Et si le rap n’était pas foutu ? Et si il y avait autre chose que Kanye West et The Weeknd ? Et si l’auteur de ces lignes retrouvait le plaisir d’écouter du hip-hop après des années à tourner le dos à la musique qui a remplacé le rock, dans l’esprit comme dans les charts ?

Ca ne m’arrive pas souvent de parler de rap, parce que ce n’est pas vraiment ma tasse de thé. Je suis un amateur de rock, au sens large du terme, du blues et jazz au black metal. Seulement, voilà, il fut un temps où j’ai écouté du rap, et j’ai même aimé ça, oui, parfaitement.

J’ai dix-huit ans en 1997, j’écoute Motorhead et Black Sabbath. Le rock n’est pourtant déjà pas en bonne posture. Le grunge a fait long feu : Nirvana est mort avec Kurt Cobain en 1994, Soundgarden ferme boutique en 1997, Pearl Jam perd de sa vigueur. Quant à Rage Against The Machine, il tarde à sortir son troisième album.

C’est justement grâce à ce dernier groupe que le rap commence à me causer. J’aime la voix de Zack De La Rocha, sa hargne, ses textes puissants et engagés, qui collent parfaitement à mon esprit de jeune adulte pré-pubère en colère. Le rap américain est déjà dans les magazines musicaux généralistes, même le plus rock d’entre tous : Rock & Folk.

Personnellement, des mecs comme Snoop Dogg me laissent de marbre. Le côté bling bling m’agace. Je ne comprends pas tout à cette musique résolument noire et américaine. Pourtant, quelque chose m’interpelle, surtout chez The Roots et Tupac Shakur, plus encore chez Public Enemy. Ce sont les références musicales des samples, faites de musique funk impeccables (Funkadelic, James Brown) et de beats rock (la batterie de John Bonham de Led Zeppelin, archi-pompée). Bien sûr, il y a aussi le duo Aerosmith – Run DMC sur Walk This Way, peut-être une forme de prémice de Rage Against The Machine d’ailleurs, groove rock et flow rap.

Oui, mais je ne suis pas noir américain. Je ne suis pas plus issu de l’immigration, vivant en banlieue, et donc incapable de ressentir la colère de l’exclusion et du racisme de manière sincère. Je suis un petit blanc, issu de la classe moyenne, né dans une petite ville jurassienne. Le blues me parlera, énormément, mais dans sa version blanche et anglaise de la fin des années soixante. Car il m’était encore impossible de m’identifier à ces vieux noirs du sud américain burinés par la souffrance. Les jeunes blancs-becs comme Jeff Beck ou Jimmy Page de Led Zeppelin étaient plus proches de moi et de ma propre vie.

Paris sous les bombes du micro d’argent

Il me faudra donc attendre dix-huit ans, et un ami marseillais pour poser l’oreille sur le disque qui va m’ouvrir réellement au monde du rap : « L’Ecole Du Micro D’Argent » de IAM. Ce groupe métissé maniait la langue française avec agilité, proposant des textes forts et intelligents, loin des poncifs sexistes d’une partie de la scène rap. J’avais en fait déjà trouvé sympathique le fameux Je Danse Le Mia du disque précédent, « Ombre Et Lumière » de 1993, son texte humoristique, et sa musique étant résolument funky. Mais « L’Ecole Du Micro D’Argent » était encore un cran au-dessus.

Tout est absolument renversant sur cet album, la découverte se faisant grâce à Petit Frère. J’ai fini par l’acheter, et je l’ai écouté pendant des mois. Il sera rapidement rejoint par le frère ennemi parisien, NTM, avec son « Paris Sous Les Bombes ». On était moins dans le social que IAM, mais Kool Shen et Joey Starr étaient quand même de sacrés observateurs roublards de la société. Même quand ils font les branleurs sur La Fièvre ou Ma Benz, il y a ce quelque chose de plus, ce second degré qui fait qu’ils ne sont jamais vraiment sérieux, et que tout passe crème, même les sous-entendus les plus gras.

IAM comme NTM étaient en fait des groupes de rap dont la puissance du texte étaient au niveau de ce que l’on devait attendre de ce genre musical, basé radicalement sur le flow, la rime, et la punchline. Finalement, ils élevaient ces gosses de banlieue délaissés vers un monde de jonglage des mots, totalement autodidacte, assez impressionnant. Et puis après, tout est parti en couille.

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King Kong Theory

Trois petits gars de Besançon, marioles, ont créé un groupe. Trois figures masquées en singes déconstruits, portant de longues capes noires, crament des litres de rimes au milieu de la Boucle bisontine. Ca percute d’entrée, parce que le concept possède une personnalité unique. Mais surtout, il y a la musique, dès le premier morceau. Grand Singe pétrit les influences funk, rock, afrobeat, post-bop. Grand Singe a fait fondre les lingots de la grande musique noire pour en couler une nouvelle barre de joie en or. Les flows narquois sont là, résultats de l’ingestion intensive du rap street-talking le plus pur. La purge commerciale n’existe pas ici, c’est un album d’esthètes.

Grand Singe n’a pas de frontière, musicalement parlant. Bien sûr, les gosses de banlieue resteront accrochés à leurs Damso et Booba, ce rap véhiculant que trop ce discours ultra-libéral de réussite à tout prix, grâce à la seule volonté, cynique. Grand Singe n’est pas sur cette ligne du tout. Il a le discours cultivé et second degré. Chaque morceau est une vignette de vie, projetant leurs existences.

Chacun a un flow et un timbre bien caractéristique, qui rend l’écoute tout sauf linéaire. On peut parfois reprocher au rap d’ennuyer sur la longueur, la musique tournant sur une boucle, et le texte se déversant sur une ligne parlée. Les trois vocalistes bien distincts permettent de créer du rebondissement musical, de se répondre, constituant un vrai trio équilibré.
C’est évident sur Ouverture ou Namasté. Musicalement, Grand Singe ne s’interdit rien : l’intervention au saxophone de Félix Petit sur Goliath permet une fusion originale entre funk, jazz-fusion milesdavisien, synthétiseur typiquement 80’s et rap au flow US. Robine vient faire un featuring sur le cabossé Cliquetis Clung. Le final Outan et son approche entre tribal dans les choeurs et le symphonique dans les synthésiseurs, sa dimension grandiloquente est parfaitement en phase avec les influences américaines, et se met à leurs hauteurs, sans complexe.

La base, donc est funk, afrobeat, et synthétique 80’s. Si les références pourraient sembler datées, Grand Singe réactualise, fouille. Comme pour le stoner-rock, le trio fait de la vraie nouveauté sur une base de rap à l’ancienne. Il la nettoie, la polit, la régénère. Il n’a par contre absolument pas le positionnement du rap cultivé de blancs France Inter qui cherche à étaler sa science en contre-point du rap des banlieues. Pas question de raviver la vieille querelle musicale cinquantenaire née avec le rock, l’opposition entre la pop intelligente de Frank Zappa, et le boogie bas-du-front de Status Quo (pas facile à caser, ça, dans une chronique de rap – Applaudissements du public). Grand Singe fait son hip-hop avec une autre vision des choses, voilà tout. Il n’a cédé à aucune sirène. Il créée sa musique avec ses références propres, riches, et que le meilleur gagne.

Visuellement, le groupe a, à mon avis, déjà gagné. Le concept est génial. Musicalement, Grand Singe emmène le rap sur d’autres terres. Il n’est pas question de jérémiades romantiques à la Lomepal, de discours flous à la Orelsan, ou de feel-good attitude à la Big Flo et Oli. On est sur de la musique d’érudits amusante, avec un sacré groove, omni-présent, et une science de la tchatche au micro, avec un goût prononcé pour la sonorité des syllabes et les jeux de mots (Gorille).

Alors, Grand Singe est-il un groupe de plus sur la scène nationale des petits groupes montants ? J’espère que ce que j’ai pu développer plus haut saura vous convaincre du contraire. Le fait qu’un mec (moi) tapant essentiellement du pied sur du hard-blues et du jazz-rock puisse trouver ce disque vachement bien devrait déjà être un signal. Et notamment que l’exigence artistique peut tout-à-fait se conjuguer avec une ouverture vers un plus large public, pas forcément amateur de hip-hop, et que la prostitution n’est pas obligatoire.

Grand Singe // Outan Clan // Sortie vinyle, K7 et CD chez Label iHH™ RECORDS
https://laboocle.bandcamp.com/music

3 commentaires

  1. c’est le combientième qui se pointe avec une voix de merde (fais autrechose) pour dire que les autres rapeurs c’est de la merde?

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