En marge de super productions au marketing savamment orchestré, et dans une société pop amnésique où Lovecraft rime avec papier kraft, le Français Artuan de Lierrée livre l’une des premières belles surprises de 2022 au rayon des auto-productions. Son « Forteresse et Maléfices » renvoie aux plus belles heures de la collection Gallimard dédiée aux livres dont on est le héros. Sauf qu’ici, le héros en question a remplacé les dés par un synthé venu des ténèbres.

Quiconque est déjà tombé sur la couverture d’un de ces livres sait la puissance de l’imaginaire : les Livres dont on est le héros, édité par Folio junior chez Gallimard, connaitront tout au long des années 90 un succès silencieux, hormis le bruit des pages tournées. Tomber sur les visuels de la série « Défis et sortilèges », par exemple, suffisait à se faire un film pour la nuit : des monstres venus de Cthulhu, des ombres géantes, des châteaux, des armures, beaucoup d’armures. L’équivalent d’une bonne série Netflix en somme, mais sans bande passante. Ne suffisait plus que de cliquer sur la couverture pour entrer dans un monde d’heroic fantasy où les ados, un peu traumat’, jouaient la suite de l’histoire aux dés. Un autre temps interactif, pré-Internet dirait-on, dont se souvient précisément Aurélien Terrade, aka Artuan de Lierrée, sur ce qui est une splendeur synthétique instrumentale.

On n’ira pas par quatre chemins, ce « Forteresse et Maléfices » emprunte évidemment son nom à la collection Défis et sortilèges, et tout ce qui en découle ne fait que confirmer que les amateurs de bandes originales gothiques devraient en avoir pour leurs écus. Reconnu dans le milieu de la musique à l’image depuis 15 ans déjà, Artuan de Lierrée livre ici 8 titres comme autant de chapitres surréalistes, issus d’un autre monde pétri de gargouilles et d’ombres à cornes. Et ce qui n’aurait pu être qu’une récréation de plus au pays des tripoteurs de bouton s’avère assez solide pour chaque imperfection rende l’ensemble encore plus magistral, à commencer par la piste d’ouverture, Forteresse : entrée nord.

Sur cet Ovni musical, l’ombre du Tolkien des livres n’est jamais très loin, et l’on imagine très bien quatre gosses mal dans leur peau écouter cet album en 1992 en s’usant les poignets sur un plateau en rêvant de goules et de lutins, comme dans le jeu vidéo Golden Axe de Sega. « C’est un album inspiré par le mouvement du Dungeon Synth confirme le principal intéressé, j’ai réalisé ça avec un synthé pas cher (Korg Volca FM), dans une reverb des années 90, le tout enregistré sur un 4 pistes K7. C’est un hommage aux livres dont vous êtes le héros et aux RPG de mon adolescence ». Plus qu’une madeleine de Proust pixellisé, l’album fait le grand écart digne d’un déchirement musculaire entre le Koudlam des premières années, « Virgin Suicides » de Air, Ennio Morricone et même Mort Garson avec son « Plantasia » passé depuis longtemps à la postérité chez les collectionneurs d’ambiances étranges. Niveau références, on en aura donc pour son argent. Et des titres comme Forteresse : Entrée Est de faire sonner les carillons dans de lointaines contrées où le corps de Laura Palmer continue de pourrir dans des marécages acides.

Souvent, quand il est question de disques pour la gloire, globalement ratés, on mentionne ce poncif : « la musique d’un film qui n’existe pas ». Ici, c’est pour de vrai : « Forteresse et Maléfices » ne plaisante pas avec votre imaginaire, et le kidnappe férocement jusqu’à la dernière seconde. De quoi vous faire oublier que vous n’avez plus le temps de rien, et que le réel est devenu trop oppressant pour laisser de l’espace à de si beaux donjons de papier.

Artuan de Lierrée // Forteresse et Maléfices, disponible en digital et K7 dès le 21 janvier. Artwork par Le Poisson).
https://music.artuandelierree.com/album/forteresse-mal-fices

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