Sur l’aire de l’autoroute de l’information, une paire de Belges semble avoir tout compris à la frénésie qui contamine peu à peu tous les pans de l’industrie musicale et pousse chacun, signé ou pas, à s’engouffrer dans le piège de la musique non-stop sous forme de single YouTube. Sous le nom d’artiste sans oeuvre Chien Chiant, ces zinzins originaires de Liège ont décidé de mettre un bouchon sur le robinet en devenant le premier groupe de 2020 à n’avoir rien à vendre, ni rien à faire écouter.

« Epuisé ». C’est ce qu’on peut lire à propos des tirages de chaque album de Chien Chiant, sur sa page Bandcamp. N’allez pas croire que chaque album ait été pris d’assaut par des mélomanes à la gâchette facile; c’est simplement que ces disciples de Jean-Yves Jouannais se sont décidés à faire ce que beaucoup refusent : arrêter de publier de la musique que plus personne n’a le temps d’écouter. « Super Power », « Peaceful Snow / The Maverick Chamber » ou « V2 », autant de noms d’albums fantasmés cachant tous un grand vide. Liberté à chacun d’imaginer les sons cachés derrière chaque pochette. « Nous n’enregistrons pas de musique explique le site officiel. Il y en a déjà trop et les gens n’y prêtent plus beaucoup d’attention. Nous ne volons le travail des autres artistes qu’en achetant leurs disques sur les marchés aux puces et en y apposant sans vergogne notre label ». Comment illustrer plus dignement l’immense doigt d’honneur qu’adresse Chien Chiant à l’ensemble des remplisseurs de tuyau Youtube qui, 24/24, inondent un internet fantôme avec des single tracks éphémères clippés par d’obscurs réalisateurs formés à l’arrache sur un logiciel cracké ?

L’histoire pourrait s’arrêter là, ce serait déjà pas si mal. Mais le jusqu’au-boutisme des zozos les a poussé à ne rien faire, mais à le faire bien. Sur le site officiel de Chien Chiant, on trouve donc une rubrique discographique répertoriant tous les albums imaginaires, une page vidéo illustrée par un message bien raide (« Va te faire foutre! Les vidéos en ligne sont la première cause de pollution numérique ») et enfin un espace merchandising permettant d’acheter, notamment, un T-Shirt serti d’une croix gammée et d’un « PUTE » (dédicace à Alkpote ?). Certes, niveau bon goût, on repassera, mais c’est avec cette démarche sans prétention qu’on peut juger de la course égomaniaque dans laquelle se sont lancés tous les concurrents depuis quelques années; tous apeurés à l’idée de disparaître sans publication d’un nouveau titre sur Spotify toutes les deux semaines, tous engloutis dans les méandres algorithmiques d’un internet qui les a transformé en produits similaires.

 

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Avons-nous écouté de bons disques en 2020 ? Assurément, oui. Mais pour en arriver à cette conclusion, il a fallu plus que jamais supporté des relances quotidiennes de professionnels du rap bourgeois (des blancs autotunés, en somme, qui deviendront bientôt conseillers à la Société Générale), de la fausse pop française enregistrée à la cool par des abrutis nommés CHAT CHAT PONPON ou BONJOUR SOLEIL, sans oublier tous les mauvais rockeurs rêvant encore de choper le Covid-19 des muqueuses à force de dormir dans un van pourri entre deux dates pourries dans des villes françaises pourries devant 10 personnes. Pour sa part, Chien Chiant se définit comme « un duo néofolk non musical composé de l’ artiste non graffeur Thierry Jaspart et d’un ananas se concentrant principalement sur l’écologie et le faux néonazisme« . A-t-on lu une meilleure description de groupe cette année ? Pas sûr. Ecouterons-nous une musique suscitant autant de curiosité et de rêve d’ici à l’arrivée d’un vaccin ? Pas sûr non plus. Vivement la sortie du non-best-of.

https://chienchiant.bandcamp.com/

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