19 mai. 23h. En concert privé au Divan du Monde, Ghinzu a fait table rase avec son Sweet Road To Saïgon II (comprenne qui lira l’interview). Une tuerie d’autant bien venue que l’inertie m’avait frappée deux jours plus tôt devant la belle PJ Harvey.
Contrairement à leur dernière prestation parisienne du Bataclan, les belges n’ont pas laissé planer l’ombre d’un doute. Tout le monde a repris forme humaine au contact de leur furie. Issus de leur dernier album, Mirror Mirror, et de son célèbre prédécesseur, Blow, chaque morceau fut énorme, même ceux chantés en français, « Je t’attendrai » et « Chocolate Tube ». Ghinzu redevenu roi du rock – « ‘til we faint » ! – le critique a retrouvé l’usage de ses jambes pour twister et de ses deux mains pour applaudir. Mêlé dans une même joie à ses semblables, il a même soutenu un type qui se faisait tancer d’être trop expansif. Ok, il beuglait « Come on guys ! » toutes les deux secondes, qui plus est un peu trop près de filles maquées, mais merde où va-t-on si on ne peut plus se lâcher à un concert de rock ! Et comment ne pas crier à bord des montagnes russes de Ghinzu ? O joie de suer dans son cuir et de crier à son tour. Ce type donnait l’impression d’être à un concert de brit pop au milieu des nineties. Et le groupe sur scène n’y était pas pour rien. Mais 5h plus tôt, resté sur sa frustration du 3 avril (un bassiste en interview, un concert en demi teinte) animé d’une certaine envie d’en découdre, le critique rencontrait enfin le boss, John Stargasm.
Bonjour John. Le 3 avril à l’occasion de votre concert au Bataclan j’ai interviewé Mika, votre bassiste et comme le média qui m’amenait était Gonzaï, ce qui est encore le cas cette fois, on avait commencé par parler d’Hunter S. Thompson. J’avais d’ailleurs appris que votre premier groupe s’appelait Las Vegas Parano. Si tu veux bien on va donc commencer par là : que peux-tu me dire sur le grand Hunter?
Ah, Hunter Thompson, le seul, l’ultime, l’auteur de La chasse aux requins ! Je devais avoir 18 ans quand je l’ai découvert, peut-être même moins. J’ai été happé par le côté simulé de ses reportages, cette idée qu’on pouvait faire soi-même l’événement pour se faire sujet et non le chemin classique : faire un sujet sur un événement. Là-dessus, je trouve qu’il a été vachement avant-gardiste, surtout quand tu vois le journalisme d’aujourd’hui. Parce que finalement tout n’est plus que communication : on fait un événement en ayant déjà planifié tout le rayonnement médiatique qu’on pourrait en tirer alors qu’avant on faisait les choses sans trop se préoccuper des médias. Tout ça dépasse de loin le strict secteur de l’industrie du disque.
Là c’est aussi John le publicitaire qui parle ? Parce qu’il paraît qu’en plus de la musique tu travailles aussi dans la pub…
Oui, mais je ne suis pas dans le côté « presse », je ne suis pas dans les mots. Je travaille comme directeur artistique donc je suis plus dans l’image. C’est un boulot que j’ai pris au moment de rentrer dans la vie active. Parce que tu dois savoir que rares sont ceux qui vivent de leur musique et voilà, il me fallait un métier pour bouffer.
En même temps, directeur artistique, il y a pire comme job alimentaire !
Oui, mais certaines personnes font les choses pour les avoir faites, d’autres les font pour les faire et moi je fais partie de ceux qui essaient de faire les choses pour les faire et les avoir faites. Pour moi c’est important d’avoir un boulot qui m’amuse et m’épanouit. Que ce ne soit pas juste un gagne-pain.
(Un membre du staff déboule pour signaler un problème de matos. J’en profite pour switcher sur la question du concert de ce soir.)
C’est étonnant de voir qu’un groupe qui fait du gros son comme vous dans une salle aussi petite que le Divan du Monde. Que nous réservez-vous ?
Le set qu’on va faire s’appelle The Sweet Road To Saïgon II. C’est un set qui va crescendo.
Tous vos sets ont un nom ?!
Oui, parce que la set list et la mise en scène sont des choses fondamentales dans un concert. Par exemple notre set de festival sera plus tranchant et s’appellera The Deadly Bite of the Metal Member.
Ah, ok. Et comment s’appelait le set du Bataclan ?
A l’époque il n’avait pas encore de nom. On l’a finalement baptisé The Kamikaze I.
Aha. Je te demande ça parce que ce soir-là vous étiez en sous régime pendant toute la première partie du show. Et ça ne semblait pas voulu, plutôt l’effet de la fatigue…
Ce n’est pas une question de fatigue, c’est juste que c’est bien qu’il y ait un peu de tout dans un concert d’1h10, des passages mélodiques et d’autres plus énergiques, surtout que Ghinzu sait faire les deux. La retenue c’est quelque chose que j’apprécie parfois dans un concert.
Oui mais au Bataclan vous aviez vraiment l’air fatigué ! A la fin du concert tu as même dit au public que c’était plus lui que vous qui avait fait le concert…
Non, je pense qu’au Bataclan on avait un bon set et qu’on avait bien joué… Ce que je veux dire c’est que nos concerts sont tout le temps différents. Parce qu’on a peut-être un gros son comme tu dis, mais contrairement à d’autres groupes qui sont plus produits sur scène et qui avancent sur des rails, nous on laisse plus de place au hasard et à l’interaction avec le public. Ça ne veut pas dire qu’on n’aime pas ce genre de spectacles, au contraire, nous aussi on aime parfois imposer notre truc comme si tu regardais un film ou une pièce de théâtre, mais on aime aussi se laisser contaminer l’attente des gens. Avec Ghinzu les gens savent qu’ils peuvent participer s’ils le veulent. C’est une affaire d’intelligence de masse.
Tout à l’heure on parlait de ton boulot de directeur artistique. Ghinzu ce n’est pas que de la musique, c’est aussi de l’image. Tout ça c’est un univers qui t’habite depuis longtemps ?
Non, enfin je ne sais pas… On est quand même très loin d’un positionnement de grosse production américaine… C’est-à-dire qu’on n’est pas de très bons musiciens. Si on joue un morceau à la Broadway tout l’intérêt et le côté grinçant de la musique va venir du fait que c’est une composition difficile jouée par des personnes qui sont plus dans l’énergie que dans la technique. Et c’est pareil avec l’image : ici aussi je tiens à certaines maladresses. Ça peut être par exemple de jouer dans un café pourri avec tes costards dont les cols sont un peu usés. Contrairement à d’autres groupes, chez nous les choses ne sont pas parfaites, sophistiquées, et c’est ce que j’aime : garder le truc organique et sauvage tant en terme d’image que de musique. Par exemple je n’ai jamais dit à Greg de faire le clown sur scène. Il fait ce qu’il a envie de faire et c’est fondamental dans la sensation que nos concerts dégagent.
Ghinzu est donc un vrai groupe, une vraie démocratie ?
Ce n’est pas une question de démocratie, c’est juste une question de savoir si certaines choses doivent être préméditées et jusqu’où elles l’être. On aime être stylé mais c’est naturel. Sur scène on n’est pas dans un rôle étranger à ce qu’on est.
Récemment une expression Hollywoodienne m’est venue pour qualifier vos disques et vos shows. J’ai d’ailleurs vu que d’autres l’avaient utilisée à votre sujet. Cette expression c’est celle de « blockbuster intelligent ». Qu’en penses-tu ?
Bah ça dépend de ce que tu entends par « intelligent » mais si c’est le fait qu’on reste ouvert au hasard et aux maladresses, oui pourquoi pas… Tout à l’heure on parlait d’Hunter Thompson et des dérives journalistiques actuelles où la communication précède l’événement. Hé bien on peut faire le parallèle entre ça et notre musique. Je veux dire, pour nous l’idée de blockbuster est forcément absurde parce qu’on ne s’inscrit pas un industrie musicale comme elle l’est aux Etats-Unis. Aucun moule préalable ne conditionne notre musique. On ne sait pas ce qu’on va raconter avant de nous lancer dans un album. On le fait, tu te prends dans la gueule et après c’est à toi de dire si t’aimes ou t’aimes pas. Alors voilà, comme les interviews ce n’est pas notre job et qu’on ne sait toujours pas trop ce que raconte notre disque une fois fini, on rame un peu pour en parler, mais c’est bien, ça nous amène spontanément à réfléchir à ce qu’on fait. Là encore, rien n’est prémédité. Cette interview, c’est toi et moi discutant à cet instant précis. Je cogite en live pour répondre à ce que tu me dis.
Je vois ça. Pour en revenir à cette idée de « blockbuster intelligent », je trouve qu’elle vous va bien parce qu’elle illustre bien le côté gonzo de Ghinzu, à savoir emprunter les codes du gros rock US tout en les pervertissant avec une approche plus déviante, spontanée…
Oui, c’est culturel. Parce que comme je te le dis la musique belge comporte une certaine maladresse que la musique américaine n’a pas. Par exemple entre nous on ne parle pas anglais mais on chante en anglais parce que les groupes qui nous ont donné envie de faire de la musique chantent en anglais. Donc voilà, chez Ghinzu, dans l’attitude comme dans l’émotion, il y a cette dynamique d’imitation. On absorbe plein d’influences intéressantes mais elles ressortent déformées par le prisme qui nous est propre en tant que groupe. Je ne sais pas si ce que je dis a du sens mais oui, pour ce qui est du mélange de références, l’expression de « blockbuster intelligent » définit bien Ghinzu.
C’est marrant que tu parles souvent de maladresses à propos de votre musique parce que j’ai remarqué que Ghinzu provoquait des avis tranchés. Il y a ceux qui vous adorent et ceux qui ne comprennent pas votre musique, qu’ils trouvent too much, ridicule, pathétique…
Je ne trouve pas que notre musique soit assez subversive ou pointue pour déclencher des avis bipolaires à ce point. J’ai l’impression qu’elle reste relativement facile. Elle s’adresse à tout le monde. D’ailleurs à nos concerts il y a autant des kids de 13 ans que des gens de 50. Si des gens n’accrochent pas à ce qu’on fait c’est donc plutôt lié au fait que notre style de rock alternatif n’est pas le leur, ou que notre image les dérange parce qu’ils n’y trouvent pas certains repères de crédibilité…
Certains vous comparent à Muse. J’ai cru comprendre que ça ne te plaisait pas trop.
Avant Ghinzu chacun de nous était dans des groupes à guitares presque punk. On a commencé Ghinzu pour faire quelque chose de plus doux parce qu’ayant un piano chez moi à force d’en jouer j’avais amassé 40 compos et je voulais m’en servir. Ghinzu à la base c’était cette idée. Mais au final l’association de nous tous nous a fait prendre une autre direction.
Mais la comparaison à Muse, tu l’acceptes ?
Ça dépend. Par exemple je comprend qu’une radio grand public la fasse parce que là le raccourci de la référence est un bon outil pour permette aux gens de vite identifier notre musique. Je la comprendrais moins émanant d’un mélomane averti…
Grosse différence entre vous et Muse : on peut twister sur Ghinzu !
Oui, parce que chez nous des éléments renvoient au fifties, au rockab, à Elvis… Ceci dit j’ai vu Muse une fois en live et j’ai trouvé ce trio impressionnant. Et moi c’est souvent live que je juge la crédibilité d’un groupe. Certains groupes, il n’y a vraiment que ça qui les excite… D’ailleurs je crois que les première vraies sensations de proximité que tu as avec un groupe viennent de là : t’as 16 ans, tu fais le mur, t’essaies de trouver une bagnole, tu pars de Cologne, tu fais 300 bornes jusqu’à Paris pour voir les Cramps, tu sais que t’es un gamin et que t’as une chance sur deux de te faire raquetter mais t’y vas et finalement dans le concert n’est qu’une étape d’un périple trépidant du début à la fin. Et c’est ça qui m’intéressait en tant que fan de rock : tout ce qu’il y avait autour.
Comment s’est passée la création de Mirror Mirror ? N’avez-vous pas été paralysé par le fait que Blow avait mis la barre très haut en terme de succès et de qualité, et qu’il allait être difficile de faire mieux ?
On n’a pas raisonné comme ça parce que ça c’est un raisonnement de star or notre culture reste belge et en Belgique l’esprit « star » n’existe pas.
Oui, mais votre succès a dépassé le cadre de la Belgique !
Bien sûr mais tu sais nous on n’a pas commencé la musique en se disant qu’on allait être des stars. On a commencé la musique en se disant qu’on allait être un chouette groupe qui allait pondre de chouettes morceaux et donner de chouettes concerts… Et puis bon, je pense qu’on a connu le succès trop tard pour penser comme ça. Après un concert on rentre chez nous. Et on aime bien sortir les poubelles même si ça tranche avec notre image. Tout ça pour dire qu’après Blow on avait suffisamment de recul pour avoir juste envie de faire un nouveau chouette album.
Penses-tu que le succès de Blow t’aurait plus tourné la tête si tu l’avais eu plus jeune ?
Non, car ce succès est venu progressivement et au final il reste dans des proportions humaines. Je veux dire, on n’est pas Justice, on ne s’est pas retrouvé d’un coup catapulté en jets privés !
Ne t’es-tu pas dit qu’il s’agissait sûrement du climax de ta carrière de rocker ? Parce que bon tu as maintenant que tu as 30 ans bien sonnés…
Je tiens à préciser que je n’ai quand même pas 40 ans et 6 enfants, quoique ç’aurait été très bien et je ne demanderais pas mieux ! Tu sais, on ne pense pas trop en ces termes. On se dit que chaque album ou chaque concert peut très bien être le dernier. Souvent on se dit qu’on est des gros loosers et qu’on va finir dans le caniveau. Ce n’est pas une question de pessimisme c’est juste que s’engager dans la musique reste une voie à risque même si certaines personnes continuent de voir ça comme quelque chose d’amusant. C’est un dur métier alors quand tu commences à réussir à en vivre tu ne peux pas t’empêcher de culpabiliser en pensant au retour de bâton. Et ce sentiment est d’autant plus présent pour nous qui sommes belges car à Bruxelles est une ville assez bourgeoise où règne un climat un peu terre-à-terre. Mais bon, si tu parles à Greg ou Jean ils te diront qu’ils veulent être sur scène jusqu’à 70 ans.
Dans Ghinzu ?
Où pourquoi pas. A un moment donné un groupe c’est un peu plus que de la musique. Je n’aime pas dire ça mais oui il y a l’idée que c’est aussi une famille. Parce que tu vois chacun de nous a des projets à côté. Si l’un de nous dit qu’il veut faire un truc où il se déguise en carotte et en pastèque, ce qui est le cas de Greg, pas de problème. Moi j’ai bien un projet avec une japonaise qui joue de la basse et fait de l’électro… Donc voilà, on a tous nos petits trucs à côté et on se rend compte que c’est chouette d’avoir aussi un groupe dont la dynamique nous cadre un peu plus.
J’ai l’impression que Mirror Mirror n’a pas de single évident comme l’était Do You Read Me ? sur Blow. Qu’en penses-tu ?
C’est une question de point de vue : on en rediscutera après la sortie anglaise de l’album. Parce que le choix du single, où il va être, quand il va être, ça dépend de plusieurs paramètres. Par exemple aujourd’hui si je cherche de bons morceaux à guitares à la radio je vais trouver d’excellents singles. Mais si je cherche des singles électro ça ne va pas être la même chose. De même, si Mika sortait dans les années 90, je ne suis pas sûr qu’il vendrait beaucoup de disques. L’environnement est donc primordial pour déterminer ce qui est single ou pas. Je trouve que Mirror Mirror est quand même plus chanson que Blow. Si tu regardes de plus près, en terme de structure, les formats sont plus classiques.
Oui, pour du Ghinzu, mais dans l’absolu tout ça demeure assez complexe !
C’est vrai. Je ne sais pas comment je dois le prendre mais je le prends plutôt bien !
C’est important pour toi de faire une musique qui parle de son époque?
On est stimulé par plein de choses, moi par exemple j’écoute plein de la musique et je regarde plein de films, aussi bien des choses passées que des choses actuelles, et fort heureusement, tout comme les vieilleries, les choses actuelles rejaillissent dans notre musique. Franchement ce serait con de se dire qu’on n’est pas dans notre époque parce que sur scène ça fait tout bêtement la différence entre les mecs qui jouent parce qu’ils sont encore là et ceux qui ne le sont plus.
Dernière question : de quoi parle Cold Love ?
Ça parle d’une espèce de pétasse qui arrive dans une boîte de nuit et, barricadé dans son bimbo look ultra soigné, elle a le sentiment qu’ici personne ne la mérite sans comprendre que certains des codes qu’elle emploie renvoient à des choses très sexes. Le narrateur lui révèle donc qu’en l’état elle est juste prête pour l’amour. Le morceau raconte donc l’histoire de cette femme qui va finir par déraper et s’extraire de son image pour se faire enfin baiser comme il se doit.