Echarpe rouge à la ville, lunettes et caisse claire à la scène ; il y a quelques semaines Denis Wielemans s’effaçait soudainement. Nous avons voulu lui rendre un hommage en se rappelant l’avoir suivi durant la tournée 2008.
Tapis de salon et lampes à abat-jour. Quelques télés comme des fenêtres ouvertes sur un monde champêtre, ruines industrielles et arbres à feuilles caduques. Un jeune homme se noie de son plein gré, une demoiselle vous dévisage en format géant sur le mur du fond. Des lamentations. Et dans l’ambiance rouge feu que tissent d’épais projecteurs, un groupe planifie son évasion.
Avec la prétendue « scène belge » une volée de guitares rock et folles est allée se ramasser dans le jeu de quilles international. Ce n’est que du pop rock, mais cela fait du bien là où Jack White et Albert Hammond Jr commençaient à faire bailler. Les Girls In Hawaii sont du voyage, offrant deux albums (car il serait vraiment idiot de passer à côté du Winter EP, plus folk et pratiquement plus réussi que From Here To There) fleurant bon Pixies, Pearl Jam, Grandaddy et bien sûr Radiohead.
Le schéma habituel des happy days : du gentil indépendant belge Bang!, on passe au tout aussi indépendant mais plus vorace Naïve. Les garçons de Girls sont doués et on va changer l’eau en champ’. Du coup, la tournée s’allonge de jour en jour, tandis que le compteur tourne toujours. Eux sans foutent pas mal et confessent que leur rêve de l’époque, c’était de jouer à l’A.B. Mais quand même. Quelque part, pour quelqu’un, ça compte. Et puis de retour dans leur Wallonie, quelque chose tourne mal. La vie en fait. Le temps de se remettre en selle, la trentaine frappa, avec les conséquences que l’on imagine sur leur vision du monde. Lionel Vancauwenbergh : « C’est un adieu à l’enfance, tu sais que tu pourras pas rester ado toute ta vie. Tu les vois ces ados, dans le métro, leur candeur… Je joue à ça mais je le suis plus. C’est le complexe de Peter Pan. C’est des coups dans le bide qu’on prend dans ces moments-là ».
Dans leur studio de Bruxelles, les répétitions n’aboutissent pas. Le lait tourne. Antoine Wielemans se souvient du studio : « C’est très froid, très glauque, et cela ne développe pas chez nous l’imaginaire qu’on peut avoir quand on part dans les Ardennes, qu’on loue une maison et qu’on se fout quinze jours dedans, dans les bois, un peu isolés. Cela nous a plombé, Bruxelles ». Alors les Hawaïens coupèrent le téléphone, firent leurs valises et rejoignirent effectivement quelques demeures délabrées de la campagne belge. Accompagnés cette fois dans leur quête initiatique par le producteur du dernier Noir Désir et de L’imprudence de Bashung. Enthousiaste, le batteur Denis Wielemans explique : « Jean Lamoot avait l’air super motivé pour s’isoler dans une vieille baraque, re-câbler tout un studio pour ne pas forcément se retrouver dans un truc classique. Il aimait bien le trip un peu plus roots de s’enfermer quelque part et notre côté bricolo ». Apporter l’électricité dans l’acoustique du bois. Le conflit de deux générations musicales.
Pourtant, de cette union contre-nature, les compositions des deux chanteurs guitaristes (Lio et Antoine) s’en trouvent grandies, étoffées. Grands espaces luxuriants aux confins d’un monde refroidi. Même le bassiste Daniel Offermann apporte une pièce acoustique, composée en allemand puis transposée pour l’occasion. On rajoutera encore l’abrupte instrumental Road To Luna du guitariste Brice Vancauwenbergh, déjà (é)rôdé par les tournées.
Larguées les amarres. Le vent dans le dos, they sail to moon.
Girls in Europavox, Denis s’en souvient : « Je pense que c’était lié au fait qu’on était « chez nous » qu’on rentrait à la maison le soir. (…) On n’est pas des musiciens qui arrivons à jouer sans se poser de questions sur le contexte, le cadre. Arriver le matin, faire ta prise jusqu’à 19H et partir… On a besoin de se mettre en condition. Travailler sur l’éclairage. Bosser la nuit. Que tout soit calme ».
Une mise en danger omniprésente. La même qui les poussa à apprendre à jouer d’instruments exotiques plutôt que de les confier à des session-men, et à les trimbaler encore chaque soir en concert. De l’accordéon au marxophone (ce clavier-cithare à marteaux tremblotant qu’on entend sur le Alabama Song des Doors) en passant par une flûte arménienne. Seul comptait le résultat, l’harmonie.
Désormais il y a des guitares partout (jusqu’à quatre) mais qui ne se bousculent jamais, des chœurs et contre-voix, toujours susurrées devant des montagnes de son. Diluées dans l’océan. Denis : « Dans la démarche il y a un truc proche d’Arcade Fire, d’avoir bêtement multiplié les personnes sur scène pour garder ce côté sur-arrangement un peu sauvage. Si on est si nombreux dans le groupe c’est parce que quand on compose on pense jamais à la scène, on multiplie les pistes numériques, et soit tu choisis la formule du trio pour garder l’énergie brute, soit tu te dis il faut qu’on soit beaucoup pour multiplier les mains pour jouer les parties de gratte, de clavier. On a voulu transposer ces morceaux et garder tout ce qui faisait le disque ».
Architecture sonore. Une ville montée de toute pièce dans le vide et le silence.
Digérées les inspirations. Les Girls coupent à travers champs, jouent à se perdre et s’enfoncent dans des sous-bois épais et profonds. Comme des refoulés. Les traces de Sparklehorse ou Air apparaissent encore parfois sur le sol, mais la terre est meuble. Ou brûlée. Antoine : « On a cherché finalement sur ce disque-ci à plaire à des vrais fans de musique comme on l’a été. Comme on l’est. (…) C’est pas un album parfait, il a plein de défauts, limite plus que le premier puisqu’on est encore plus en train de se chercher. On avait une démarche, des enjeux… C’est un album plus risqué, sinueux, mais qui ouvre des pistes intéressantes pour les trois albums à venir…».
Perfectionnistes et maniaques, ces control freaks lâchés dans la nature, capables de peaufiner dix ans, ont fini par lâcher l’os et se ruer dans la tournée. Antoine : « Une des grandes ambitions de Jean était ces morceaux qui, enregistrés, montaient parfois à 180 pistes (presque trop d’informations, des petits bouts de bazar…) et son envie c’était de trier, trouver une ambiance cohérente dans le tout, ce qui fait qu’on remarque pas qu’il y a autant de choses. Tu rentres d’abord dans une ambiance avant de disséquer tout cela ».
L’ambiance. Maître mot de cette échappatoire moderne.
Lio : « On fait rien pour que ça cartonne, on est six, on s’habille pas bien, t’as vu notre pochette… (…) Si c’est pour se retrouver avec un tube à la Mika, tout le temps à la radio, (soupir) ça, ça doit être horrible ! ».
Alors l’un est rongé par la timidité, l’autre par la peur de vieillir, mais tous visent haut. De la bravoure. Du courage. Il en faut pour emménager chaque soir sur scène comme si on allait y vivre une vie. Pour enregistrer autant sans envisager la scène à l’avance. Pour relever le défi de véritables sets acoustiques construits (pas juste des sessions indigentes pour la radio). Et pour ne pas se piquer d’une gloire baudruche en restant derrière le travail visuel d’Olivier Cornil, photographe et véritable « septième Girls ». Un créateur d’images. L’essence pour les girls, le moteur d’inspiration dans lesquels les wallons plongent les mains pour les ressortir dégoulinantes de couleurs. Etonnés de construire des choses inattendues, auto-stimulés par leurs expérimentations. Sublimés et effrayés à la fois.
Apprentis sorciers en fuite à Blair Witch.
http://www.myspace.com/girlsinhawaii