec les fantômes, on cherche le colonel Moutarde dans la cuisine mais c’est Syd Barrett qui a tué avec le chandelier. L’artiste, lui, est caché dans le placard avec tout ses instruments. « On compte jusqu’à trois avant d’ouvrir les yeux ».
La Femme Invisible, le film, raconte l’histoire d’une femme que personne ne voit, en lutte avec le réel à force d’avoir cesser d’exister. Les mélodies de Teyssier sont des pistes narratives en hors-champ, reflétant l’embrun maritime par coquillages interposés, pratiquant la discrétion sublime (Thème de harpe) avec des photos de Lou, Mick et Syd accrochées au plafond. Chaque note se pense comme une image, parce qu’à défaut de voir, en France, on imagine. Meilleure bande-son de l’année ou terrible injustice (les deux vont souvent de pair), La Femme Invisible reste un étui fermé à double-tour, et son auteur, un futur grand. « S’il te plait, laisse la lumière encore deux minutes, que je m’endorme ». Brillant comme ceux qui ont préféré l’ombre aux grands jours Teyssier aime sans doute l’aurore d’Ibiza 1969, le goût salé des premiers baisés et les instants figés. Si certaines histoires se pratiquent sans mots, celle de La Femme Invisible donne simplement envie de se taire. « Appuie sur la gâchette, que je puisse m’envoler ». Disque brillant ou peine perdue, il n’y aura, de toute façon, pas assez de balles pour tout le monde.
Guillaume Teyssier // La Femme Invisible // Tigersushi