Chamfort, le Bryan Ferry français ? C’est vrai que ça sonne, même si l’intéressé a très vite un geste de recul, un mouvement de papillon qui décolle pour éviter l’impact narcissique … Prêt à se défendre, prêt à s’en défendre. Et nier catégoriquement en grattant ses élégantes petites pattes brunes qui couvrent ses tempes avant de faire à peu près la même chose avec ses paupières. Un homme de 66 ans, père de cinq enfants, en mutation peut-être ou simplement nerveux. Dans tous les cas, pas du tout un mec qui se met en avant, même s’il finit par concéder que, finalement, rester sur sa réserve c’est une façon de ne faire confiance qu’à soi-même. « Il y a une part d’orgueil là-dedans » dira-t-il, candide.
Rapper’s Delight chez Cloclo
Bref, au siècle dernier, il y avait Alain Chamfort qui pianotait pour Cloclo ( Le lundi au soleil, Belinda…). Poussé par ce dernier, il finit par devenir chanteur, doublure idéale pour ses premières parties : « J’ai réalisé que ça pouvait marcher et, du coup j’ai changé de catégorie ». Pianiste puis chanteur à succès et chanteur pas très populaire auprès de ses amis qui étaient plutôt dans le genre diplômés en lettres modernes. Chanteur mal aimé ? « Mal aimé », pour parler comme Claude lui même : « Les gens … ont-il cherché à savoir d’où viennent mes choix et pourquoi ce désespoir caché au fond de moi ? ». D’un côté une reprise épique d’Arthur H (dans une vieille compile de dame Ardisson, en duo avec une certaine Marcia) de l’autre Claude donc … ce faux double, ce presque pareil et puis finalement ce type dont il faudra urgemment se défaire. « Ce que je retiens de Claude dit Chamfort, c’est d’abord cette idée d’une réussite à tout prix ; une bataille incessante pour fabriquer la meilleure chanson, le meilleur arrangement avec tout le monde autour en train de se pâmer ». Une frénésie qui pouvait parfois toucher à l’improbable… Cité dans la petite Histoire orale du boogie français (Rod glacial pour la revue Audimat numéro 3), un Serge Delisle révèle qu’il a failli sortir un Rapper’s Delight en version française avec Flèche, la boite de Claude François (« sauf qu’il est mort quelques temps après…Pas de bol »). Chamfort, qui lui aussi est fait d’intuitions contradictoires, partage un truc avec Cloclo, (peut-être l’envie de plaire ?), mais le costume est un peu étroit. « Il m’a surtout pris pour ma bonne gueule, j’avais les traits fins alors évidemment c’était bien pour l’entreprise ». Traits fins = poster dans le magazine Podium. Poster = marque Podium dans les chambres des jeunes filles. Jeune filles = supers meufs avec qui vous couchez et qui achètent vos disques en sortant. C’était avant le marketing mais c’était déjà bien foutu.
« Pour mes amis c’était un peu comme si c’était un boulot alimentaire, on n’en parlait jamais; un moment, je me suis dit OK, je suis souvent en décalage avec les gens, mais là, j’aimerai bien que l’on s’intéresse à ce que je fais, artistiquement ». Et pour le coup, ce seront des hommes plutôt que que des femmes qui changeront sa vie : Gainsbourg bien sûr et, surtout, Eric Verwilghen alias Jacques Duvall que Lio lui présentera.
Dans un foyer rural de Province avec ma mère qui arrache presque son soutien-gorge
La première fois que j’ai entendu Chamfort live, c’était dans un foyer rural de province seul au piano entouré d’un parterre de septuagénaires. J’étais avec ma mère qui en a presque arraché son soutien-gorge. Et lui aux anges, enchaînant et ré-enchaînant les tubes pour « se mettre au niveau des gens » comme il dit. Je lui raconte l’acoustique approximative, le « peuple de France », le fait que l’on pleurait tous quasiment de joie et là il s’étonne parce que : « c’est tellement évident, de tout donner sur scène« … « Il y a des gens que je vois depuis toujours pendant les concerts il y en a certains, avec qui je pourrais même avoir une vraie relation ». Chamfort, c’est d’abord ce côté gentil mais un peu cruel, une intelligence fluide qui a grandi dans la certitude que tout se tient, Mozart et les Rolling Stones, Otis et Gilberto Gil, l’Olympia et PétaOucheNok… Est-ce que c’est l’enfance à Clichy, le piano, le conservatoire où cette belle gueule qui fait rêver ?
Trop chic pour perdre son temps à avoir l’air intelligent
Assis sur ma chaise pliante, j’aimais alors l’imaginer fardé comme un joli marquis de province, affable et trop chic pour être véritablement cultivé. Oui, trop chic pour perdre son temps à avoir l’air intelligent et il n’y a rien de méprisant là-dedans … Franchement à quoi bon chercher à expliquer ce que l’on sait déjà, que rien ne dure, que les femmes vous font des enfants dans le dos, qu’elles vous quittent avant que vous ne cessiez définitivement de les aimer. Chamfort allez on va pas se mentir, ça m’étonnerait beaucoup que vous l’écoutiez… Alors s’il n’y a qu’un titre à rejouer, évidemment…
Cette voix de fausset (« je préfère nier que je l’aime » dans Paradis ) cette façon d’en avoir rien à carrer de finir dans la province de la hype … Si je suis le roi des points de suspension, Chamfort c’est Rocco Siffredi qui aurait abusé d’Alain Souchon mais dont le casier judiciaire serait resté vierge. Un type faussement En rade, pour reprendre le titre du livre que Joris-Karl Huysmans a publié à la suite de son énorme hit, A rebours. Chamfort ce serait ce dandy moyen (comme l’on parle d’un Français moyen) qui aurait survécu au chef d’œuvre, massif comme son Manureva ou, plus emberlificoté, comme ses compositions pour Lio et, surtout, la production de son disque « Amour toujours » (1983) qui, j’en suis certain, deviendra un jour tout à fait culte. Ce que je m’empresse de dire à l’intéressé qui n’en croit pas un mot. « Oui, dit-il j’ai fait le boulot que Frédéric Lo a fait sur mon dernier album » puisque je ne veux pas comprendre qu’il est là en promo pour son dernier album, le bien nommé « Alain Chamfort ». On est chez Pias, sous l’aimable patronage des Inrocks, dans cette théorie du french rock, sombre et élégant… Mais vous connaissez la chanson… Comme dit son pote Duvall, « nous sommes prétentieux mais nous sommes bien élevés ».
Nous voici donc blottis dans le coin d’un Hôtel branché où de temps en temps passe en flottant une créature de rêve qui interrompt le fil de l’interview et réveille le matou introspectif. Là, il quitte carrément la conversation et la regarde passer tandis qu’elle se regarde être regardée « Je ne sais plus qui je suis, ni ce que je fais tantôt je suis de feu et tantôt de glace, toutes les femmes me font trembler » (Cherubino, Les Noces de Figaro). Chez Chamfort, il y a toujours cette fille, « la » fille. Cette année, elle s’appelle Joy, le single du nouvel album, mais c’est une vieille connaissance, une garce immature devant laquelle on perd ses moyens. Femme « jusqu’au bout des seins » (Sardouille) qui a permis au chanteur d’inventer un genre de variété où les allusions sexuelles touchent à un angle mort de la virilité et redessine le portrait d’un prince charmant plus trouble qu’on ne l’imaginait.
C’est ce glissement faussement pédé que travaille Chamfort ; une réduction du marquis de Sade à ses lettres de noblesse ; à ce bon pote avec qui on finit par ne plus coucher du tout… C’est tout cela que Chamfort a inventé et intégré à cet univers de variétoche vieille France. Et lorsqu’il excelle – à la production d’ « Amour toujours » justement- il aligne des trucs tragiques et légers dont l’équilibre reste inexplicable. Je voudrais bien me sentir mal, « Motus à la Muette » juste parfaits pour une Lio dont il transfigure le potentiel de fille paumée.( « Ton image me hante mais ta froideur m’épouvante » dans J’aime un fantôme). L’époque où elle et lui formaient le couple parfait. « Elle voulait sortir du piège de Banana Split, entrer dans un répertoire plus mature ». C’est une époque où l’on pensait que la nuit pouvait tout résoudre ( Because the night, Springsteen/Patti Smith, 1978) … Et comme moi-même, je suis un fantôme je lui demande, à la débotté, ce qu’il en pensait des types de la night qui sortaient avec des filles plus jeunes qu’eux ? Rien, ou alors si, cette réponse sibylline : « On peut chanter en décalage les choses ; le principal c’est d’être juste quand on chante ». Ah oui ?
C’est l’autre versant du Chamfort post-punk, avec des idées sombres et ces manières de séducteur exsangue et dépressif (Bashung ?) : « C’est un peu anxiogène, c’est vrai, mais c’est voulu » . Toujours avec Lio et cette façon de lui laisser reprendre son Baby Lou composé par Gainsbourg : « je ne suis pas concernée, plutôt du genre consternée ». Pas très compliqué de retrouver un fil rouge discographique : Souris puisque c’est grave, Mais qu’est ce que t’as fait de mes idées noires, Amour année zéro… et aujourd’hui ces Deux poignards bleus qui ouvrent le nouvel album comme si c’était hier, la fin des années 70, retournées dans la fange du show must go on. Cette France sur laquelle Michel Delpech a marché comme sur une peau de banane, cette France qui respire encore à plein nez son Giscard d’Estaing, cette France de rénovateurs technocrates et de libéraux sans complexes ; ce moment de grâce, avant que Gainsbourg ne se transforme en Gainsbarre et ne devienne à son tour réellement populaire.
Cette époque où le roi Serge « n’y croyait plus du tout » ce fut la chance d’Alain, son côté « prince des ténèbres » attirant presque magnétiquement l’homme à la tête de chou. En 1976, il écrit donc la totalité des textes de l’album « Rock’n rose » (on sourit en apprenant que Chamfort choisit alors de travailler avec Jeff Steve et Mike Porcaro qui formeront plus tard le groupe Toto). Et sur l’album qui suit, il y aura donc Manureva, imparable tube qui sonne comme du Human League en version Sylvester.
Moi je voulais « Melody Nelson », pas « L’ami Caouette »
Entre-temps, voilà que le succès est tombé sur la tête de Gainsbourg avec un truc complètement improvisé sur un coin de table par un Philippe Lerichomme qui souffle l’idée de partir en Jamaïque. Aux armes, dans sa vraie fausse distance, bouleverse tout le rapport au texte gainsbourien… « Il a commencé à se dire qu’il n’allait plus s’emmerder qu’il allait écrire en automatique ». Chamfort raconte ça très tranquillement. En vrai, il n’aime pas trop ces trucs d’artistes bourgeois. « Il me disait, Malaise en Malaisie, Chasseur d’ivoire … OK mais où était le développement des chansons ? Il n’y en avait pas… ». Finalement le nouveau cador du reggae made in France plante tout le monde à Los Angeles, « il a cru qu’il arriverait à me faire passer des mauvaises chansons et moi, j’attendais tellement de lui, je voulais « Melody Nelson », pas « L’ami Caouette » Plus tard, Lio balancera que le poinçonneur les voulait tous les deux dans son lit. « Tu fais l’amour et puis tu cries. Trois secondes après tu pleures, tu es imprévisible… Comment faire pour accéder à tous tes désirs ? » ( dans Laide, jolie laide). Et dire que les années 80 commençaient à peine.
Une chatte (vraiment) sur un toit brûlant
En 78, après la mort de Cloclo, il n’y a plus personne à part lui et peut être Jacno qui finira par assumer seul la « part sombre » d’une new wave française qui « zénithe un peu branchouille « (en français dans le texte), via le fragile amour que filme Eric Rohmer dans Les Nuits de la pleine lune. Chamfort cogite et sans doute adore. Il demeure néanmoins dans cette idée de quelque chose de plus léger, une musique certes en contretemps mais toujours en syncope. Rod Glacial -encore lui- le cite dans sa discographie de la funkitude française, avec Jet society en 1981. Le chanteur est alors au sommet, il a trente ans. Il est célèbre mais discret, toujours à deux ou trois pas derrière Saint Laurent ou Fabrice Emaer. C’est un vrai introverti, quelqu’un qui réfléchit avant d’ouvrir la bouche ; et pour un chanteur, ça compte. Il capte très vite qu’avec les années 80 c’est la singularité, l’excentricité individuelle qui vont faire la différence. Il y a Goude en thuriféraire et Chinchin en embuscade. Pas du tout Chamfort pour le coup. Lui a fait ses classes à la fin des années 60 avec l’orchestre de Dutronc, des musiciens à l’ancienne qui l’ont déniaisé en faisant la fête à la cool, en piochant peinards dans la grande soupe des sixties, sans avoir l’impression de réinventer la poudre (sic). « Dans les années 80, la fête est devenue une activité à part entière, on affichait ça comme si c’était un truc extraordinaire et effectivement ça prenait des allures de transe et de carnaval ». Franchement, qui aurait pensé que ce gars là finirait membre du conseil d’administration de la Sacem ?
Le final, du coup, est un peu à la Tennessee William, version Chatte sur un toit brûlant (au sens littéral pour Chamfort). La fête s’éloigne, ou il s’éloigne qui sait… Il ne prendra pas le train de Virgin qui saura porter une production et une direction artistique brillante durant toutes les années qui vont suivre, avec Daho notamment qui quelque part l’aura vampirisé ; devenant son ami proche mais hésitant à collaborer, comme s’il risquait trop gros dans la confrontation. « Etienne est concentré sur ce qu’il va laisser après lui; il y consacre beaucoup de temps. Quelque part, il n’a un peu que ça à faire ». Alain balance aussi de temps en temps mais franchement, ce n’est jamais méchant. Peut-être parce qu’il s’était toujours senti un peu à la ramasse, toujours un peu décalé avec les maisons de disques, les directeurs artistiques. Toujours cette « impression de ne pas être au bon endroit au bon moment ». Daho, à l’inverse, trouvera la bonne équation entre new wave britannique et disco nettoyée de sa crasse funky. C’est lui le petit blanc futé. Pas exactement ce que l’on imagine lorsque l’on regarde cette reprise-blague de Im sticking with you (pour les Enfants du Rock je crois). « Allez on recommence » dit Chamfort comme s’il voulait conjurer la mort dans la répétition, le goût du travail bien fait. « Finalement Alain, si vous survivez, c’est parce que vous êtes un petit poisson qui arrive à passer à travers les mailles du filet, non ? ». Il rigole : « Jusqu’ici oui, jusqu’ici, ça va ». Comme si le doute seul profitait à son éternelle jeunesse.
Alain Chamfort // « Alain Chamfort » // PIAS
http://alain-chamfort.com/
1 commentaire
cours achete le nouvel uuugh aux fraises…..