Lorsqu’une tendance lourde – dans tous les sens du terme – vient à s’incruster jusque dans les leçons optionnelles des cours de fac, c’est que les courbes ont déjà amorcé leur renversement. Ainsi, quand Serge-Jean Poivre entendit dans ses cours de com’ que « les années 80 étaient à la mode », il fut désormais persuadé que la ringardise et la désuétude guettaient les robots glacés qu’il croisait tous les week-ends dans divers pince-fesses. Mais rien à faire, il avait déjà acheté les rééditions des Stinky Toys et d’Elli et Jacno, retourné la toile à la recherche d’extraits du Tribute au Denis Quillard, et lancé un regard furtif dans le miroir pour vérifier la mise en pli de sa coupe élaborée.
Dans le fond, les fringues coupées au poil, les mèches soignées, les attitudes affectées, tout cela ne comptait pas tant que ça. La récitation alors ? Elli, Jacno, Daho, le 100 Club et les Transmu’. La précision dans le punk, la modernité dans les mélodies. Qui couche et qui produit ? Qui se fait prendre puis reprend l’autre ? Trémas partout, trépas nulle part. Non, tout cela Serge-Jean Poivre l’avait déjà lu cent fois dans des configurations différentes. Et pour autant, chaque fois qu’il amenait le bras de lecture à la deuxième piste de la face A de Rectangle, Serge-Jean oubliait ces lointains détails de l’histoire de leur humanité. Non, c’était autre chose, il lui fallait mettre le doigt dessus et tant pis pour les traces sur le vinyle. Âme cherchait l’amour.
Fatigué d’écumer les moteurs de recherche, de jouer les explorateurs de l’hypertexte, Serge-Jean se réfugia dans la seule pièce du domicile familial dans les Hauts-de-Seine dont le bordel n’était pas étudié en amont par sa mère : le grenier. La chaleur de l’enfermement le réconfortait autant que les odeurs d’avant-guerre qui s’y propageaient sans mouvement. Surtout, il savait qu’une fois apaisé, il pourrait y reprendre sa recherche du détail insaisissable dans un champs trop vaste. Mais pas sans se salir cette fois. La poussière à même la peau. Moins d’une heure plus tard, il avait vu défiler des disques dont il connaissait déjà les pochettes via Google Images, de Marquis de Sade aux Venus In Furs, de Taxi Girl à Kas Product. Et se retrouvait avec un étrange cahier entre les mains. Sur la page de garde, la calligraphie appliquée que les cheftaines de salles de classes n’exigeaient qu’avant la chute du mur de Berlin était celle de son père. Le style, celui d’un héros déchiré.
Voyage au bout de la vie. Confessions brutales du Captain Mélancolie.
Novembre 79 : Revoilà l’hiver.
La bataille n’est pas gagnée, bon sang. Nos troupes ne sont même pas loin de la déconfiture. Les punks ne ressemblent plus à grand-chose et la démobilisation est proche. C’est palpable. La seringue nous aura bien baisés. La seringue et notre incapacité à y croire. On avait remis les compteurs à zéro, largué les amarres, et voilà qu’on chavire vers les mêmes récits. Pas que je sois obsédé par l’idée de guerre frontale, ni guidé par l’envie de faire à tout prix partie d’une unité de combat. Non, je me contrefiche des fruits juteux de la victoire. Mais mes noirs idéaux finissent par m’isoler gravement. « On veut pas de toi », qu’ils disent du regard. Les punks, ça pourrit les surbooms. Si c’est pour vomir dans le bol de chips, non merci ! Encore dehors, et on se les gèle sacrément maintenant. Babas sans âme, m’ont encore humilié devant Nat’. Lâchement, à plusieurs dans la ruelle, et sans fondement surtout. Le punk n’a jamais vraiment taché autre chose que les draps des chambres de bonne. Toi là-bas, moi chez moi, le deuxième album des Stinky Toys caressé par le saphir. Je n’y vois que les reflets de tes cheveux platine. Les riffs qui percent comme ton regard, et même quelques notes de sax esthètes et minimales, comme les rares mots qu’on s’est échangés entre deux cours. For You putain, by myself au bout du compte.
Décembre 1980 : Tout va sauter.
On avait eu la chance d’être la première génération à pouvoir s’en foutre : de la bombe, des soviets, de l’impérialisme à papa. Mais je n’ai plus vraiment foi en l’insouciance. Par contre, j’ai froid dans l’inconscience, encore sorti sans mon manteau. Pas froisser – ou pire, cacher – une si belle veste, non plus. Trois jours qu’on est restés seuls, Alice et moi. On a écouté pas mal de disques. Et il y a cette chanson qui passe parfois dans le transistor de sa studette, Main dans la main, Elli et Jacno, rescapés des Stinky Toys tiens ! Chaque fois qu’elle retentit, nos corps se figent et on s’aime en silence. Elle, la musique et nous. On a bien essayé de s’étreindre mais ça ne prend pas. Elle est trop volontaire, trop pressée ; et moi trop lascif, pas assez primal. Alors on est sortis, elle s’est préparée pour le Palace. Moi, je sais par habitude que je resterai sur le pas de la porte. Alors je suis allé acheter l’album d’Elli et Jacno. Il est bien, mais plus je l’écoute seul et moins je suis rassuré. Les passions passent avec les saisons. Lavomatic émotionnel. Tic Tac Tic, tout va sauter.
Avril 2011 : Les racines décrépies.
Trente ans plus tard, je reprends mon souffle sur le canapé. En rouvrant les yeux, j’aperçois une pile de disques neufs sur la table basse. Des rééditions de tous ces gens que j’ai un peu oubliés. Apparemment, Natacha les connaît mieux que moi. C’est vrai, j’ai jamais trop cherché à comprendre pourquoi nos gosses écoutent nos disques, mais je n’imaginais pas un tel fétichisme. Surtout, leurs années mödernes ne sont pas les nôtres. J’ai du mal à les retrouver dans les publicités. Je veux dire, il ne faisait pas plus chaud à l’époque.
Tiens, Daho. Il reprend Amoureux Solitaires pour un tribute au Jacno : Jacno Future, hum. Ils marchent encore ces slogans un peu neuneus ? Et cette musique, ce que c’est torturé. Même pour moi, parasite de l’appartement parisien de ma fille aînée depuis que la lady m’a flanqué dehors. A l’abri des nuits de la pleine lune, je crois savoir que la machine à jouer avec le temps ne restera pas bloquée indéfiniment sur ma jeunesse. Bon sang, comment s’appelait cette fille, déjà ?
Amoureux solitaires, ça me va bien. Ca nous va bien.
Stinky Toys // Réédition Tout va sauter (avec 2 titres bonus) et L’album Jaune // Sony
Etienne Daho // Remix Amoureux Solitaires // Polydor
http://soundcloud.com/ekleroshock/sets/etienne-daho-amoureux/
8 commentaires
Bon, personne ne le dit mais la reprise de Daho est absolument horrible et honteuse. Merci.
et ce alors qu’il existe une si jolie version d’arman méliès… c’est triste !
http://www.myspace.com/armanmelies
les meilleures reprises viennent de Belgique
2 pour le prix d’une et c’est gratos!
le lien here:
http://soundcloud.com/freaksvillerecords/sets/miam-monster-miam-et-les-loved
Et si, l’idée derrière tout cela, était juste la rage de perdre, puisque de toute manière il n’y avait rien à gagner ? Dans ce cas la reprise de Daho est juste, trop juste même … exacte et dans l’esprit !
j’ai jamais vu DAHO « chopé » la rage de perdre
Super papier Vic…
je suis d’accord avec Jacques No, cette reprise de daho est pas terrible…
Par contre j’adore la reprise de « on se fait la gueule » de Daho par Jacno